“Au foot comme en entreprise, on n’a pas assez la culture du résultat”

Fabrice Brion
Fabrice Brion (I-Care) © Isopix
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’entrepreneur wallon Fabrice Brion, passionné de football, commente la Coupe du monde compliquée des Diables Rouges pour Trends-Tendances et la compare avec la réalité des entreprises. “La Belgique doit rester une pionnière”.

A la tête d’une société dont la croissance ne cesse d’impressionner, Fabrice Brion est l’incarnation d’une Wallonie qui veut se redresser. Avec I-Care, leader mondial dans la maintenance prédictive, ce Montois montre la voie du succès à suivre. Passionné de football, Fabrice Brion y voit une métaphore de la performance nécessaire dans le domaine économique. Il a accepté d’accompagner Trends-Tendances durant cette Coupe du monde au Qatar en analysant, à sa manière, les matchs des Diables. Sans occulter les sujets qui fâchent (à suivre sur notre site internet).

En Europe en général, et en Wallonie en particulier, on n’a pas assez la culture du résultat. On doit se dire que le résultat compte plus que la manière.

“Je suis passionné par le football depuis toujours, explique-t-il, mais cette passion a pris une autre dimension grâce à mon beau-père qui était président des Francs Borains. Il m’a mis le pied à l’étrier pour ce sport au niveau régional, mais aussi national et international grâce au parcours d’anciens du club comme Marouane Fellaini.” Le CEO d’I-Care est devenu un supporter acharné d’Anderlecht et un amoureux du football anglais, avec Chelsea comme destination privilégiée.

“Ce que je trouve hyper important dans le football, précise cet entrepreneur fort attaché au capital humain et à la vision à long terme, ce sont les écoles de jeunes. L’éducation, ce n’est pas uniquement l’école ou l’université, ce sont aussi les valeurs que l’on apprend dans les mouvements de jeunesse ou les clubs de sports collectifs. On doit se battre pour que davantage de revenus du football percolent jusqu’à ces écoles de jeunes en tant qu’outils de développement de la société.”

“La culture du résultat”

Cela dit, Fabrice Brion est un compétiteur. “Il ne faut jamais participer à quelque chose si on n’y va pas pour gagner, avance-t-il. Personnellement, je verrais bien le Brésil ou l’Argentine l’emporter. Cela fait trop longtemps qu’un pays sud-américain n’a plus été champion du monde. Mais j’espère une demi-finale pour les Diables, au minimum, ou une finale. Je suis un éternel optimiste. Et la Belgique est l’équipe avec le plus d’expérience de cette Coupe du monde: cela peut jouer dans un tournoi où il y a eu peu de préparation, une grande chaleur…”

La première victoire étriquée face au Canada (1-0) le renvoie à des considérations plus pragmatiques, dignes d’un CEO obnubilé par l’horizon chiffré avant tout. “Si l’on compare le monde de l’entreprise et celui du foot, je pense justement qu’en Europe en général, et en Wallonie en particulier, on n’a pas assez la culture du résultat, souligne-t-il. On doit se dire que le résultat compte plus que la manière et à l’issue de ce match, on a eu le résultat sans la manière. Prendre les trois points de la sorte et avoir, en même temps, la chance que les deux autres équipes du groupe (Maroc et Croatie) se neutralisent en faisant match nul, on ne pouvait pas mieux commencer. Après, oui, c’était moche…”

La Belgique peut-elle avancer masquée, lui demande-t-on?En ce qui me concerne, je dis toujours que je ne jette toutes mes forces dans la bataille que quand je suis sûr qu’elle sera gagnée. Il ne faut pas gaspiller ses forces au moment où cela ne sert à rien. Dans toute situation, dans tout contrat, dans toute négociation, il y a un momentum dont il faut profiter. C’est un peu aussi la même chose avec notre levée de fonds de ces derniers mois: on ne l’a pas fait plus tôt parce que le marché n’était pas dans une phase de croissance suffisante. On aurait eu l’argent il y a cinq ans, nous l’aurions brûlé sans avoir plus de chiffre d’affaires qu’aujourd’hui. Tandis qu’aujourd’hui, c’est le bon moment: le marché est là, les clients sont convaincus, c’est le moment où il faut mettre ses forces financières et humaines dans la bataille.”

