Jef Van In (AXA): “Des années difficiles attendent le secteur de l’assurance”

© Franky Verdickt
Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

Axa Belgique, numéro un dans le domaine des assurances de dommages en Belgique, entend bien croître dans tous les canaux de distribution. Mais l’atonie des taux d’intérêt pèse sur le bénéfice, rappelle Jef Van In, son CEO. Sans compter que la crise climatique menace.

Voilà cinq ans que Jef Van In dirige Axa Assurances, la filiale belge du groupe d’assurance français. L’ancien banquier, passé notamment par ING, est réputé pour être un cost cutter. Il a d’ailleurs d’emblée frappé très fort, en procédant dès son entrée en fonction à une restructuration qui a fait passer 650 postes à la trappe. Axa a également cessé de commercialiser des assurances-vie individuelles ; ses produits Crest remportaient pourtant un franc succès. Cinq ans plus tard, Jef Van In explique en quoi ces coupes sombres étaient nécessaires: “La numérisation faisait son chemin. Nous avions besoin d’autres profils. Tout le monde a qualifié la restructuration d’assainissement pur et dur ; la réalité est qu’Axa investit considérablement depuis plusieurs années dans le capital humain. C’est vrai, 650 personnes sont parties, mais nous en avons recruté un millier d’autres. Ce qui nous a permis de concevoir tous nos processus en fonction du client et de l’expérience client”.

La décision de ne plus commercialiser d’assurances-épargne à destination des clients particuliers s’explique par la faiblesse des taux d’intérêt. “Nos modèles internes peuvent calculer très exactement la rentabilité de nos produits sur cinq ans, dit-il. Il était évident que les taux d’intérêt allaient baisser et que les assurances-épargne de la branche 21 ne rapporteraient quasiment plus rien – pas seulement à nous, mais aussi au client et à l’intermédiaire. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous concentrer entièrement sur les assurances de dommages, pension et santé.”

Profil

  • 2002: entre comme directeur commercial chez ING Banque
  • 2006: part à Kiev où il lance une filiale de retail banking pour ING
  • 2009: revient en Belgique où il officie en tant que program director chez ING
  • 2011: devient CEO d’Axa Banque Belgique
  • 2016: est nommé CEO d’Axa Belgique

TRENDS-TENDANCES. Cette décision d’abandonner les assurances-vie individuelles a été passablement critiquée à l’époque.

JEF VAN IN. Or, depuis, presque tout le monde nous a emboîté le pas… Un taux d’intérêt nul ne permet tout simplement pas de couvrir les dépenses, de rémunérer le distributeur et d’offrir au client du rendement après huit ans. Axa continue à proposer des produits des branches 21 et 23 dans le cadre des plans de pension: là, l’horizon d’investissement est suffisant. Mais pour les versements uniques, tout cela n’a plus de sens. Cette décision nous a permis de libérer énormément de capitaux et de multiplier par deux le rendement des capitaux propres.

Comment Axa Belgique a-t-elle vécu l’année 2020? Quelles ont été les conséquences de la pandémie sur ses résultats?

Financièrement, la pandémie a eu un effet neutre. Les accidents de voiture ont été moins nombreux, mais plus graves. Cela fait par ailleurs plusieurs années que le coût moyen des réparations augmente fortement: les véhicules sont désormais truffés de capteurs et d’électronique, beaucoup plus chers à remplacer. Nous constatons également une augmentation du nombre d’accidents de vélo ( lire l’encadré “Plaidoyer pour des aménagements cyclables”).

Reste que le plus grand problème est celui des taux d’intérêt. La crise sanitaire les a fait tomber à zéro, même sur de très longues périodes. Le rendement du portefeuille d’investissement est donc dérisoire, et la tendance va en s’accentuant. Des années difficiles attendent le secteur de l’assurance: les taux bas vont structurellement peser sur les résultats et nous obliger à constituer davantage de provisions en accidents du travail et en auto.

A long terme, quel principal défi vous attend?

