Ruée sur les actions européennes, il n’est pas trop tard pour en profiter

Longtemps délaissées, les actions européennes ont profité d’un engouement inédit des investisseurs internationaux ces deux derniers mois. Si la tendance est appelée à ralentir, les marchés européens offrent toujours des opportunités, tant aux investisseurs dynamiques que prudents.

Fin 2024, peu d’observateurs auraient parié sur les Bourses européennes. Certes, elles étaient bon marché. Mais cela faisait des années que cette valorisation attractive ne suffisait pas à appâter les investisseurs. De plus, la politique America First de Donald Trump devait donner un coup de fouet supplémentaire aux actions américaines.

Ruée historique

En décembre, les actions de la zone euro étaient ainsi largement délaissées selon l’enquête mensuelle de Bank of America auprès d’environ 200 investisseurs institutionnels (gestionnaires de fonds, etc.) gérant ensemble plus de 500 milliards de dollars.

Concrètement, la part nette d’investisseurs déclarant sous-pondérer les actions de la zone euro atteignait 25%, témoignant d’un pessimisme marqué, tant de la part des gérants américains qu’européens. Comparativement, plus d’un institutionnel sur trois surpondérait les actions américaines en net (après déduction de ceux sous-pondérant cette classe d’actifs).

En décembre, plus d’un institutionnel sur trois surpondérait les actions US en net. Deux mois plus tard, la donne a complètement changé.

Deux mois plus tard, la donne a complètement changé. En février, les actions de la zone euro étaient surpondérées par 12% des investisseurs institutionnels en net, quasiment comparable aux marchés américains (17%). L’écart de 51% entre allocation en actions américaines et de la zone euro a ainsi fondu à 5%.

Décote européenne

Ce repositionnement des investisseurs a soutenu les marchés européens. L’indice EuroStoxx 50 affiche ainsi un gain de 11,5% sur les deux premiers mois de l’année, surclassant largement le S&P 500 américain (+ 1,5%).

Comment expliquer ce revirement ? Philippe Gijsels, stratégiste en chef de BNP Paribas Fortis, rappelle que “les marchés boursiers européens se sont moins bien comportés que leurs homologues américains durant 14 des 15 dernières années”.

Les actions européennes présentaient ainsi une forte décote, s’échangeant à 14 fois les bénéfices prévus contre un multiple de 22 pour Wall Street, un atout non négligeable alors que 89% des investisseurs institutionnels estiment que Wall Street est surévaluée. “Dans une telle situation, la moindre bonne nouvelle était susceptible de donner un coup de boost aux marchés boursiers européens”, indique Philippe Gijsels.

Redressement économique

Hormis la dégradation de la situation ukrainienne, de bonnes nouvelles qui sont arrivées comme l’épingle Luca Bindelli, responsable de la stratégie d’investissement à la Banque Lombard Odier. “Premièrement, la situation macroéconomique et le sentiment de marché s’améliorent. La situation politique en France et en Allemagne s’est stabilisée, et la plupart des principaux partis s’accordent sur la nécessité d’augmenter les dépenses, notamment sur le plan de la défense. En outre, l’économie chinoise, à laquelle l’Europe est fortement exposée, montre des signes de reprise. Deuxièmement, au niveau des entreprises, les banques continuent de générer de bons résultats malgré de potentiels vents contraires liés à un assouplissement monétaire marqué de la Banque centrale européenne (BCE). De plus, le secteur du luxe a rebondi après une année difficile, les fondamentaux étant moins faibles que prévu.”

Bref, l’horizon micro- et macroéconomique s’est dégagé malgré la menace lancinante des droits de douane américains, ce que confirment d’ailleurs les enquêtes auprès des investisseurs institutionnels. En février, la balance entre optimistes et pessimistes concernant l’économie européenne penchait clairement en faveur des premiers, une part nette de 45% des gestionnaires de fonds européens anticipant une accélération de la croissance au cours des 12 prochains mois.

