Rebond durable pour les actions chinoises ?
Après trois années catastrophiques, les Bourses de Shanghai et de Shenzhen ont récemment entamé un rebond aussi surprenant qu’intrigant. Est-ce le moment de profiter des valorisations extrêmement basses des actions chinoises ou faut-il se méfier d’un “bull trap” ?
Début 2021, les Bourses chinoises semblaient incontournables pour les investisseurs. D’une part, la Chine s’en sortait bien mieux que le reste du monde face à la pandémie. Il était même question de la voir devenir la première économie mondiale dès 2030. D’autre part, la perspective de l’intégration progressive des valeurs chinoises locales (actions A) dans les importants indices MSCI devait assurer un flux constant d’acheteurs.
Au cours des trois années qui ont suivi, la capitalisation des actions chinoises et hongkongaises a pourtant fondu de quelque 6.000 milliards de dollars sous l’effet d’une croissance terne, freinée par des mesures sanitaires à rallonge, une crise immobilière et un déclin démographique.
L’élection de Joe Biden, président depuis janvier 2021, n’a également pas insufflé le rapprochement escompté, a fortiori depuis le début de l’invasion russe en Ukraine et le double jeu de Pékin. Le 46e Président des Etats-Unis a même récemment durci les mesures commerciales ciblant la Chine.
Rebond inattendu
Autant dire que l’heure était à la prudence en ce début d’année 2024. L’indice CSI 300 des Bourses de Shanghai et Shenzhen a ainsi flanché de 6% en janvier malgré une succession des mesures de soutien annoncées à l’automne 2023 : interdiction (partielle) des ventes à découvert, achats de fonds indiciels par des sociétés publiques, limitations des cessions d’actions par les principaux actionnaires de sociétés cotées…
Alors que rien ne semblait fonctionner, les marchés chinois ont formé un plancher début février et le CSI 300 a depuis rebondi de 15% dans le sillage d’un nouveau train de mesures. L’interdiction de ventes à découvert a été durcie, Pékin a demandé aux gestionnaires de capitaux de privilégier le lancement de fonds d’actions, la Banque populaire de Chine (PBoC) a de nouveau assoupli sa politique monétaire et les opérations de nature à soutenir les cours (rachat d’actions, fusions…) sont encouragées. Les entreprises (d’investissement) publiques sont aussi davantage intervenues sur les marchés. Central Huijin Investment a par exemple acheté pour 300 milliards de yuans (39 milliards d’euros) de fonds indiciels – essentiellement sur le CSI300 – au premier trimestre.
Stabiliser le marché immobilier
Il peut sembler étonnant qu’un gouvernement communiste tente quasiment à tout prix de soutenir les marchés boursiers. Mais la Chine veut développer une place financière de référence au niveau mondial et vise également à offrir une alternative aux épargnants chinois. Ces derniers ont pendant longtemps plébiscité l’immobilier, ce qui a contribué à gonfler une vaste bulle immobilière dont les autorités peinent toujours à juguler les conséquences économiques et financières.
Mi-mai, Pékin a ainsi dévoilé des mesures qualifiées d’”historiques” pour stabiliser la crise immobilière en autorisant les gouvernements locaux à acheter certains appartements, en assouplissant l’accès aux emprunts et en promettant de livrer les immeubles actuellement en construction.
Timide embellie économique
Ces soutiens visent à relancer le secteur immobilier qui était jusqu’il y a peu le principal moteur de l’économie chinoise – représentant jusqu’à près d’un tiers de la croissance. L’an dernier, la deuxième économie mondiale n’a ainsi crû “que” de 5,2%, le chiffre le plus bas depuis 1990 hors pandémie.
La Chine ne va pas renouer avec les chiffres de croissance très élevés des deux dernières décennies, mais elle a encore des atouts dans sa manche.
Pour 2024, les économistes tablent sur un nouveau ralentissement même si les dernières mesures ont quelque peu rassuré. En moyenne, ils prévoient désormais une croissance de 4,8% (contre 4,6% le mois précédent), proche de l’objectif de 5% de Pékin.
Toutefois, cette amélioration n’augure pas nécessairement d’une reprise durable. Au contraire, les prévisions pour 2025 restent maussades. La croissance devrait ainsi ralentir à 4,3% selon la dernière enquête de Bloomberg auprès d’économistes.
Menace de déflation
La principale raison de cette prudence est le risque de déflation. A mille lieues de la poussée inflationniste connue par l’Europe et l’Amérique du Nord, les prix à la consommation stagnent en Chine depuis plus d’un an. En outre, le repli continu des prix à la production (prix “départ usine”), découlant d’importantes surcapacités, laisse augurer de pressions déflationnistes persistantes.
Un scénario noir pour une économie. Dans un environnement dominé par les baisses de prix, les consommateurs ont naturellement tendance à reporter leurs achats, réduisant la demande et accentuant davantage les pressions sur les prix.
La stagnation de la population urbaine active après des décennies de croissance et les conflits commerciaux avec les pays occidentaux accentuent encore les problèmes de surcapacité de production que Pékin ne parvient plus à écouler.
