Les épargnants attendent toujours de voir leurs économies mieux rémunérées
La BCE a beau avoir relevé par deux fois en moins de deux mois ses taux, les épargnants attendent toujours de voir leurs économies mieux rémunérées.
Personne n’échappe à la crise. La guerre en Ukraine rend la vie plus chère. Facture de gaz et d’électricité, courses au supermarché, tickets d’avion, appartements à louer: tout augmente. Sauf le taux sur les carnets de dépôts réglementés. Dans la quasi-totalité des banques, il reste invariablement fixé à 0,11%, prime de fidélité comprise. Un taux grotesque qui fait de l’épargnant le grand perdant de la crise actuelle. Avec une inflation supérieure à 9%, il perd presque 10% du pouvoir d’achat de son épargne en un an.
Le pire, c’est qu’aucun mouvement à la hausse n’est à attendre dans les semaines qui viennent. Les quatre principales banques (BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING) n’envisagent pas pour le moment d’augmenter le taux du compte d’épargne réglementé. Interrogé sur le sujet en marge de la présentation des (très bons) résultats de la banque pour le premier semestre, Max Jadot, le CEO de BNP Paribas Fortis, indiquait dernièrement qu’il était “trop tôt” pour se prononcer sur une éventuelle hausse des taux des livrets d’épargne. Début août, son homologue Marc Raisière, le patron de Belfius, avait même avancé qu’il ne fallait, selon lui, s’attendre à aucun changement d’ici la fin de l’année.
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Normalisation des taux
C’est clair, nos banquiers ne sont guère pressés de mieux rémunérer les livrets d’épargne dont l’encours, rappelons-le, se monte à 300 milliards d’euros. Pourquoi? La situation est pourtant aujourd’hui totalement différente de ce qu’elle a été pendant de longues années. La planète finance qui marche sur la tête, avec des taux négatifs, c’est terminé! Pour combattre la hausse des prix, la BCE a en effet décidé d’actionner fortement le levier du loyer de l’argent. Après avoir remonté ses taux de 0,50% en juillet, elle vient de les rehausser de 0,75%. Deux hausses successives en l’espace de deux mois à peine qui ont ramené en territoire positif son taux de dépôt pour le fixer à 1,25%. “Aussi longtemps que les taux de la BCE étaient négatifs, il était logique que la rémunération sur les carnets de dépôt reste aussi basse, indique Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management (Lille). Avec des taux directeurs désormais à 1,25%, il y a maintenant de la marge pour un taux plus élevé sur le compte d’épargne.”
Avec des taux directeurs à 1,25%, il y a maintenant de la marge pour un taux plus élevé sur le compte d’épargne.”
Eric Dor (IESEG School of Management)
Oubliée, en effet, la pénalité de – 0,5% ponctionnée sur les liquidités excédentaires. Placer son argent auprès de l’institution de Francfort est redevenu intéressant pour nos banquiers. Même en tenant compte des taxes bancaires qui servent notamment à financer la garantie publique sur les dépôts, ils ne sont plus dans le rouge. En plus des 0,11% à verser aux épargnants, les banques paient en effet grosso modo 0,30% de taxes bancaires . Ce n’est qu’à partir du moment où le taux de la BCE est supérieur à 0,41% (0,30% + 0,11%) que les banques ne perdent plus d’argent sur l’épargne excédentaire de leurs clients. Ce qui est le cas à présent, vu que la rémunération obtenue sur le compte de la BCE est redevenue largement positive pour se monter aujourd’hui à 1,25%.
L’Etat perçoit plus que l’épargnant
Outre les taxes et prélèvements classiques (impôt des sociétés, cotisations sociales, TVA, etc.), les banques sont également soumises à une série de taxes bancaires prélevées sur les dépôts (deposit guarantee system, single banking tax, single resolution fund). On notera qu’aujourd’hui, avec ces taxes bancaires, l’Etat perçoit davantage sur un carnet de dépôt que l’épargnant lui-même. Ces trois taxes représentent en effet ensemble environ 30 points de base tandis que l’épargnant perçoit quant à lui seulement 11 points de base (0,01% de taux de base + 0,10% de prime de fidélité). Si bien que le secteur bancaire belge a versé l’an dernier à l’Etat pas moins de 1,5 milliard d’euros à titre de taxes sectorielles spécifiques. Une jolie contribution qui ne vient malheureusement pas alimenter la protection des déposants mais qui disparaît dans le budget de l’Etat et sert surtout à combler le déficit public. Inutile de dire, vu ces chiffres, que le secteur voit d’un mauvais oeil le projet de Vincent Van Peteghem, ministre des Finances (CD&V), qui prévoit de mettre en place une cotisation supplémentaire afin d’augmenter le fonds de garantie des dépôts de 1,4 milliard d’euros.