La désillusion à l’issue de la défaite face au Maroc (0-2) a toutefois douché les espoirs du pays, avec des critiques acerbes à l’encontre de jeu de l’équipe nationale, assorties de tensions au sein même de l’équipe. Fabrice Brion, lui, garde la tête froide, comme il se doit de la part d’un CEO, avant le match décisif contre la Croatie ce jeudi 1er décembre. “Il faut y croire, insiste-t-il. Nous devons être derrière l’équipe, que ce soit pour les pousser vers un exploit ou pour les remercier des 10 années fantastiques qu’ils nous ont fait vivre. C’est le principe d’un supporter: il doit être là dans les mauvais moments comme dans les bons. Cela m’énerve que l’on brûle aussi vite ce que l’on a aimé.”

Oui, c’est un moment de gestion de crise, reconnaît-il. “Mais je pense que le coach, Roberto Martinez, a fait ce qu’il devait faire en protégeant ses joueurs et son groupe. On lave son linge sale en famille. En ce qui me concerne, je félicite toujours publiquement et je recadre en one to one. C’est important dans une entreprise, comme dans une équipe, de mettre en avant publiquement les succès mais d’agir discrètement pour les échecs.” Il ajoute: “Il faut garder sa ligne. L’opinion publique peut changer assez vite. Mais statistiquement, depuis 10 ans, on n’a jamais connu une période avec autant de victoires. Une défaite de temps en temps, cela arrive. En tant que CEO, je ne pense pas qu’il faut agir dans l’urgence”.

“Oser innover, c’est la clé”

Quel que soit le résultat du match contre la Croatie, il tire déjà une conclusion plus large: “Nous avons vécu une époque incroyable, c’est certain. Cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas se reproduire dans deux ans ou dans quatre ans. En Belgique, nous sommes souvent pionniers dans beaucoup de choses”.

Il illustre son propos: “Nous avons été parmi les premiers à avoir des clubs professionnels. Le résultat, c’est qu’Anderlecht a gagné des Coupes d’Europe dans les années 1970. Les autres pays ont suivi et ils ont appliqué cela à une plus grande échelle, au niveau budgétaire ou en termes de population, ce qui nous a évidemment déforcé. Ensuite, nous avons été parmi les premiers à avoir des joueurs formés à l’étranger – Eden Hazard à Lille, Jan Vertonghen et d’autres à l’Ajax – quand les autres étaient encore dans un schéma classique. Cela nous a permis d’avoir une équipe avec des joueurs évoluant dans les meilleurs clubs du monde”.

Même chose dans la vision du jeu: “Tant Marc Wilmots que Roberto Martinez ont appliqué des tactiques novatrices. Wilmots ne mettait quasiment jamais son onze de base pour démarrer. Il le mettait en place après ses trois changements. Aujourd’hui, ils le font tous. La marque de fabrique de Martinez, c’était l’agilité: faire en sorte que le porteur de ballon ait toujours deux ou trois solutions de passe, ce qui est toujours plus facile que de n’avoir qu’une seule option. C’est la même chose pour une entreprise: il vaut mieux avoir un plan A, un plan B et un plan C. Les autres équipes jouent désormais comme ça”.

Conclusion: “Il faut s’interroger sur cette capacité à redevenir innovant plutôt que de rester sur ses acquis. Réapprendre à surprendre, en réalité. Et pour des petits pays comme la Belgique, il faut oser innover, c’est la seule clé du succès.”

Retrouvez l’analyse de Fabrice Brion après le match Belgique-Croatie ce vendredi 2 décembre sur le site internet de Trends-Tendances.

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