Inquiétudes américaines

Erik Joly, chief investment officer d’ABN Amro Belgique, pointe également que les actions européennes ont profité de prises de bénéfices sur Wall Street. “L’indice américain de référence, le S&P 500, présente une composition particulièrement concentrée. La pondération des Sept Fantastiques (Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla) est devenue exorbitante, atteignant jusqu’à un tiers de l’indice. Ces sept entreprises ont masqué les performances mitigées de l’ensemble du marché américain en 2024. Elles sont toutefois très vulnérables à l’évolution des taux d’intérêt. Or, les dernières données macroéconomiques montrent que l’inflation américaine est plus persistante que prévu. À tel point qu’il n’est pas acquis que la Réserve fédérale américaine (Fed) réduira ses taux cette année. Certains n’excluent même pas qu’elle doive les relever à nouveau en 2025 ou 2026.”

A elles seules, les Sept Fantastiques ont masqué les performances mitigées de l’ensemble du marché américain en 2024.” – Erik Joly (ABN Amro Belgique)

D’autant plus que les “mesures de l’administration Trump (droits de douane sur les importations, baisses d’impôts, etc., ndlr) risquent d’encore attiser l’inflation” et donc de pousser la Fed à durcir sa politique monétaire et son taux directeur.

Une inquiétude qui a déjà percolé jusqu’aux consommateurs américains : la prévision d’inflation pour les 12 prochains mois a bondi de 2,6% en novembre à 4,3% en février selon les enquêtes de l’Université du Michigan.

Mark Cudmore, rédacteur en chef du blog Markets Live de Bloomberg, constate également un changement de perception : la question principale n’est plus de savoir quand l’administration Trump stimulera l’économie, mais plutôt si elle ne commence pas à lui nuire.

Certitudes européennes

Comparativement, les perspectives apparaissent plus claires en Europe. Par exemple, 59% des investisseurs institutionnels anticipent un ralentissement de l’inflation, laissant les coudées franches à la BCE. Cette dernière a déjà baissé ses taux à cinq reprises depuis juin et devrait poursuivre cette politique.

Il apparaît également de plus en plus probable que l’Europe relâche les brides budgétaires, notamment pour permettre aux États membres d’investir davantage dans la défense face à la menace russe et au retrait américain.

Rebond historique

Pour les investisseurs, il demeure toutefois essentiel de déterminer si ces éléments peuvent encore soutenir la tendance en Europe. Depuis le début de l’année, le Stoxx 600 paneuropéen affiche une surperformance en euros de 9% par rapport au S&P 500 américain. Ce qui est déjà plus du double de la meilleure performance relative du Stoxx 600 depuis 25 ans (surperformance de 4,2% en 2000).
Face à un rebond aussi rapide, les prévisions sont plus partagées désormais. Philippe Gijsels estime que “le beau mouvement de rattrapage des actions européennes pourrait se poursuivre si les catalyseurs susmentionnés persistent, la différence de valorisation entre actions européennes et américaines étant encore suffisamment importante”.

Luca Bindelli se montre par contre plus prudent. “À court terme, nous pensons que de nombreuses améliorations mentionnées précédemment sont déjà intégrées dans les cours, et que le marché ignore les vents contraires séculaires qui restent forts. Par exemple, la rupture du partenariat transatlantique pourrait entraîner des répercussions importantes à long terme, alors que l’Europe se prépare à un monde où elle doit être autosuffisante en matière d’énergie et de défense.”

Le marché ignore les vents contraires séculaires qui restent forts. Par exemple, la rupture du partenariat transatlantique.” – Luca Bindelli (Lombard Odier)

Cette divergence est encore plus flagrante en sondant l’ensemble des stratégistes. La fourchette de prévisions pour le niveau de l’indice Stoxx 600 en fin d’année s’étale ainsi de 490 points (TFS Derivatives) à 590 points (Deutsche Bank), soit un potentiel allant de – 11% à + 6%.

Avis partagés

Concrètement, en termes de positionnement stratégique, Luca Bindelli, de Lombard Odier, est le plus prudent. “Nous continuons de sous-pondérer les actions de la zone euro dans notre allocation d’actifs et voyons un meilleur rapport risque-rendement dans les marchés actions américains et japonais, les États-Unis et le Japon affichant des taux de croissance nominale plus attrayants.”

