Agroalimentaire: comment réussir son lancement de produit
Surfant sur la vague de l’alimentation saine, locale, bio, etc., de plus en plus d’entrepreneurs décident de lancer de nouveaux produits sur le marché. Le parcours est toutefois semé d’embûches. Les échecs sont nombreux. Comment mettre toutes les chances de son côté?
L e secteur agroalimentaire bouillonne. De plus en plus d’entrepreneurs, jeunes comme moins jeunes, décident de tenter leur chance en lançant un premier produit. Les tendances actuelles leur donnent raison. Toute une frange de consommateurs se détournent des grandes marques pour acheter des produits locaux, plus naturels et fabriqués de manière artisanale. La grande distribution ouvre de plus en plus ses rayons à ces nouveaux entrepreneurs de l’alimentaire, créant même parfois des filières d’accès réservées avec des conditions spécifiques. “On observe clairement un renouvellement du marché alimentaire, confirme Jérôme Pirmez, cofondateur de la nouvelle marque de boisson bruxelloise à base de fleur de sureau Drink a Flower. Nous voulons surfer sur cette vague.”
Il faut être très flexible et pouvoir rebondir en fonction de la demande de ses distributeurs
Florence Juperelle (Be-Nat)
La démarche est toutefois semée d’embûches. “C’est un parcours du combattant, n’hésite pas à affirmer Guy Paternoster, président du pôle de compétitivité wallon Wagralim. Il faut avoir la bonne idée, des moyens financiers, des compétences techniques, marketing, réglementaires, etc.” Bref, il faut être inspiré et surtout très motivé! Car si l’on assiste à de nombreux lancements, les échecs sont, eux aussi, légion. “Il est très compliqué de se démarquer de ce qui existe déjà sur le marché, reconnaît Jérôme Pirmez. Dans le secteur des boissons – mais c’est le cas dans tous les secteurs -, il y a énormément de compétition. Beaucoup de nouvelles marques émergent, puis disparaissent.” On pense notamment à la boisson apaisante 100% belge Zendo, commercialisée pour la première fois en 2016 et stoppée deux ans plus tard.
Bien s’entourer
Pour persévérer dans l’aventure, tous nos interlocuteurs sont unanimes: il s’agit de bien s’entourer. “Il ne faut pas avoir peur de partager son idée avec d’autres personnes, estime Florence Juprelle, cofondatrice de la start-up liégeoise Linatelle qui produit des céréales à base de fleurs, des pâtes de fruits et autres pâtes à tartiner sous la marque bio Be-Nat. Souvent, les entrepreneurs ont peur de se faire piquer leur idée, mais il faut s’entourer de personnes d’expérience qui vous tirent vers le haut. Lorsque vous avez un problème, vous devez pouvoir compter sur elles. Nous avons récemment fait entrer deux investisseurs privés dans notre capital. Ils connaissent bien ce secteur et pourront nous apporter des points de vue très intéressants.”
Des sources de financement existent, et nous sommes là pour informer ceux qui désirent se lancer.
Guy Paternoster (Wagralim)
Pour être mis en contact avec des professionnels, les néoentrepreneurs du sud du pays peuvent aussi se tourner vers Wagralim. “Nous mettons en réseau les différents acteurs de l’alimentaire, explique Guy Paternoster. Des fournisseurs, des distributeurs, etc. Nous pouvons par ailleurs aiguiller les entrepreneurs vers les personnes les plus qualifiées. Il est alors possible de partager un problème lié à son activité, de trouver de l’inspiration, etc.” La plupart des start-up de l’agroalimentaire font leurs premiers pas au sein d’un incubateur, ce qui leur permet aussi d’être mise en contact avec une série de spécialistes du secteur. “Nous sommes arrivés avec un produit que nous considérions comme fini, explique Jérôme Pirmez. Mais notre coach nous a aidés à retravailler l’image de marque, l’aspect logistique, etc. Nous avons par ailleurs pu suivre plein de formations en vente: comment démarcher nos clients, comment fixer un prix, etc.”
Fondateur de la start-up Coup d’barre qui produit des barres énergétiques artisanales, bios et véganes à destination des cyclistes et triathlètes, Evan Rouard met également en avant l’aspect “social” des incubateurs. “En plus d’avoir un coach personnel et des formations, il y a tout le côté coworking, assure-t-il. Cela permet de voir des gens, de discuter, de partager.”
Analyse de marché
Très concrètement, quels sont les aspects à tenir à l’oeil pour réussir son lancement de produit? Tout d’abord ce qui pourrait paraître comme une évidence mais qui n’en est en réalité pas une: s’assurer qu’il existe un marché. “Les entrepreneurs sont souvent amoureux de leur idée et ont tendance à ne voir que les bons côtés de leur produit, affirme le président de Wagralim. Or, il faut pouvoir tester l’idée et vérifier qu’il y a bien une demande.” En clair, on ne crée pas un produit pour soi. “Avec le recul, je prendrais plus de temps pour comprendre ce dont le consommateur a vraiment besoin, explique Jérôme Pirmez. Cela m’aurait permis adapter directement la boisson. J’ai développé un produit qui me semblait bien. Or, en organisant des dégustations, je ne me suis rendu compte qu’il fallait changer certaines choses. Je pense qu’il est important d’aller sur les marchés, de parler aux gens.”
