Le réseau de Philippe Voisin, CEO de Crelan
Nombreux sont les Français qui dirigent de grosses sociétés belges. Le patron de la banque Crelan est de ceux-là. Bien que d’un naturel discret, l’homme a noué chez nous de belles relations dans le monde des affaires.
Son nom ne vous dit sans doute pas grand-chose. Depuis cinq ans, Philippe Voisin (59 ans) est pourtant aux commandes de la banque Crelan, l’ancien Crédit Agricole belge (Landbouwkrediet en Flandre). Et comme le souligne Bruno Colmant, qui le côtoie depuis quelques années, il est même devenu un acteur incontournable de la scène bancaire en Belgique. C’est en effet à ce Bordelais d’origine que l’on doit le dernier grand mariage bancaire belge en date, à savoir le rapprochement entre Crelan et Axa Banque. Une opération pas comme les autres qui donne naissance à la cinquième grande banque en Belgique et à la troisième grande banque à l’ancrage 100% belge. Un deal qui a demandé plusieurs mois de travail à Philippe Voisin et aux équipes impliquées dans le dossier. Une fierté aussi pour ce tempérament lucide et discipliné. “Quand il y a la volonté, il y a le chemin”, aime-t-il rappeler, n’oubliant pas de mettre en avant, dans cette transaction, l’apport de notre compatriote Freddy Bouckaert, ancien haut dirigeant d’Axa qui connaît bien le groupe d’assurance français et qui l’a mis en relation avec son patron actuel, Thomas Buberl.
J’ai appris en Italie à quel point il est important de s’adapter si l’on veut être accepté en tant que manager.
La famille Crédit Agricole
Au départ, pourtant, rien ne prédestinait ce juriste né à Pau, dans le sud-ouest de l’Hexagone, à conclure un tel deal. Encore moins sans doute à devenir patron d’une grande banque en Belgique. Adoubé de surcroît par un Flamand, Luc Versele, son prédécesseur à la tête de la banque. Fils de haut fonctionnaire dans l’administration française, Philippe Voisin grandit en effet en Afrique et en Corée du Sud. Après un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en droit public à l’Université de Paris II, complété par une spécialisation (DEA) en droit privé international à l’Université de Paris X, il démarre sa vie professionnelle chez Airbus. Mais il bifurque rapidement et se tourne vers le monde de la finance. Il rejoint le Crédit Agricole au début des années 1990. Le jeune banquier fait alors ses armes en région lyonnaise et en Bourgogne (Mâcon). Il monte ensuite à Paris pour développer les activités du groupe dans le crédit aux entreprises en Île de France (Saint-Denis). S’ensuit un passage par le pôle gestion d’actifs du groupe (Crédit Agricole Asset Management, aujourd’hui Amundi), où il fait la connaissance de Fathi Jerfel, actuel deputy CEO d’Amundi, qui “a su m’initier avec patience et enthousiasme aux arcanes des marchés financiers” et dont Philippe Voisin est resté proche.
Rester chez Crelan et en Belgique fut la décision la plus difficile de ma vie professionnelle. Mais je ne la regrette absolument pas.
La suite, c’est un retour au siège du groupe à Paris pour y occuper différentes fonctions de supervision au sein de la direction centrale, et où il fait la connaissance de hauts dirigeants actuels du groupe, Jérôme Grivet, Hervé Varillon et Philippe Brassac. C’est surtout le début d’une carrière internationale avec une mission de directeur des risques chez Cariparma, une filiale italienne. “Je suis arrivé dans une banque que je ne connaissais pas, mais aussi dans un pays avec une culture différente et une langue que je ne parlais pas. J’y ai appris à quel point il est important de s’adapter si l’on veut être accepté en tant que manager.” De cette période italienne, Philippe Voisin a d’ailleurs conservé de solides relations amicales avec plusieurs anciens collègues tels que Giampiero Maioli, patron de Crédit Agricole Italia, ou encore Corso Bavagnoli, aujourd’hui associé gérant chez Lazard, qui l’a conseillé sur l’opération Axa Banque. Au même titre que Gilles Graham, un ancien de la Royal Navy qui a fondé la banque d’affaires anglaise Delfinus.
De Parme à Anderlecht
De fil en aiguille, cette ascension au sein de la banque française l’amène à s’exporter à nouveau en 2012. Direction cette fois-ci la Belgique et le boulevard Sylvain Dupuis à Anderlecht, où se trouve le siège de Crelan. Pour le compte de sa maison mère française, le discret banquier est chargé d’assumer la fonction de chief risk officer. Une nomination qui intervient alors que les Français détiennent encore 50% de la banque coopérative belge. Le job amène Philippe Voisin à notamment faire la connaissance de Geert Noels, économiste et CEO de la société de gestion Econopolis, avec qui il déjeune désormais régulièrement.