Le réchauffement du climat. Les phénomènes climatiques extrêmes ont d’importantes conséquences sur les résultats des assureurs. C’est une des raisons pour lesquelles le groupe Axa a très tôt décidé d’opérer une transition vers l’économie verte. Il a dès 2015 choisi de ne plus investir dans l’industrie du charbon et de ne plus assurer les entreprises qui lui sont liées. Aujourd’hui encore, Axa continue à vouloir jouer ce rôle de chef de file. La pandémie n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend en termes de risques climatiques, lesquels pèseront très lourdement sur plusieurs générations. A l’heure actuelle, nous oeuvrons surtout à l’élaboration d’une norme et d’une taxonomie européennes ; ce n’est que lorsqu’elles feront consensus que nous pourrons commencer à investir dans des travaux d’infrastructures écologiques et durables. Des assureurs comme Axa sont véritablement partisans d’avancées dans ce domaine.

Où en est le processus de numérisation d’Axa Belgique?

Nous avons incroyablement progressé. Tous les processus sous-jacents s’opèrent désormais en mode mobile first. L’an passé, tout a été regroupé dans un nouveau site internet, qui permet à la clientèle particulière de se faire indemniser rapidement et facilement, sans administration. Cette possibilité sera offerte aux PME d’ici la fin de l’année également. A partir de là, un banal accident du travail sera réglé en un rien de temps, au lieu d’exiger des tonnes de papier. L’intelligence artificielle va nous permettre d’automatiser et d’accélérer davantage encore le processus.

Axa utilise donc un site web, pas une appli?

Jef Van In (AXA):
© Franky Verdickt

Pour les assureurs, un site est plus pratique. Les clients y ont recours deux fois par an tout au plus, alors qu’ils ouvrent leur application bancaire pour payer ou pour consulter leurs comptes plusieurs fois par semaine, voire par jour. Nous avons préféré combiner l’utilisation d’un site de qualité avec l’identification par itsme. Itsme a permis aux assureurs de combler le désavantage historique qu’ils avaient sur les banques: nous savons nous aussi désormais immédiatement qui est actif sur le site.

Axa développe des canaux numériques grâce auxquels elle est immédiatement en contact avec ses clients. Simultanément, elle reste fidèle à ses courtiers. Ces deux approches sont-elles vraiment compatibles?

Nous privilégions un modèle hybride. Chaque assurance souscrite par l’intermédiaire du site aboutit dans le portefeuille d’un courtier. La commission est fixée à la moitié de la commission normale, mais le courtier peut profiter de l’opportunité pour proposer d’autres produits à l’assuré. Cette dynamique est désormais résolument enclenchée et les courtiers en perçoivent de plus en plus clairement les avantages. Les clients qui passent par le site sont 10 ans plus jeunes en moyenne que la clientèle des courtiers et 70% d’entre eux n’ont pas de courtier. Nos courtiers comprennent donc qu’ils tiennent là une occasion peut-être unique de les approcher.

Quelle est la position d’Axa à l’égard des nouveaux acteurs numériques, comme Independer, le site de comparaison et de courtage de DPG Media?

Le groupe voit à l’échelon local s’il existe des possibilités de collaborer avec des comparateurs de prix. Il conclut des accords dans certains pays mais pas dans tous. En Belgique, il a décidé d’autoriser l’assureur direct Yuzzu ( ex-Touring Assurances, Ndlr), filiale entièrement autonome d’Axa Belgique, à collaborer avec de tels acteurs. Le nom d’Axa, en revanche, ne sera pas associé à des initiatives de ce type.

Le canal bancaire, par contre, vous intéresse – on songe ici à la fusion envisagée entre Crelan et Axa Banque.

La banque est un excellent canal de vente des produits d’assurance aux particuliers. J’estime qu’en cinq ans, nous avons multiplié par plus de deux notre empreinte dans la bancassurance. Grâce à l’accord entre Crelan et Axa Banque bien sûr, mais aussi au contrat exclusif conclu avec ING à propos de l’offre d’assurances dommages aux entreprises.

Si on était courtier, on dirait qu’Axa cherche à manger à tous les râteliers…

Les journaux et les magazines se vendent pourtant en magasin et en ligne, eux aussi! Chaque entreprise tente d’exploiter autant de canaux de distribution que possible. Et chaque canal doit prouver sa valeur ajoutée. Ce qui fait la valeur ajoutée du courtier, c’est son expertise, sa présence locale, sa spécialisation, et sa disponibilité pour le client.

Où en est l’accord entre Crelan et Axa Banque?