Du côté de BNP Paribas Fortis, “nous restons neutres sur les valeurs européennes, mais surpondérons les actions américaines, affirme Philippe Gijsels. La croissance économique et la croissance des bénéfices seront plus élevées de l’autre côté de l’Atlantique dans les années à venir.

Enfin, Erik Joly d’ABN Amro Belgique se montre plus confiant. “Nous sommes actuellement légèrement surpondérés sur les marchés d’actions européens (et américains). Nous pensons que le risque est encore suffisamment rémunéré, mais les marchés seront volatils.”

Performances plus volatiles

Bref, les avis sont partagés après un début d’année historique qui a consumé le potentiel le plus facilement réalisable, résultant avant tout d’un repositionnement des investisseurs autrefois très pessimistes.

Désormais, les marchés européens devront convaincre par leurs qualités intrinsèques pour poursuivre leur ascension, ce qui devrait engendrer une plus grande volatilité des performances.

Les marchés européens devront convaincre par leurs qualités intrinsèques pour poursuivre leur ascension.

Une tendance qui est d’ailleurs d’ores et déjà visible depuis le début du mois de février comme l’illustrent les graphiques ci-contre. Au niveau sectoriel, les valeurs bancaires ont ainsi pris une nette longueur d’avance, tant le segment des biens personnels (soutenus par le luxe) que l’industrie technologique ayant lâché prise. Au niveau géographique, l’Allemagne et l’Espagne ont continué sur leur élan alors qu’Euronext Paris et Amsterdam ont marqué le pas ces dernières semaines.

Prendre ses bénéfices

Pour Luca Bindelli, il est temps d’acter ses bénéfices sur les segments les plus en vue ces derniers temps. “Nous prévoyons que la Banque centrale européenne (BCE) réduira son principal taux directeur (taux de la facilité de dépôt, ndlr) de 2,75% à 1,25% d’ici la fin de l’année. Un assouplissement plus marqué que le marché ne l’anticipe. Dans un tel scénario, cela pourrait constituer un vent contraire pour les banques européennes.” Une baisse aussi forte risquerait en effet de peser davantage sur leurs revenus (taux des crédits octroyés) que sur leurs coûts (taux des financements dont les produits d’épargne).


En termes de pays, le stratégiste de Lombard Odier estime que “le rapport risque-rendement est plus favorable en France par rapport à l’Italie et à l’Espagne. Le marché allemand montre des signes d’amélioration au niveau des fondamentaux, mais il a progressé trop rapidement et pourrait connaître une consolidation à court terme.”

Un point de vue que rejoint Erik Joly : “Nous avons récemment ajusté notre prévision de croissance pour l’économie allemande en 2025 de 0,8% à 0,5%. Cela s’explique par la forte dépendance énergétique qui met en difficulté le secteur de la chimie ainsi que par la concurrence chinoise accrue dans l’industrie automobile.”

Secteurs cycliques

Philippe Gijsels s’attend également à ce que la BCE joue un rôle important dans les tendances sectorielles en Europe. “Pour l’instant, nous parions principalement sur les secteurs qui bénéficieront d’une baisse des taux d’intérêt et d’une éventuelle reprise de l’économie si la pression exercée par les prix élevés de l’énergie s’atténue quelque peu.” C’est-à-dire avant tout “des groupes plus cycliques tels que les valeurs industrielles, les entreprises de construction et l’industrie de base qui pourraient de plus bénéficier d’une reprise de l’économie allemande si le nouveau gouvernement prend des mesures de relance budgétaire”.

Pour miser sur les actions européennes cycliques, vous pouvez opter pour des ETF. L’iShares MSCI Europe Industrials (ticker ESIN sur la Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,18%) duplique un indice rassemblant plus de 87 valeurs industrielles européennes, à commencer par Siemens, Schneider et Airbus. Autre fonds indiciel, l’Invesco European Construction Sector (SC01 sur la Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,20%) vous permet de miser sur les secteurs de la construction et des matériaux de base en Europe.

Reprise chinoise

Le second axe de sélection sectorielle du stratégiste de BNP Paribas Fortis est la perspective d’une “reprise de l’économie chinoise qui pourrait également soutenir la croissance européenne”.