Et puis, un jour, les Caisses
coopératives belges actionnaires de Crelan décident de reprendre les 50% des parts détenues par les Français.
Nous sommes alors en 2015. Et là, c’est un tournant dans la carrière de Philippe Voisin qui choisit de ne pas quitter Crelan et donc de rester en Belgique. “Ce fut la décision la plus difficile de ma vie professionnelle, nous raconte-t-il. Quitter la famille qui vous a formé n’a pas été simple. Mais le temps a fait son oeuvre et les choses se sont estompées. Et après coup, je ne le regrette absolument pas.” Et pour cause. Quelques années plus tard, en 2017, Philippe Voisin se voit proposer le poste de CEO et succède à Luc Versele à la tête de la banque, ce dernier devenant président du conseil d’administration.
Réseaux sociaux et restos
S’il dispose tout de même d’un compte notamment sur LinkedIn, Philippe Voisin n’est guère actif sur les réseaux sociaux. L’homme est d’un naturel discret. “Je comprends le potentiel, l’effet de levier, l’évolution sociologique pour une entreprise, mais s’afficher pour exister ne correspond pas à mes valeurs ni à ma nature.” Aux contacts digitaux, le CEO de Crelan préfère les rencontres autour d’une table qu’il affectionne. Non loin de chez lui, à Uccle. Installé depuis une dizaine d’années dans le quartier de l’Observatoire, il cite comme points de chute favoris Le Relais Saint-Job, sur la place du même nom, et Le Carpaccio, situé un peu plus loin, sur la chaussée de Waterloo.
Foire de Libramont et 21 Juillet
Pour le reste, côté jardin, ce Bruxellois d’adoption dont les deux enfants sont passés par le lycée français se plaît à vivre dans le quartier de l’Observatoire, à Uccle, non loin de la place Saint-Job. Passionné de foot et fervent supporter du Paris Saint-Germain, il s’adonne, quand son agenda le permet, aux joies du tennis de table. Membre du club de l’Alpa à Woluwe-Saint-Lambert, il a ainsi tissé des liens d’amitié avec le responsable de la formation des jeunes et ancien joueur de haut niveau Dirk Roels (70 ans et 58 saisons de tennis de table) “qui est devenu un ami proche”, confie-t-il avant d’ajouter: “J’essaie de m’entraîner une fois par semaine avec Dicky, mais je dois avouer que j’ai du mal à tenir le rythme. J’aime ce sport parce qu’il nécessite concentration, rapidité et ténacité. Et en plus, ici, l’environnement est très sympathique”.
Pour ce qui est des vacances, là, c’est toujours en août. Impossible en effet de rater la Foire agricole de Libramont dont Crelan est le principal sponsor. Il y croise bien évidemment chaque année la directrice Natacha Perat dont Jean-Paul Grégoire, membre du comité de direction de Crelan, est un grand ami. Pas question non plus de rater les festivités du 21 Juillet et son traditionnel Te Deum à la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule. “Quand vous êtes invité en tant que représentant d’une ancienne banque publique, ce qu’était l’INCA (Institut national de crédit agricole, Ndlr) avant de devenir le Crédit Agricole, il est de votre devoir de respecter les institutions”, juge l’intéressé en guise de conclusion.
Bruno Colmant, économiste (Roland Berger)
“Je connais Philippe depuis environ trois ans. C’est un ami commun qui nous a présentés. Nous nous voyons régulièrement, tous les trois mois environ, pour simplement échanger. Et donc pas du tout dans le cadre d’une relation commerciale. Nous déjeunons ensemble. A chaque fois, c’est très agréable. On parle de banque, d’économie, etc. C’est une personnalité extrêmement attachante, caractérisée par une grande intuition et beaucoup de perspicacité, malgré la réserve dont il peut faire preuve à certains égards. Il est vrai que c’est un homme qui ne se livre pas facilement et prend du temps pour apprécier les personnes. Il s’est d’ailleurs imposé avec finesse et persuasion dans les circonvolutions du monde financier belge dont il devient un acteur incontournable. C’est aussi quelqu’un de persévérant et de volontaire. Il sait ce qu’il veut et fait les choses sans s’énerver. C’est notamment grâce à ces qualités qu’il a pu réaliser le rachat d’Axa Banque. Un deal compliqué et une fusion bancaire qui ne sera pas simple à mettre en oeuvre. Mais je suis sûr qu’il parviendra à mener à bien le projet. Philippe est un banquier avisé qui connaît les règles du jeu et qui les applique avec doigté.”