Japonisation de la Chine
Pour briser ce cycle, il faut relancer la demande, ce que la Chine réalise traditionnellement à grands coups d’investissements. Mais les artisans de ces plans de relance, les gouvernements provinciaux, sont perclus de dettes, en grande partie cachées via des véhicules de financement ad hoc. Selon Claire Xiao de Fidelity, le déficit public de la Chine était ainsi de 11% du PIB en 2023 en intégrant notamment les dettes cachées. La dette publique consolidée atteindrait pour sa part 130% du PIB alors que le pays doit faire face au vieillissement de sa population. D’ici 2035, près d’un tiers de la population chinoise aura plus de 60 ans suivant les projections d’EIU (The Economist). Largement plus d’un tiers aura ainsi atteint l’âge légal de la retraite : 60 ans pour les hommes et 50-55 ans pour les femmes.
Dettes, vieillissement et déflation, trois caractéristiques qui font inévitablement penser au Japon qui a mis 30 ans à se remettre de l’éclatement de la bulle spéculative en 1990. En décembre dernier, Bernard Keppenne, chief economist chez CBC, évoquait même le risque d’une “japonisation puissance 10” en raison des déséquilibres marqués de l’économie chinoise.
Lueurs d’espoir
Le pire n’est toutefois jamais certain. S’il est évident que la Chine ne va pas renouer avec les chiffres de croissance très élevés des deux dernières décennies, elle a encore des atouts dans sa manche. En interne, la stabilisation du secteur immobilier constituerait la première pierre d’une reprise, ce qui pourrait arriver prochainement selon les économistes sondés par Reuters. Ils tablent sur une stagnation des prix de l’immobilier en 2025 après une baisse de 5% en 2024.
Une sortie de crise pourrait poser les bases d’une accélération de la consommation, attendue comme le prochain relais de croissance (depuis de longues années), mais freinée par le taux d’épargne très élevé des ménages chinois. Ces derniers mettent de côté de l’ordre d’un tiers de leurs revenus disponibles selon les estimations de l’OCDE et du FMI – contre une moyenne de 13% de l’UE par exemple. Ils disposent ainsi d’un bas de laine de plus de 18.000 milliards d’euros sous la forme de dépôts bancaires. Lynn Song, économiste en chef pour l’Asie chez ING, continue ainsi à parler de “grande transition” et non de “grand déclin”.
Au niveau commercial, le pays mise sur son leadership sur plusieurs marchés porteurs (voitures électriques, panneaux solaires, terres rares, etc.) et ses champions technologiques (Tencent, Alibaba, Huawei, ZTE, etc.) pour relancer les exportations – qui ont renoué avec la croissance en avril (+1,5%).
Prime de risque
Tenant compte de ce potentiel de redressement, la question à 6.000 milliards de dollars est de savoir si les risques sont suffisamment intégrés dans les cours. Les Bourses chinoises présentent en effet une nette décote par rapport aux marchés occidentaux. Par exemple, l’indice MSCI China s’échange actuellement à 10 fois les bénéfices prévus sur les 12 prochains mois contre un rapport de 18 pour le MSCI World (pays développés).
Les Bourses chinoises présentent une nette décote par rapport aux marchés occidentaux.
En d’autres termes, la décote atteint toujours 45%. “Le récent rebond semble plus être d’origine technique étant donné que le marché est actuellement bon marché, avec des valorisations à un niveau historiquement bas, pointe ainsi Nicholas Yeo, responsable des actions chinoises chez Abrdn. La pérennité de la hausse de la durabilité dépendra des perspectives de bénéfices pour le reste de l’année … jusqu’à présent, les entreprises semblent plutôt optimistes.”
Les stratégistes évoquent également une rotation des portefeuilles, les marchés d’actions chinois étant relativement décorrélés des Bourses occidentales. “La Chine se portera bien lorsque le marché mondial connaîtra quelques difficultés tactique”, résume ainsi Luca Paolini de Pictet.
Le lait sur le feu
Nombre d’observateurs demeurent ainsi méfiants fondamentalement comme John Lin d’AllianceBernstein qui estime que les prévisions de bénéfices sont encore trop élevées et devront être rabotées.
Si l’aventure chinoise vous tente quand même, il convient donc de surveiller attentivement vos positions. Concrètement, vous pouvez opter pour un fonds en actions locales. Parmi ceux disponibles en Belgique, figurent notamment JPMorgan Funds – China Fund (note de performance historique 3 étoiles, note qualitative Argent) et Schroder International Selection Fund China Opportunities A (4 étoiles et Or) selon Morningstar.
Du côté des fonds indiciels, Xtrackers propose deux ETF. Un premier sur l’indice FTSE China 50 (Bourse de Francfort ; LU0292109856 ; frais annuels de 0,60%) rassemblant les 50 principales sociétés chinoises cotées à Hong Kong. Un second sur le CSI 300 (Bourse de Francfort ; LU0779800910 ; frais annuels de 0,50%), un indice élargi et davantage porté sur les secteurs traditionnels (banque et assurances, biens de consommation, industrie).
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