Carte blanche

Le bitcoin est-il prêt à se conformer au programme mondial de développement durable ?

Le développement durable est désormais un thème omniprésent, d’une urgence indubitable. Si nous voulons éviter une hausse catastrophique des températures à l’échelle de la planète, il nous faut d’urgence diminuer nos émissions. Quasiment tous les secteurs –en ce compris le secteur industriel, gros pollueur traditionnel — modifient leurs pratiques. Il y aura par contre toujours une dissidence qui ne se comportera pas comme elle le devrait. Dans le cas présent, les regards se tournent tout naturellement vers le bitcoin…

Le bitcoin fait sans doute figure de porte-drapeau de l’innovation numérique récente et se positionne à la pointe de la crypto-révolution, ayant démontré qu’il peut promouvoir l’inclusion financière et provoquer une révolution dans la manière dont nous effectuons des transactions interpersonnelles. Toutefois, le bitcoin a adopté une posture à ce point perturbatrice qu’il ne semble pas avoir pris connaissance du mémo sur le changement climatique mondial. Sa consommation énergétique est énorme. Si le monde veut réellement s’attaquer sérieusement au changement climatique mondial sans pour autant sacrifier notre envie de devise numérique, un changement s’avère nécessaire.

Une manière foncièrement insensée de consommer de l’énergie

Sir Tim Berners-Lee, un homme qui s’y connaît un tant soit peu en matière d’innovation numérique, va jusqu’à décrire le minage de bitcoins comme “l’une des manières foncièrement les plus insensées de consommer de l’énergie”. Si l’on s’intéresse aux chiffres, il est difficile de ne pas être de cet avis. Le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index estime que le bitcoin, le réseau de crypto-monnaie le plus actif, consomme environ 136,38 térawattheures d’électricité chaque année — plus que les Pays-Bas, l’Argentine ou les Emirats Arabes Unis. Une autre estimation effectuée par Digiconomist, un site d’analyse des crypto-monnaies, situe la barre à 204,5 térawattheures. Ce qui correspond à environ 2.145 kilowatts/heure d’électricité par transaction, soit autant que la consommation d’un ménage américain moyen pendant 73,52 jours.

Le bitcoin n’est pas le seul à négliger l’environnement. On estime ainsi qu’Ethereum, le deuxième plus important réseau de crypto-monnaie, consomme 112,6 térawattheures d’électricité chaque année. Cela représente davantage d’énergie que ce dont la Belgique a besoin sur base annuelle ! Et il existe encore bien d’autres crypto-monnaies. Ce qui signifie que la quantité d’énergie consommée par leur minage devrait vraisemblablement augmenter au fil des ans si l’on considère que les prix et le taux d’adoption par les utilisateurs continueront de progresser.

L’impact environnement n’est pas une priorité

On ne saurait nier les effets négatifs qu’a l’essor du bitcoin sur l’environnement. Les initiateurs du bitcoin ont commis une erreur naïve en basant la crypto-monnaie sur une blockchain de type “proof of work” — un processus qui s’appuie sur le “minage” et qui exige d’énormes réserves de puissance de calcul. Ce processus requiert par ailleurs un flux fiable, bon marché et constant d’énergie afin de pouvoir fonctionner, ce qui, malheureusement, peut uniquement être assuré par des sources d’énergie disponibles en permanence, tels que des combustibles fossiles.

Le système est conçu de telle sorte qu’il s’avère quasiment prohibitif (bien que pas impossible) pour un seul protagoniste bien financé de prendre le contrôle d’un crypto-réseau entier. En minimisant un problème, les pères du bitcoin en ont donc provoqué un autre, encore plus grand. La vertigineuse consommation d’énergie du bitcoin démontre que lorsque nous innovons ou implémentons de nouvelles technologies chatoyantes, nous ne donnons pas toujours la priorité aux conséquences pour l’environnement ou que nous n’en tenons compte qu’au début. L’actuelle crise énergétique et environnementale démontre qu’il est urgent de changer cette mentalité. Dès lors, que pouvons-nous faire ?

