Bourse: tensions à l’entrée

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Les introductions en Bourse se multiplient, mais les marchés peinent à absorber ce flux massif de nouveaux titres. Plusieurs nouveaux venus ont même rapidement flanché: mauvais présage ou opportunités à saisir?

Selon les données compilées par l’agence Bloomberg, les introductions en Bourse ont permis de lever un montant semestriel record de près de 350 milliards de dollars au cours des six premiers mois de cette année. Le flux ne devrait pas se tarir cet été. L’Uber chinois Didi Chuxing, la chaîne de restaurants à donuts Krispy Kreme, l’application de trading Robinhood Markets, le site d’apprentissage de langues Duolingo ou le géant des fruits et légumes Dole ont fait ou devraient faire leurs premiers pas en Bourse en juillet-août. Les noms de la fintech américaine Stripe et de Rivian, le concurrent de Tesla, sont aussi cités. Selon toute vraisemblance, 2021 devrait donc pulvériser le record d’introductions en Bourse (IPO, initial public offering) de 420 milliards de dollars établi en 2007.

Il ne faut pas se précipiter aveuglément sur les entreprises dites à la mode.

“IPO fatigue”

Face à ce flux massif de nouveaux entrants en Bourse, les marchés présentent toutefois des signes de saturation. Krispy Kreme a dû se contenter d’une introduction au prix de 17 dollars par action, bien inférieure à la fourchette de 21 à 24 dollars envisagée initialement.

Il y a quelques mois, la première séance de Deliveroo en Bourse de Londres s’est transformée en cauchemar pour ceux qui avaient investi dans le cadre de l’IPO, le titre ayant plongé de 26%. A Paris, l’équipementier automobile Parts Holding Europe a récemment renoncé à son projet d’introduction, tout comme le groupe automobile chinois Geely à Shanghai ou la compagnie minière russe Nordgold à Londres.

La medtech wallonne Nyxoah, déjà cotée à Bruxelles, a aussi peiné à boucler son introduction en juin. L’envolée attendue grâce à l’aura du Nasdaq a finalement été de courte durée. Nouvelle venue sur Euronext Bruxelles, l’ agritech Biotalys a dû se contenter du strict minimum pour son introduction: prix fixé à 7,5 euros, dans le bas de la fourchette (7,5 à 8,5 euros).

De plus en plus d’observateurs parlent ainsi d’“IPO fatigue”, les marchés ne parvenant plus à suivre le rythme effréné des introductions.

Plus sélectifs

“Il y a eu un certain niveau d’épuisement parmi les investisseurs et une sélectivité accrue, précisait ainsi récemment Saadi Soudavar, head of equity capital markets pour la région EMEA chez Deutsche Bank AG. Après tout, c’est une année record, ils peuvent donc faire leur choix parmi les multiples transactions qui se présentent à eux.”

Il est vrai que toutes les introductions en Bourse ne souffrent pas d’une demande frileuse. The Glimpse Group, une start-up américaine spécialisée dans la réalité virtuelle, a ainsi ouvert en hausse de 68% pour son premier jour de cotation. A Londres, la fintech Wise est entrée en Bourse début juillet avec une capitalisation de 10 milliards de dollars, bien supérieure aux estimations de 6 à 7 milliards et à la valorisation de 5 milliards retenue pour sa dernière levée de fonds auprès d’investisseurs privés en juillet 2020.

Bourse: tensions à l'entrée
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Par contre, les projets les plus incertains peinent à convaincre, comme les introductions de SPAC, surnommées “sociétés de chèques en blanc” car elles ne sont que des véhicules d’investissement vides lors de leur IPO. Leur part dans le total des introductions en Bourse a chuté de près de la moitié au premier trimestre à 13% au deuxième. Les cours des SPAC récemment introduites sont également sous pression, comme l’illustre la chute de près de 20% de l’indice CNBC SPAC 50 depuis la mi-février.

Nordgold a évoqué la frilosité des investisseurs face à la volatilité du prix de l’or pour justifier le retrait de son projet d’IPO. Didi Chuxing a dû raboter son objectif de valorisation d’au moins 100 milliards de dollars à 67 milliards alors que les investisseurs s’inquiètent des interventions de Pékin dans le secteur technologique chinois. Une crainte qui s’est encore renforcée avec la décision du régulateur chinois d’ordonner le retrait de l’application de Didi des plateformes en ligne quelques jours après son introduction.

Une série d’entreprises chinoises ont ainsi dû annuler leur projet d’IPO sur Wall Street depuis le début de ce mois, à l’image de Keep (application de fitness), Ximalaya (première plateforme de podcasts en Chine) ou LinkDoc (medtech).

Attention au “pop”

Pour Alexandre Dominicus, gestionnaire de fonds chez MainFirst, le marché des IPO renferme des opportunités mais les investisseurs ne doivent “pas se précipiter aveuglément sur les entreprises dites à la mode”. Historiquement, une introduction en Bourse réussie n’est d’ailleurs pas un gage de performance à long terme. Que du contraire! Les cas sont évidemment légion en 1999 avec les dotcom aujourd’hui disparues. Sans remonter aussi loin, Snowflake a plus que doublé le jour de son IPO en septembre dernier mais stagne depuis (malgré la progression des marchés). En Chine, QuantumCTek avait battu le record de la discipline en juillet 2020, un “pop” de 924% le premier jour. Depuis, le titre a perdu 45% de sa valeur.

