Trump hante déjà les marchés boursiers européens

Donald Trump et J.D. Vance © Getty Images

Un effet Trump pèse sur les bourses européennes, aujourd’hui déjà. S’il est élu président des États-Unis  – ce qui serait le scénario le plus probable – il devrait instaurer des taxes qui nuisent à l’économie européenne et mondiale. Entretien avec Mathieu Savary, expert des marchés européens pour BCA Research.

Trends-Tendances : Peut-on déjà sentir un impact de la possibilité que Donald Trump gagne les élections sur le marché européen aujourd’hui ? Combien représente cet impact ?

Mathieu Savary : “On commence à voir l’impact de Trump sur les actifs européens. Cela se traduit par une sous-performance accrue depuis le mois de mai et en particulier le mois de juin. C’est relié aux positions que prend Trump sur la guerre commerciale et aux tarifs qu’il veut imposer à la Chine ou à l’Europe. L’incertitude politique augmente au niveau mondial, ce qui est historiquement un frein pour la croissance mondiale.

Les actifs européens sont beaucoup plus sensibles à la croissance mondiale que les actifs américains, notamment à cause d’éléments sectoriels : les indices européens sont sur-pondérés avec des secteurs beaucoup plus cycliques. Cela a donc probablement soustrait, en termes relatifs, 5 à 6% à la performance des actifs européens, par rapport au cours des actifs américains.”

Quels sont les principaux risques pour l’économie européenne si Trump était élu ?

“Le principal risque est qu’il recommence une guerre commerciale. Il y a plusieurs niveaux. Le plus probable est une accentuation de la guerre commerciale avec la Chine : il mettrait en place des taxes de 60% sur les importations chinoises aux États-Unis. Pékin répondrait avec des taxes sur les exportations américaines vers la Chine. Si la Chine et les États-Unis entrent dans une guerre commerciale aussi agressive, cela nuirait à leur croissance. Étant donné leur poids dans l’économie mondiale, cela nuirait aussi à la croissance mondiale. Voilà le premier problème pour l’économie européenne.

Le deuxième est le risque que Trump mette en place des taxes vis-à-vis de l’Europe directement, comme c’était le cas en 2018 avec l’acier et l’aluminium. Ce serait un second frein significatif à la croissance, qui vient s’ajouter au premier.”

(Dans un rapport sur le sujet, Savary note également qu’une guerre commerciale entre Washington et Pékin fait fortement augmenter les exportations chinoises vers l’Europe. Ce qui creuse le déficit commercial de l’Europe et nuit aux entreprises locales.)

Quels sont les secteurs les plus à risque ?

Le secteur industriel, comme le secteur des métaux et des matériaux, est le plus à risque. Il est le plus sensible à la croissance, et se trouve le plus dans la ligne de mire de Trump. Il veut créer des emplois dans le secteur manufacturier américain, ce qu’il fera soit en créant des avantages pour les compagnies américaines, soit en créant des incitants pour que les entreprises européennes investissent et construisent des usines aux États-Unis.

L’autre secteur qui nous inquiète, c’est l’automobile. ll fait déjà face à un handicap puissant, qui est l’électrification, où l’Europe est à la traîne face à la compétition chinoise. C’est un secteur qui risque aussi d’être visé par Trump. Il veut voir plus de production automobile aux États-Unis. Mais si les marques sont incitées à produire plus aux États-Unis, c’est un problème pour les actionnaires. Cela ne serait pas négatif en termes de ventes, mais demande un investissement important. Pour financer la construction d’une usine, l’entreprise va devoir utiliser des flux de trésorerie importants ou faire une dilution et vendre des actions. Dans un cas comme dans l’autre, la situation est assez négative.”

Certains disent que le secteur des énergies renouvelables pourrait souffrir sous Trump, car il pourrait annuler des projets d’installation d’éoliennes par exemple, et ces derniers sont souvent remportés par des entreprises européennes.

“C’est un risque, oui, mais il est moins important et moins direct que pour les autres secteurs mentionnés. Trump parle d’annuler l’IRA (Inflation Reduction Act, programme de subsides pour les technologies vertes, entre autres, NDLR) de Biden. Mais de l’autre côté de l’équation, Trump ne veut pas créer plus de dommages au secteur industriel américain. Une annulation complète est donc peu probable, mais des changements le sont. Le secteur du renouvelable européen souffre déjà de la compétition avec la Chine, et cet élément est déjà assez négatif pour les perspectives.”

A quel impact chiffré peut-on s’attendre si Trump était élu président, en termes de croissance du PIB et des résultats des entreprises ?

“Une guerre commerciale complète pourrait soustraire jusqu’à 4,5% de la croissance du PIB mondial, sur les deux à trois ans à venir. C’est un effet très significatif. L’effet sur l’Europe serait un peu moindre, mais quand même important ; il pourrait soustraire 2% de la croissance, sur les trois années à venir. Mais il reste beaucoup d’incertitude autour du degré. Dans un scénario où les taxes sont concentrées sur la Chine, et certaines exportations européennes mais en ne dépassant pas 10%, l’effet serait de 0,5% pour la croissance et de 5% sur les profits des entreprises.”

(Dans le rapport, BCA note également qu’avec Trump à la Maison blanche, l’euro devrait retomber à la parité avec le dollar, voire tomber en dessous).

La désignation de Kamala Harris comme candidate démocrate change-t-elle quelque chose aux perspectives ?

“Marginalement oui. Mais mes collègues analystes de la géopolitique continuent à voir un avantage pour Trump. Il y a deux facteurs qui expliquent cela. Le premier est qu’il y a beaucoup de candidats qui ne sont pas démocrates ou républicains. Kennedy Junior est le plus connu, par exemple. Ils devraient soustraire plus de votes aux démocrates qu’aux républicains, car historiquement, ils nuisent toujours au parti au pouvoir. Le deuxième est la conjoncture économique. BCA s’attend à une récession en 2025 aux États-Unis et il y a des signes que l’emploi commence à se détériorer. Historiquement, les conditions de l’emploi sont une sorte de référendum du parti au pouvoir. Et les ménages continuent à sentir plus pauvres qu’avant l’explosion de l’inflation, car les prix restent élevés. C’est un ensemble de circonstance qui nuit au parti au pouvoir et qui fait que les probabilités que Trump gagne dépassent les 50%.

Il reste un facteur d’incertitude : c’est le vote féminin. Les Républicains ont agressivement soutenu des politiques anti-avortement, ce qui a créé une grande participation du vote féminin anti-républicain aux élections de mi-mandat en 2022. En novembre aussi, cela pourrait être un contrepoids face à la situation économique, qui donne un avantage aux républicains.

On essaie en tout cas de prévoir le sentier le plus probable. Il y a aujourd’hui un effet lune de miel autour de Kamala Harris. Mais une fois que les chiffres de l’emploi se détériorent davantage et qu’on commence à avoir de la clarté sur le programme de Harris, ses idées et ses capacités à communiquer… cet effet diminuera et les risques pour Harris augmenteront. Ces risques pointent vers une baisse dans les sondages, surtout dans les États qui comptent le plus. C’est aujourd’hui qu’elle est au sommet de sa popularité.”

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