Des ressources plus durables

Le bitcoin et d’autres monnaies basées sur les blockchains “proof of work” doivent basculer vers des ressources plus durables. Cela ne se produira pas du jour au lendemain – sans doute jamais en totalité – mais nous commençons néanmoins à assister à l’une ou l’autre évolution positive. L’approvisionnèrent énergétique du Paraguay, par exemple, est presque totalement basé sur des sources d’énergie hydro-électrique. Cela signifie que les bitcoins qui sont minés au Paraguay, le pays qui affiche également le plus haut pourcentage d’énergie renouvelable par tête d’habitant, ont une empreinte CO2 inférieure aux bitcoins qui sont exploités dans des pays tributaires de combustibles fossiles. C’est pour cette raison que le Paraguay croit pouvoir devenir le crypto-pôle de l’Amérique latine.

A l’avenir, le désir de généraliser le bitcoin accélèrera sans doute également la quête d’une réduction des coûts pour la stockage d’énergies renouvelables. Par ailleurs, les mesures prudentes que prennent les gouvernements en vue de faire du bitcoin un moyen de paiement légal conduiront potentiellement à la mise en oeuvre d’un cadre mûrement réfléchi pour le minage de crypto-valeurs ainsi que de sanctions en cas de violation des normes environnementales.

Conception verte

Toutes les crypto-devises n’impliquent pas les mêmes conséquences néfastes pour l’environnement que ne le fait le bitcoin. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une crypto-monnaie de conception verte. Il est dès lors crucial que nous donnions la priorité à l’élaboration d’un écosystème blockchain plus durable qui soit stable tant en termes écologiques que financiers. C’est là qu’interviennent les blockchains “proof of stake” (preuve d’enjeu ou d’intérêt).

Dans le cadre d’un tel système, le minage est remplacé par la “mise en jeu” : cela implique qu’un réseau de “validateurs” contribuent à leur propre crypto. Ils le font en échange d’une opportunité de valider de nouvelles transactions, de mettre la blockchain à jour et de récolter une récompense. Dans la mesure où cela élimine le minage et qu’il ne s’agit pas d’un processus dupliqué (avec différentes ressources se concurrençant afin de résoudre le même puzzle), cette méthode ne consomme pas des quantités superflues d’énergie. Nous avons par exemple assisté à des progrès importants du côté d’Ethereum qui désire migrer la totalité de son écosystème proof of work vers Etherium 2.0, un système proof of stake. L’Ethereum Foundation, l’organisation qui est à la base de la crypto-monnaie Ethereum, déclare même que les coûts d’énergie de chaque transaction peuvent ainsi être diminués de 99,95%.

De nombreux acteurs du secteur désirent faire en sorte que toute l’énergie qui est consommée par le secteur soit entièrement sans carbone. En avril 2021, les trois principales organisations du secteur (l’Energy Web Foundation, le Rocky Mountain Institute et l’Alliance for Innovative Regulations) ont donné naissance au Crypto Climate Accord, soutenu par des organismes venant des secteurs climatique, financier, énergétique et des ONG. Le but de l’accord est de “décarboner le secteur en un temps record” et d’atteindre un niveau zéro émission nette dans le secteur crypto mondial d’ici 2030.

La charge environnementale du bitcoin

La charge environnementale du bitcoin et d’autres blockchains proof of work est révélatrice de la nécessité qu’il y a pour nous de ne jamais jauger l’innovation dans une perspective à court terme. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un grand défi en termes de développement durable, défi provoqué par l’homme et qui, avec un minimum d’anticipation, aurait pu être évité.

Mais de la même manière que la technologie a été source d’un problème, elle peut également contribuer à le résoudre. Les énergies renouvelables, des blockchains proof of stake et d’autres nouvelles innovations sont à notre portée. La question est toutefois de savoir si le bitcoin est prêt à s’aligner sur le programme mondial de développement durable.

Par Joe Baguley, VP & CTO EMEA, VMware

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