Marges en hausse
La meilleure preuve en est que depuis le 1er septembre, ING Belgique ne fixe plus de montants maximum sur les comptes d’épargne réglementés et cesse d’appliquer un taux d’intérêt négatif sur les dépôts de plus de 250.000 euros. Comme les autres acteurs de la place, la filiale belge du groupe bancaire néerlandais a aussi supprimé les taux négatifs qu’elle imposait à certaines catégories de clients professionnels. C’est que “la situation ne fait que s’améliorer pour les banques en Belgique, observe Eric Dor. Que ce soit pour ceux à long terme tels que les crédits hypothécaires ou pour les crédits à plus court terme à destination des PME et des indépendants, les taux sont désormais à la hausse sur toute la gamme de leurs prêts.” En témoignent les solides résultats au premier semestre publiés ces dernières semaines: trois milliards pour les quatre principales banques. La marge d’intérêt, c’est-à-dire la différence entre le taux qu’elles demandent aux clients à qui elles octroient des crédits et les intérêts qu’elles paient à ceux qui déposent de l’argent chez elles, se porte bien. Ainsi, BNP Paribas Fortis fait état d’une nette augmentation de ses revenus d’intérêt de plus de plus 11% sur l’ensemble du premier semestre. Même tendance du côté de KBC (et CBC) où ils ont bondi de 14% au deuxième trimestre par rapport à la même période un an plus tôt, tandis que Belfius a également enregistré des revenus d’intérêt plus élevés.
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L’aubaine des TLTRO
Et ce n’est pas fini. Christine Lagarde, la présidente de la BCE, estime qu’avec des taux directeurs désormais à 1,25%, on est encore “très éloigné d’un niveau qui aidera à ramener l’inflation à 2%”. Il y aura, ajoute-t-elle, d’autres hausses de taux dans le futur. A nouveau, c’est une bonne nouvelle pour les banques de la zone euro. Il suffit pour s’en convaincre de se tourner vers KBC. Dès le lendemain de l’annonce de la BCE, le 8 septembre dernier, son cours de Bourse gagnait 5% en une séance. C’est que “même sans faire d’effort, il est désormais possible de faire de la marge en redéposant l’argent des épargnants auprès de la BCE , renchérit Eric Dor. Et puis, toutes les études montrent en effet que sur une longue période, une hausse des taux augmente le revenu net d’intérêt des banques.”
300 milliards d’euros
Le montant actuel des dépôts sur les livrets d’épargne belges.
Le premier effet du renchérissement actuel de l’argent et de celui programmé par la BCE sera de permettre aux banques de prêter plus cher avec des marges (encore) plus élevées, ce qui à moyen-long terme augmentera leurs revenus. Surtout que l’embellie va plus loin. Une nouvelle règle de calcul va en effet s’appliquer au taux du TLTRO (pour Targeted Longer Term Refinancing Operations, c’est-à-dire des prêts accordés par la BCE à un taux favorable pouvant tomber jusqu’à – 1%). “Si le taux de ces prêts avantageux va progressivement remonter, il devrait a priori rester largement inférieur au nouveau taux des dépôts. Ainsi, les banques pourraient continuer de replacer leurs TLTRO sur leur compte à la BCE“, explique Eric Dor, qui a calculé qu’elles pourraient gagner jusqu’à 28 milliards d’euros.
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L’an prochain?
Mais malgré cette situation confortable, la prudence reste donc de mise. Pourquoi, au juste, une éventuelle possibilité de convertir les taux d’intérêt plus élevés en de meilleurs taux pour les épargnants se fait-elle à ce point attendre? D’abord parce que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem veut augmenter le fonds de garantie des dépôts de 1,4 milliard d’euros, au grand dam des banquiers. Ensuite parce que “la crise de l’énergie et les perspectives de récession font craindre une augmentation du coût du risque et des mauvais crédits. Asphyxiés par leur facture énergétique, plus de ménages et plus d’entreprises risquent de faire défaut sur leurs prêts bancaires. Les banques font donc face à des risques de défaut augmentés”, souligne Eric Dor.
Dans ce contexte d’incertitude, BNP Paribas Fortis fait dès lors valoir que “la politique commerciale de la banque n’est pas déterminée par la hausse ou la baisse des taux d’intérêt à court terme de la BCE, et que “d’autres éléments entrent en ligne de compte”. Même son de cloche du côté d’ING où “toute décision sur un éventuel ajustement de nos taux d’intérêt est le résultat d’un processus détaillé dans lequel nous prenons en compte de nombreux facteurs”, tels que les taux d’intérêt du marché mais aussi “la législation, les conditions du marché, notre position concurrentielle et les tendances des habitudes et préférences de nos clients en matière d’épargne.” De son côté, KBC n’exclut pas la possibilité d’une hausse des taux d’épargne, mais précise qu’il s’agit “en premier lieu d’une décision commerciale“, sans se prononcer sur une date. Bref, “le taux du livret finira bien par augmenter un jour, affirme Eric Dor. D’ici la fin de l’année, début de l’an prochain? C’est le jeu de la concurrence qui en décidera. La seule question est de savoir qui lancera la dynamique et quand celle-ci sera lancée. Après, les autres suivront le mouvement.”
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