Pour user d’une image: le compromis est signé, mais nous ne sommes pas encore passés devant le notaire. Le notaire étant la Banque centrale européenne, dont nous attendons le feu vert. Indépendamment de la fusion bancaire, Axa a conclu avec Crelan un accord de distribution, dont la mise en oeuvre est d’ores et déjà entamée.

Pourquoi cet accord est-il si important?

Pour trois raisons. Quand il aura cédé son unique filiale bancaire, le groupe Axa va pouvoir se concentrer exclusivement sur les assurances. Axa Belgique a multiplié par deux sa distribution de produits d’assurance via la banque, ce qui a fait de lui un des principaux assureurs dans ce canal. Enfin, les économies d’échelle ainsi générées vont permettre à la banque issue de la fusion de se profiler résolument dans le paysage belge.

L’encaissement d’Axa Belgique stagne depuis plusieurs années. Pourquoi?

Le marché de l’assurance belge est mature. A cela s’ajoute le fait que les prix de certaines assurances, par exemple en auto, baissent. Axa Belgique enregistre dès lors une augmentation du nombre de ses clients, mais pas de son chiffre d’affaires. Mais comme nous maîtrisons parfaitement nos dépenses et que nous affectons plus efficacement les capitaux, nous avons multiplié le rendement de nos capitaux propres par deux. Ce qui constitue le principal paramètre pour l’actionnaire.

D’où viendra la croissance, à court et moyen terme?

Nous avons réussi à pénétrer de nouveaux marchés ces dernières années. Je parle par exemple du secteur public. Notre nouveau plan stratégique s’articule autour de quatre pôles de croissance: les assurances des entreprises, tout ce qui tourne autour des assurances-santé, le secteur public et enfin, la numérisation, levier qui va nous permettre de croître sur le marché de la clientèle particulière. Les clients s’adressent à nous non pas parce que nous sommes les moins chers, mais parce que nos canaux numériques offrent des solutions simples et faciles à utiliser. Une voie dans laquelle nous allons continuer à creuser.

“Plaidoyer pour des aménagements cyclables”

Une fois par semaine, Jef Van In enfourche son vélo pour se rendre au travail. Depuis Hove, dans la province d’Anvers, jusqu’à la porte de Namur à Bruxelles, cela représente une quarantaine de kilomètres. C’est surtout la fin du trajet, dans le centre de la capitale, qui est un cauchemar, déplore-t-il: “Il faut améliorer de toute urgence les aménagements cyclables à Bruxelles. Si la Région veut vraiment instaurer un péage pour les voitures, elle doit investir dans les autres moyens de transport!”

L’augmentation du nombre d’accidents de vélo recensée l’an passé inquiète Jef Van In. “Les cyclistes sont moins bien protégés que les automobilistes, rappelle-t-il. Un accident de vélo entraîne souvent de nombreuses blessures. Il nous arrive de devoir constituer pour un à deux millions d’euros de provisions pour un seul sinistre. La société doit absolument pouvoir éviter cela car en fait, aucun moyen de transport n’est plus efficace que le vélo.”

“Donner impérativement les mêmes chances aux femmes”

Axa Belgique est peut-être le seul organisme financier du pays à avoir concrétisé le principe de l’égalité des genres au sommet de la hiérarchie. “Le comité de direction est composé de cinq hommes et cinq femmes, confirme Jef Van In. Chez les cadres, le rapport est de 60/40, mais l’équilibre sera atteint d’ici deux ans. Sur ce plan, nous sommes une exception dans le secteur financier. C’est la raison pour laquelle je soutiens la proposition d’Ecolo d’instaurer des quotas au sein des comités de direction: quand les choses évoluent trop lentement, les quotas peuvent s’avérer utiles. Nous en avons eu la preuve dans le secteur public.”

Jef Van In dit ne pas comprendre pourquoi les entreprises ne donnent pas plus de chances aux femmes. “Pour moi, la question n’est pas de savoir si une société à la tête de laquelle se trouvent davantage de femmes serait mieux ou plus efficacement gérée: il est tout simplement plus agréable, et important pour la culture de l’entreprise, d’avoir des équipes mixtes. Tout le monde doit être traité de la même manière et se voir proposer les mêmes chances. C’est vrai sur le plan non seulement du genre, mais aussi des préférences religieuses et sexuelles et des origines. Axa veut être un reflet de la société.”

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