Phil Mackintosh, senior economist chez Nasdaq, constate ainsi que si la majorité des IPO aux Etats-Unis signent une belle progression le premier jour de cotation, près des deux tiers affichent une sous-performance de plus de 10% au cours des trois années suivantes.

Ne pas se précipiter En raison du succès de son IPO, UPS a dû attendre 12 ans avant que le cours de son action ne décolle enfin.
Ne pas se précipiter En raison du succès de son IPO, UPS a dû attendre 12 ans avant que le cours de son action ne décolle enfin.© GETTY IMAGES

Google et Facebook en exemples

Cependant, les entreprises qui parviennent à déjouer les pronostics affichent généralement des rendements exceptionnels. La surperformance du premier décile (top 10% des IPO sur trois ans) est ainsi de plus de 300% sur trois ans, selon les chiffres de Phil Mackintosh. C’est, par exemple, le cas de Google dont le cours a quasiment sextuplé au cours des trois années qui ont suivi sont IPO en août 2004. En tenant compte de la scission du titre intervenue en 2014, le rendement actuel atteint même 6.000%. Pourtant, le groupe avait connu une IPO difficile, ayant dû fixer son prix d’introduction à 85 dollars, bien en dessous de la fourchette escomptée de 108 à 135 dollars. L’action Facebook aussi avait connu des débuts difficiles, ayant perdu plus de la moitié de sa valeur durant des premiers mois de cotation en 2012. Depuis ce creux, le cours de l’action a été multiplié par 18.

Les marchés ne parviennent plus à suivre le rythme effréné des introductions.

Ne pas se précipiter

Dans cette perspective, les introductions en Bourse plus compliquées des derniers mois offrent davantage d’opportunités. Malheureusement, il n’existe pas de formule magique permettant de détecter à coup sûr les perles rares. Alexandre Dominicus souligne l’importance “de regarder au-delà d’une présentation marketing bien ficelée”. De manière générale, le gestionnaire insiste sur le fait que l’entreprise doit pouvoir “démontrer de manière convaincante sa capacité à convertir son potentiel de marché en bénéfices durables”. En d’autres termes, il est préférable de se concentrer sur les entreprises ayant déjà éprouvé leur modèle commercial. Tactiquement, le principal conseil est de ne pas se précipiter, de ne pas courir après une action introduite à un prix élevé et qui bondit le premier jour de cotation. Oublier cette règle, c’est le meilleur moyen de se retrouver avec un poids mort dans son portefeuille. UPS est un cas d’école à ce niveau. Depuis son introduction en 1999, le groupe de messagerie a connu une évolution favorable au niveau opérationnel. Mais en raison de l’engouement pour l’IPO (prix relevé, bond de 35% le premier jour), les investisseurs ont dû attendre 12 ans avant que le cours ne décolle enfin.

Enfin, ne vous limitez pas à la période de l’introduction en Bourse. Les entreprises bénéficient généralement d’une plus grande couverture médiatique durant cette période mais retombent ensuite dans un relatif anonymat comme peuvent en témoigner les quatre nouveaux venus sur Euronext Bruxelles en 2020. Hyloris, UnifiedPost, Inclusio et Nyxoah présentent des profils très différents mais ont tous reculé (largement) sous leur prix d’introduction durant leurs premiers mois de cotation.

Annonciateur d’une chute?

Quand le marché des IPO surchauffe, de nombreux investisseurs s’inquiètent de l’imminence d’une fin de cycle haussier. Le postulat de départ, notamment partagé par le célèbre Jim Cramer, est que l’arrivée de nouvelles entreprises accroît l’offre de titres. Si elle finit par dépasser la demande des investisseurs, les cours ne peuvent plus que baisser sous l’effet d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Cette impression est renforcée par les précédents records d’introductions en Bourse de 1999 et 2007 qui ont tous les deux précédé une dégringolade des marchés d’actions.

Le record de 2021 préfigure-t-il donc un krach en 2022? Ce serait aller vite en besogne, notamment si l’on observe les montants en jeu. Les introductions devraient représenter un montant de plus de 500 milliards de dollars en 2021 au niveau mondial. Selon Standard & Poor’s, les rachats d’actions propres par les seules entreprises du S&P 500 américain devraient bondir de 30% à 651 milliards de dollars cette année. Et on pourrait y ajouter plus de 500 milliards de dividendes.

Par ailleurs, si l’on observe les années 1990, les introductions avaient déjà atteint des records en 1991, 1993 et 1996 sans préfigurer de krach. La causalité semble ainsi plutôt inverse. Le record d’IPO n’annonce pas une correction imminente. Mais les records de nombreuses Bourses dans le monde ont incité quantité de sociétés privées à vouloir se faire coter, les actionnaires y voyant une opportunité d’obtenir une bonne valorisation de leurs titres.

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