Jacques Borlée (Borlée Group)
“Humainement, c’est quelqu’un d’extraordinaire. Crelan est sponsor de mes enfants depuis 11 ans. Je connais très bien Luc Versele qui est notre premier supporter et qui lui a passé le témoin en tant que CEO. Philippe reste dans la continuité et l’esprit familial de la banque. C’est un véritable amoureux du sport et de ses valeurs, ce qui n’est pas chose courante dans les hautes sphères de la société française. Il n’est pas du tout snob. Ensemble, nous parlons des difficultés auxquelles nous sommes confrontés et la manière d’y faire face. Moi dans mon métier d’entraîneur d’athlètes de haut niveau. Lui dans son métier de banquier. Son niveau de résilience est d’ailleurs incroyable. Il a l’art de travailler avec les personnes qui apportent une vraie valeur ajoutée. Quant à la discrétion, c’est une de ses grandes qualités.”
Olivier de Groote (ex-Deloitte)
“Philippe forme avec son président du conseil, Luc Versele, un tandem très complémentaire. Si les deux hommes ont des différences, ils ont aussi leurs ressemblances. Tous les deux ont de fortes valeurs et y restent fidèles. En outre, ils partagent cette capacité à fixer un cap et à s’y tenir. Philippe est tenace. Contre vents et marées, il fera tout pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. De par mes activités professionnelles et mon parcours de consultant spécialisé dans le secteur bancaire l’ayant accompagné sur certains projets, c’est la grande caractéristique que je lui connais, en plus d’être toujours juste et très bon sur le plan technique. Il maîtrise à fond la mécanique bancaire. Tout cela fait de lui un homme qui aime réaliser de belles choses. Ambitieux mais pas carriériste, donc. Ce n’est pas le patron de banque le plus connecté: Crelan joue davantage la carte de la proximité.”
Geert Noels (Econopolis)
“C’est à l’occasion de la vente de la banque en ligne Keytrade au Crédit Mutuel Arkéa (groupe bancaire mutualiste en France, Ndlr) que j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec lui. A l’époque, j’intervenais dans le dossier en tant que conseiller du conseil d’administration de Crelan. A ce moment-là, Philippe n’était pas encore CEO de la banque mais j’avais des contacts avec lui puisque en tant que chief risk officer, il faisait partie du management. Entre les réunions, il nous est souvent arrivé de boire un café ensemble à la cuisine. Je me suis toujours bien entendu avec lui. Mes liens familiaux avec la France ont sans doute contribué à faciliter le contact. Depuis, nous déjeunons assez régulièrement ensemble, du côté de Neerpede. Il n’y a jamais d’agenda particulier. Nous discutons de l’actualité bancaire et financière, des opportunités du secteur, etc. Philippe sait qu’il peut m’appeler quand il veut pour avoir un avis. En tant que CEO, il apprécie les personnes qui ne pratiquent pas la langue de bois. Et puis, bien sûr, Econopolis et Crelan sont partenaires de longue date dans la gestion de fonds. Philippe sait donc aussi que je connais la maison depuis longtemps.”
Dirk Roels (ex-champion de tennis de table)
“C’est grâce au tennis de table que j’ai eu la chance de rencontrer Philippe. En tant que responsable de l’encadrement technique et sportif du club de l’Alpa, j’ai donné cours à son fils. Philippe le conduisait tous les samedis matins à l’entraînement. Au fur et à mesure, nous avons sympathisé. Petit à petit, j’ai réussi à gagner sa confiance. Peut-être parce que je n’ai jamais utilisé mon statut d’ancien joueur de haut niveau (ex-sixième joueur belge, dix-huit fois champion de Belgique toutes catégories confondues, etc., Ndlr) pour obtenir quoi que ce soit de sa part. Ce que j’apprécie chez Philippe? Sa simplicité. Vous savez, je suis issu d’une famille nombreuse et d’un milieu modeste. Je n’ai pas beaucoup d’instruction. Mais je me suis beaucoup battu dans la vie. Comme joueur et formateur, j’ai toujours fait cela après mes heures de travail, quand j’étais notamment responsable de l’épandage des routes en hiver à la Région bruxelloise. C’est pour vous dire si nos parcours sont totalement différents. Malgré cela, Philippe a toujours été à l’écoute et bienveillant à mon égard. Il y a aujourd’hui une très grande complicité entre nous. On s’invite régulièrement pour aller manger un bout au Relais Saint-Job, à Uccle. Mais ne me demandez pas un scoop! Ses confidences, je les garde pour moi. Je respecte trop Philippe pour cela: c’est un homme qui a beaucoup de classe.”
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