Alors que Donald Trump menace d’imposer de lourds droits de douane dès le 1er août, les marchés financiers restent étonnamment impassibles. Pourquoi cette indifférence ? Parce qu’à Wall Street, comme chez saint Thomas, on ne croit que ce qu’on voit. Une posture risquée à l’heure où les signaux d’alerte économiques se multiplient.
Il était une fois un homme qui refusait de croire ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux. Cet incrédule, on l’appelait saint Thomas.
Deux mille ans plus tard, les marchés financiers pensent exactement comme lui. Et Donald Trump est devenu, sans le vouloir, leur prophète tarifaire.
Vous trouvez ça absurde ? Attendez de lire la suite.
Pas plus tard que ce week-end, Donald Trump a annoncé que, dès le 1er août, il imposerait des droits de douane de 30 % sur les produits en provenance d’Europe et du Mexique, s’il n’obtenait pas de nouveaux accords commerciaux. Hier encore, je vous expliquais que cette déclaration était à la fois brutale et précise. Et si le week-end a été calme en Bourse, le véritable test, c’était ce lundi, jour d’ouverture des marchés mondiaux.
Sur le papier, on aurait pu s’attendre à un vrai choc. Mais en pratique ? Rien. Ce lundi, les marchés ont à peine froncé le sourcil. En Europe, les indices ont légèrement baissé. À Wall Street, on a même terminé dans le vert. Bref, une séance mitigée, comme si de rien n’était.
Pourquoi cette indifférence ? Parce que les marchés — comme saint Thomas — ont besoin de voir pour croire. Tant qu’ils ne constatent pas les effets, ils n’y croient pas. Et tant qu’ils n’y croient pas, ils continuent d’acheter.
Le parallèle est frappant. Dans l’Évangile, saint Thomas doute de la résurrection. Il ne croit pas les autres apôtres. Il veut toucher les plaies du Christ. Il exige des preuves. Il incarne ce scepticisme qu’on pourrait qualifier de rationnel, presque moderne. Et aujourd’hui, la Bourse lui a tout simplement emprunté son logiciel. Un logiciel sans mise à jour… puisqu’il date de plus de 2000 ans.
En clair, tant que les résultats des entreprises ne sont pas entamés, tant que les marges tiennent, tant que la consommation ne fléchit pas trop, les investisseurs restent sereins. Ou aveugles, c’est selon.
Pourtant, les signaux d’alerte ne manquent pas. Selon le Yale Budget Lab, si toutes les annonces de Trump sont mises en œuvre, les droits de douane américains atteindront leur plus haut niveau depuis un siècle. Certaines entreprises ont déjà suspendu leurs prévisions. La tech américaine, poumon du S&P 500, pourrait bientôt se retrouver dans le viseur tarifaire. La consommation ralentit, l’emploi se tasse, et même la Réserve fédérale est désormais prise pour cible par la Maison-Blanche.
Mais tant que les marchés ne voient pas de sang, ils continuent leur chemin sans même broncher.
Les marchés ne croient que ce qu’ils voient. Et tant qu’ils ne voient pas le mur, ils accélèrent.
Les investisseurs misent sur ce qu’on appelle le “TACO trade” : Trump Always Chickens Out — Trump recule toujours à la dernière minute. Ils parient qu’il bluffe, qu’il menace sans frapper, qu’il finira par faire marche arrière. Et il est vrai que jusqu’ici, le président américain a souvent reculé. Mais cette fois, les chiffres sont clairs, les dates posées, les intentions martelées. Rien ne garantit qu’il reculera encore.
Le plus ironique, c’est que le Christ, face à saint Thomas, lui disait : “Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui croient sans avoir vu.”
Mais les marchés, eux, ont choisi l’inverse : ils ne croient que ce qu’ils voient. Et tant qu’ils ne voient pas le mur, ils accélèrent.
Il faut dire que les marchés financiers ont toujours une bonne excuse pour rester optimistes : la croissance résiste encore un peu, l’inflation semble sous contrôle, et puis, soyons honnêtes, la fête est toujours plus agréable quand la musique joue.
Mais un jour, les marchés verront. Ils toucheront. Et ils comprendront. Sauf que ce jour-là, il sera peut-être trop tard pour ressusciter leurs portefeuilles. Et cette fois, il n’y aura pas de dimanche de Pâques pour Wall Street.