Pour relancer son économie, Pékin planche notamment sur un plan de refinancement de son secteur bancaire et une réponse aux droits de douane américains. En février, Xi Jinping a également entamé un changement de cap par rapport au secteur privé, promettant de faciliter les financements et de réduire les amendes excessives après la sévère répression réglementaire des dernières années.

Dans ce contexte, Philippe Gijsels estime que “le pire semble derrière nous pour le secteur du luxe, qui a émis quelques signaux optimistes ces dernières semaines”. Le bijoutier et horloger suisse Richemont avait tout particulièrement rassuré en annonçant une hausse de 10% de ses ventes au cours des trois derniers mois de 2024. Les trois leaders européens et mondiaux que sont LVMH, Hermès et Richemont offrent une exposition diversifiée au secteur du luxe. Si vous préférez un fonds, l’ETF Amundi S&P Global Luxury (GLUX sur Euronext Milan ; frais annuels de 0,25%) est largement exposé à ces trois géants, mais l’approche étendue du luxe, intégrant les voitures haut de gamme, les croisières ou l’hôtellerie, en dilue quelque peu l’impact.

Le pire semble derrière nous pour le secteur du luxe, qui a émis quelques signaux optimistes ces dernières semaines.” – Philippe Gysels (BNP Paribas Fortis)

Obligations européennes

Pour les investisseurs plus prudents, les marchés obligataires peuvent également offrir des opportunités. Une baisse plus marquée qu’attendue des taux de la BCE soutiendrait mécaniquement les cours des obligations. Pour en profiter au maximum, “nous optons très clairement pour des obligations dont la durée résiduelle est supérieure à la moyenne”, affirme Erik Joly.

En termes de risques, le spécialiste d’ABN Amro Belgique joue par contre la sécurité. “Nous avons une préférence pour les obligations d’État ainsi que pour les obligations d’entreprises de bonne qualité. Nous ne sommes pas favorables aux obligations à haut rendement, car nous estimons que le risque n’est pas suffisamment rémunéré.” Si vous souhaitez également profiter des perspectives de baisses de taux en misant sur les obligations, vous pouvez opter pour le fonds Amundi Euro Government Bond 10-15Y (MTE sur Euronext Paris ; frais annuels de 0,15%). Cet ETF investit dans l’ensemble des obligations souveraines de référence des pays de la zone euro et d’une durée résiduelle de 10 à 15 ans. 

Renaissance du secteur de la défense

En un peu plus de trois ans, le fabricant de chars et d’artillerie Rheinmetall est passé d’entreprise de taille moyenne à 50e capitalisation européenne, devant des géants comme Adidas, Generali ou Universal Music, grâce à une multiplication par 12 de son cours.
Avant même la réunion sur la sécurité en Europe du week-end dernier, Armin Papperger, CEO depuis 2013, indiquait que le groupe envisage la conversion de deux de ses usines de composants automobiles à la production pour le secteur militaire en raison de la forte demande. Friedrich Merz, gagnant des récentes élections en Allemagne, planche notamment sur un plan d’investissement dans la défense de 200 milliards d’euros.
Rheinmetall présente toutefois des multiples de valorisation assez élevés, s’échangeant à 38 fois le bénéfice prévu pour l’année en cours, un multiple supérieur à Nvidia, coqueluche des investisseurs dans le domaine de l’intelligence artificielle. Le groupe suédois Saab (avion de combat Gripen, électronique militaire, armes diverses, navires de guerre, etc.) est dans le même cas à 36 fois le bénéfice prévu.
Comparativement des groupes comme Hensoldt (électronique et capteurs militaires) a triplé, Dassault Aviation (avion de combat Rafale), Thales (systèmes technologiques) ou BAE Systems (groupe diversifié) présentent des niveaux de valorisation bien moindres. Ces acteurs sont, par leurs activités, moins exposés au conflit en Ukraine, mais sont tout aussi susceptibles de profiter d’une hausse des investissements des pays européens dans la défense.
Du côté des fonds, il n’existe aujourd’hui que des produits ciblant le secteur mondial de la défense, dominé par les acteurs américains. Ces derniers souffrent toutefois des coupes annoncées par l’administration Trump.


AFP

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