Nous aurions dû davantage cibler nos canaux de distribution
Jérôme Hachez (Lenticadelle)
Chez Wagralim, on a développé il y a deux ans un outil appelé Fast Feedback qui permet aux entrepreneurs de bénéficier très rapidement du retour d’un panel de consommateurs. C’est qu’il faut absolument se méfier de ses a priori. “Je pensais au départ que je devais principalement mettre en avant le côté sain de mes produits, explique Florence Juprelle. Mais le Belge est très gourmand et j’ai dû lancer une variante au chocolat de mes céréales Flowerola. En fait, il faut être très flexible et pouvoir rebondir en fonction de la demande de ses distributeurs.”
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Impliquer ses canaux
C’est certainement la deuxième leçon très importante pour un lancement de produit réussi: identifier ses canaux de distribution dès le départ et concevoir son produit en fonction de ces canaux. On peut même aller jusqu’à dire qu’il faut co-créer ses produits avec ses distributeurs dans un processus d’essais-erreurs et d’allers-retours.
Outre le manque de ressources financières de ses concepteurs, c’est sans doute cet aspect “distribution” qui a enterré la Lenticadelle un an seulement après son lancement en 2017. Cette fricadelle végétarienne à base de lentilles conçue par trois jeunes Namurois n’a en réalité jamais trouvé son marché. “A la base, nous voulions développer un snack plus sain, et nous sommes partis sur du végétarien, explique Jérôme Hachez. Nous avions démarché quelques friteries mais nous nous sommes rendu compte que c’était très compliqué dans les campagnes. Les clients n’adhéraient pas au côté “végétarien”, d’autant que le prix était élevé en raison de nos coûts de production. Nous aurions dû davantage cibler nos canaux de distribution en visant les friteries plus haut de gamme, dans les villes, mais également les traiteurs.”
Beaucoup d’entrepreneurs veulent débarquer un peu trop vite dans la grande distribution.
Evan Rouard (Coup d’Barre)
Cibler ses canaux de vente, c’est exactement ce que fait Evan Rouard. Le jeune entrepreneur écoule ses barres énergétiques via son site – ce qui lui permet, dit-il, d’avoir un feed-back direct des consommateurs – ainsi que dans les magasins de vélos, cafés cyclistes et autres marketplaces dédiées au sport. “Beaucoup d’entrepreneurs dans l’alimentaire veulent débarquer un peu trop vite dans la grande distribution, estime notre interlocuteur. Je pense qu’il faut d’abord franchir quelques étapes et prendre des risques contrôlés. Il n’est pas exclu que nous nous tournions à un moment donné vers elle mais notre produit est très spécifique et vise un public bien précis. Par ailleurs, à côté d’une barre industrielle moins chère, pas sûr que les clients nous choisissent.” Evan Rouard va aujourd’hui démarcher lui-même les magasins de vélos pour présenter son produit et, surtout, comprendre les attentes du terrain. Et s’il avait un conseil à donner, ce serait de le faire le plus rapidement possible. “Même si le produit n’est pas encore au point, précise-t-il. J’y suis allé trop tard, ayant peur de me prendre un mur. Au contraire, rencontrer ses partenaires le plus tôt possible permet justement d’adapter son produit.”
Externaliser la production?
Chez Drink a Flower, on reconnaît ne pas avoir identifié suffisamment vite ses canaux de distribution. “Nous voulions aller partout dans l’horeca, avoue Jérôme Pirmez, mais nous avons compris que certaines caractéristiques de notre produit collaient mieux à certains établissements. Suite à la crise, nous avons décidé de nous tourner davantage vers les magasins bios indépendants et les mini-chaînes bios. Il est plus facile d’entrer sur un marché de niche. Nous pourrions par la suite viser les grandes surfaces mais nous devrions revoir notre packaging car, dans le retail, la bouteille en verre est moins adaptée pour les sodas. Quant au take-away, nous nous sommes heurtés à un mur avec nos bouteilles en verre non refermables.”
Par ailleurs, la production et la distribution de son breuvage à la fleur de sureau sont aujourd’hui sous-traitées. Un choix stratégique que Jérôme Primez regrette ne pas avoir posé plus tôt. “Cela m’aurait permis de me concentrer plus rapidement sur les ventes”, avoue-t-il encore. C’est bien là une question que sont amenés à se poser tous les entrepreneurs qui se lancent: dois-je m’occuper de tout? Pour Florence Juprelle, c’est clair, il faut souvent faire un choix. La jeune femme a pour sa part décidé de positionner davantage sa start-up dans la production. Oui, Linatelle continuera de produire et commercialiser sa marque Be-Nat, mais l’idée est de s’orienter beaucoup plus vers la fabrication de produits pour d’autres marques. “En tant que start-up, il est très coûteux de lancer une nouvelle marque, assure notre interlocutrice. C’est pour cette raison que nous sommes en train de mettre en place une ligne de production à façon.”
On le voit: lancer un nouveau produit ne se fait pas sans mal. Mais de belles histoires montrent que c’est tout à fait possible. “Beaucoup de grandes entreprises ont commencé petit, rappelle Guy Paternoster, de Wagralim. Il ne faut jamais oublier que les avions décollent face au vent. Quand c’est compliqué, le succès à venir est encore plus grand! Des sources de financement existent, et nous sommes là pour informer ceux qui désirent se lancer.”
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