Laurent Arnauts: “FTX? Oui, nous examinons le dossier”
L’avocat qui avait défendu les minoritaires de Fortis pourrait monter au créneau dans le dossier FTX.
La faillite de la plateforme de cryptomonnaies FTX et les 1 ou 2 milliards de dollars évaporés au détriment de ses clients continuent de faire des vagues. Aux États-Unis, des class actions viennent d’être lancées contre Sam Bankman-Fried, le fondateur de la plateforme, mais aussi des célébrités qui comme Tom Brady, Gisele Bundchen ou Naomi Osaka. Les investisseurs floués réclament 11 milliards de dollars.
En Belgique aussi, des investisseurs se mobilisent et contactent des avocats. Laurent Arnauts, qui avait été en première ligne dans le dossier Fortis, nous le dit : “Oui des gens en Belgique se sont brûlé les doigts. Oui on nous pose des questions et oui, nous sommes en train d’examiner des dossiers”. Maintenant, voir si ces dossiers aboutiront à une procédure, c’est encore autre chose, car pour l’instant, il subsiste encore beaucoup de zones d’ombre.
Un premier angle d’attaque pourrait être la publicité qui a été faite pour ce type d’investissement en Belgique. “FTX relève d’un droit exotique (la société est incorporée à Antigua) et on ignore s’il reste encore beaucoup d’actifs. Néanmoins, explique Laurent Arnauts, pas mal de publicité a été réalisée sur le territoire belge. Or, il existe un certain nombre de dispositions que nous sommes en train d’examiner, qui protègent le consommateur de services financiers en Europe”.
Comme en 2008
Le noeud du problème reste toutefois d’évaluer le dommage, poursuit Laurent Arnauts qui discerne dans le dossier FTX des similitudes avec celui de la crise financière de 2008.
Comme à l’époque, nous faisons face à ce stade à un problème avéré de liquidités. Il y a peut-être un problème de solvabilité, qui se posera plus tard, mais comme en 2008, il convient de bien faire la distinction entre les deux”.
Une seconde similitude est l’absence de transparence. “La question est de savoir où est parti l’argent. Tout n’est vraisemblablement pas parti en fumée”. Mais pour avoir une idée de ce qui s’est évaporé, il faut plonger dans les arcanes du système FTX.
FTX est une plateforme de trading. “Au départ, elle ne devrait donc encourir des problèmes qu’à la marge. Mais FTX s’est servi de son activité de base comme d’un tremplin pour créer une monnaie maison, un jeton numérique, le FTT, qui avait une circulation quasi nulle en dehors de la plateforme de trading”.
Comment ce jeton inutile a-t-il pris de la valeur, jusqu’à valoir plus de 80 dollars fin de l’an dernier? De trois façons, répond Laurent Arnauts “Le système encourageait les utilisateurs à investir et à passer par la “monnaie maison”, le FTT, pour effectuer leurs opérations, à l’image des “monnaies” des jeux vidéo. On associait au FTT un certain nombre de droits et d’avantages, comme des remises sur les frais de transaction, poussant donc les utilisateurs à se procurer ces FTT.”
Ensuite, la valeur a également été créée au travers d’opérations réalisées avec certains actionnaires, et notamment la prise de participation de 20% de Binance dans FTX (Binance ne voyait pas encore la société comme un concurrent). Cette opération a été liquidée en monnaie FTT (c’est ce qui explique que Binance avait un bloc de jetons, NDLR). Cela donnait l’impression qu’il y avait un volume de “monnaie FTX”, mais en réalité les FTT n’avaient pas de marché extérieur, au contraire du bitcoin par exemple.
Et puis, FTX lui-même s’est posé comme chevalier blanc en utilisant sa monnaie pour sauver d’autres acteurs en difficulté. “Mais là encore, avec une prime attachée. Ces sociétés sauvées recevaient du cash, mais sous condition qu’une partie de ce cash revienne à FTX sous forme d’achats de FTT. Ce sont, poursuit Laurent Arnauts, les trois sources que j’ai pu identifier et qui font que l’on a pu créer un marché artificiel du FTT”.
L’argent récolté lors de la vente de FTT est allé apparemment à Alameda, la société de trading société soeur de FTX. “Cette structure parallèle a emprunté a FTX pour faire deux sortes d’investissements, poursuit l’avocat. Des bons investissements dans des entreprises qui n’avaient rien de crypto et des investissements de l’ordre du sauvetage dans les entreprises liées à la crypto monnaie, créant une gigantesque bulle autour de ces FTT. On a créé un marché du FTT artificiel, un peu comme en bourse on peut avoir des ordres fictifs pour faire croire qu’il y a une activité autour d’un titre”.
Évidemment, le système s’est effondré quand Binance a vendu ses FTT. On ignore les motivations de la cession par Binance de ses FTT, mais certains y voient comme un “règlement de compte à OK Corral”, note encore Laurent Arnauts.
Reste-t-il encore quelque chose ?
C’est la question qui hante les investisseurs. FTX s’est placée sous le chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, “ce qui n’est pas une mauvaise chose, souligne Laurent Arnauts, car elle permet à un tiers de confiance d’être mandaté pour réaliser éventuellement des actifs ou pour restructurer l’entreprise et faire face à la crise de liquidité. J’ai l’impression qu’il y a certains actifs qui sont tout à fait valables, poursuit-il. Et c’est peut-être cela qui explique la folle prétention du fondateur, Sam Bankman-Fried, qui cherche encore aujourd’hui 8 milliards pour sauver FTX. Certes, personne ne va mettre 8 milliards dans une société qui a des problèmes de solvabilité. Par contre, on peut l’envisager pour une société qui a un problème de liquidités”.
Il faut être prudent, récolter davantage d’informations et attendre de futurs développements. Mais Laurent Arnauts note que chez Madoff, autre grande fraude, les curateurs ont retrouvé des actifs significatifs.
Mais aujourd’hui, déterminer un dommage n’est pas encore évident puisqu’il y a un gel des avoirs et une restructuration qui peut mener à une reprise de l’entreprise, à de nouveaux investissements, ou à la réalisation des investissements existants. Une certitude concerne la perte sur les FTT, qui ne valent plus rien.
“A ce stade nous disons aux clients d’attendre de voir l’étendue effective des dégâts“, dit Laurent Arnauts.
Pire qu’Enron
Peu après notre discussion l’avocat, ce jeudi soir, le curateur de FTX, John Jay Ray III a publié un premier rapport. Accablant pour le management, il n’est pas vraiment rassurant pour les clients floués. “Jamais dans ma carrière je n’ai vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d’une entreprise et une absence aussi flagrante d’informations financières fiables”, note le curateur, qui en a vu pourtant bien d’autres puisque c’est déjà lui qui s’était occupé de la faillite frauduleuse d’Enron en 2001.
Le document souligne les liens incestueux entre les deux sociétés soeurs, Alameda Research et FTX, et leur fondateur, Sam Bankman-Fried. On voit par exemple qu’Alameda Research a prêté 1 milliard de dollars à SBF et 2,3 milliards à Paper Bird, une société également détenue par le fondateur de FTX.
Des mécanismes qui font dire au curateur que si selon les déclarations d’Alameda, la société disposerait de 13,46 milliards d’actifs, il n’a toutefois “aucunement confiance dans ces bilans”.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici