Quand Porsche cale sur l’électrique, c’est tout le secteur de l’automobile de luxe qui tremble

Porsche 911 Turbo S à Munich le 7 septembre 2025. REUTERS © REUTErs
Muriel Lefevre

Le constructeur de Stuttgart, longtemps vache à lait du groupe Volkswagen, revoit à la baisse ses ambitions dans l’électrique après une série de revers commerciaux et financiers. Cette inflexion illustre les difficultés plus larges auxquelles est confronté l’ensemble du secteur des voitures électriques premium.

L’industrie automobile de prestige est à un tournant. Porsche, longtemps symbole de marges à deux chiffres et de solidité boursière, a vu ses prévisions de bénéfices fondre en 2024. Porsche traverse en effet une zone de turbulences inédite. Pour la quatrième fois en quelques mois, le constructeur allemand a abaissé ses prévisions de résultats. Sa marge opérationnelle, jadis l’une des plus enviées du secteur automobile, devrait tomber à 2 % en 2025, contre 7 à 9 % attendus initialement.

L’action, cotée à Francfort depuis 2022, a perdu plus de 65 % de sa valeur et quitté le prestigieux indice DAX, symbole d’une désillusion rapide pour ce qui devait être le joyau de Volkswagen.

Porsche a été rétrogradé dans le MDax, l’indice des valeurs moyennes, en partie à cause d’un flottant limité à 12 %. Majoritairement détenue par Porsche Automobil Holding SE, elle vise néanmoins à retrouver rapidement sa place dans le Dax.

Une stratégie électrique trop ambitieuse

À l’origine de ce retournement, une électrification jugée trop rapide. La Taycan, première berline 100 % électrique de Porsche, a vu ses ventes chuter de moitié en un an, tandis que le lancement du Macan EV a accumulé des retards en raison de problèmes logiciels. Dans le même temps, la disparition en Europe des versions thermiques du Macan a privé la marque de l’un de ses piliers de rentabilité.

Porsche aurait basculé trop vite vers le tout-électrique, alors que ses clients haut de gamme continuent de préférer l’essence ou l’hybride. Contrairement à Tesla ou BYD, qui misent sur le volume et l’entrée de gamme, Porsche affronte un public attaché à la sonorité et au caractère des moteurs thermiques.

Face à ce constat, Stuttgart corrige le tir. Les prochaines générations de Cayenne et de Panamera conserveront des motorisations thermiques et hybrides. Même le futur SUV haut de gamme, prévu initialement en version exclusivement électrique, sera lancé d’abord avec des moteurs à combustion.

Conjoncture défavorable

Les difficultés de Porsche ne tiennent pas qu’à ses choix stratégiques. 

Le ralentissement touche particulièrement le marché chinois, autrefois eldorado du luxe automobile. La nouvelle génération de consommateurs se tourne vers des marques locales comme BYD ou Nio, qui proposent des SUV électriques à l’autonomie supérieure et à des tarifs plus compétitifs. L’image statutaire des marques allemandes ne suffit plus à justifier un prix doublé. Pour les groupes allemands et donc aussi pour Porsche le choc est sévère : la Chine représentait souvent le premier débouché.

Ainsi Porsche n’a vendu que 56 887 voitures en Chine en 2024 (un tiers de moins qu’en 2023). Le marché chinois passe donc derrière l’Europe (75 899) et l’Amérique du Nord (86 541).

Aux États-Unis, qui reste le principal marché du constructeur, les droits de douane imposés par Donald Trump rendent les modèles européens environ 15 % plus chers. Sans usine locale, Porsche ne peut compenser ce handicap, contrairement à Mercedes ou BMW.

Ces vents contraires se traduisent par une révision brutale des objectifs financiers. Porsche table désormais sur un chiffre d’affaires de 37 à 38 milliards d’euros, contre plus de 40 milliards espérés. Cette réorientation stratégique devrait coûter 5,1 milliards d’euros selon les analystes.

Et cette réorientation touche aussi l’ingénierie. La plateforme électrique, dont le lancement est désormais décalé à la prochaine décennie, sera révisée pour mieux harmoniser la technologie avec les autres marques du groupe.

Un signal pour tout le secteur du luxe

Le cas Porsche dépasse néanmoins la seule marque au cheval cabré. Il met en lumière un problème structurel : l’électrification du haut de gamme se révèle beaucoup plus ardue qu’anticipé.  Ce qui fait que Mercedes peine à écouler sa berline EQS vendue plus de 110 000 euros. Maserati a renoncé à son projet de supercar électrique. Même BMW, pourtant plus agile grâce à une production flexible mêlant thermique, hybride et électrique, doit consentir à des rabais pour écouler ses modèles premium à batterie.

“Beaucoup de constructeurs ont mal évalué le timing”, souligne un analyste du secteur dans Bloomberg. « Les batteries restent coûteuses, les infrastructures de recharge insuffisantes et la clientèle fortunée ne se presse pas pour abandonner les moteurs thermiques. »

Des marges sous pression

Pour des marques qui bâtissaient leur rentabilité sur des marges largement supérieures à celles du « mass market», le choc est rude. La promesse selon laquelle les modèles électriques allaient rapidement atteindre les mêmes niveaux de profitabilité ne s’est pas matérialisée. Mercedes peine à écouler son EQS, proposé à plus de 100 000 €, tandis que BMW doit consentir des rabais sur ses i7 et iX pour maintenir ses parts de marché. Polestar et Lucid brûlent encore du cash, et même Tesla voit ses ventes ralentir sur le segment haut de gamme.

L’avenir du luxe automobile se jouera dans sa capacité à concilier désirabilité et électrification. Ferrari, qui lancera son premier modèle 100 % électrique en 2026, espère réussir là où ses rivaux trébuchent, grâce à son aura et à son pricing power. BMW mise sur sa nouvelle génération « Neue Klasse » avec des batteries longue autonomie.

Il n’empêche que l’épisode Porsche illustre une réalité : la transition électrique, si elle s’impose réglementairement, ne garantit pas le succès. Pour le secteur premium, longtemps synonyme de marges confortables, l’heure est donc à l’adaptation forcée. Quitte à inventer une nouvelle définition du luxe.

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