Trois poids lourds de l’information financière sous la loupe

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Les fournisseurs de données financières ont assurément encore de beaux jours devant eux. La baisse généralisée des marchés boursiers les rend désormais plus raisonnablement valorisés; sans, toujours, être bon marché, ils pourront intéresser l’investisseur en quête de qualité.

Que le contexte soit économique ou sociétal, la valeur se fait de plus en plus intangible. Les services rapportent toujours plus que les produits. L’expansion de l’économie de la connaissance fait des données et des informations le nouveau carburant de la croissance. Savoir, c’est régner.

Les fournisseurs de données et d’informations présentent les caractéristiques typiques d’entreprises de qualité. Ils multiplient les avantages concurrentiels, comme la modicité de leurs dépenses d’exploitation, au profit de marges structurellement élevées, leur faible cyclicité et leur pouvoir de fixation des prix. Leur marché est en outre souvent monopolistique ou oligopolistique.

Ils emballent leurs produits dans des formules d’abonnement qui leur assurent des flux de revenus récurrents et prévisibles. N’ayant pas à investir beaucoup dans la maintenance de machines ou dans des appareils de production physiques, ils génèrent des cash-flows disponibles élevés, qu’ils réinvestissent dans leur croissance ou distribuent à leurs actionnaires.

Nombre de leurs clients sont devenus tributaires, pour leurs propres opérations, des données qu’ils délivrent, ce qui exerce une certaine rétention. Les fournisseurs de données disposent en outre d’un levier opérationnel puissant: le coût de développement, unique, de leurs produits et services, n’est pas alourdi par l’adhésion de nouveaux clients. Des marges d’exploitation élevées, de 45% et plus, sont donc de l’ordre du possible. Ils bénéficient de surcroît d’importants effets de réseau: plus les ETF qui répliquent l’évolution des indices de MSCI ou de S&P, ou plus les entreprises dont les obligations sont notées par Moody’s ou S&P, sont nombreux, plus leurs avis ont de la valeur. Ces entreprises sont enfin très bien placées pour répondre à la demande de données ESG (environnementales, sociétales et de gouvernance), toujours plus précieuses.

Bien sûr, la qualité a un prix. Nombre de ces spécialistes ont tutoyé des sommets ces dernières années. Mais la baisse généralisée des marchés boursiers les rend désormais plus raisonnablement valorisés; sans, toujours, être bon marché, ils pourront intéresser l’investisseur en quête de qualité. L’Initié de la Bourse s’est penché sur les plus importantes de ces entreprises.

MSCI: modèle économique malin

MSCI est un des plus grands fournisseurs de données financières au monde. Sa principale division est celle des produits et solutions indiciels. Tous les investisseurs connaissent le MSCI World, mais peu sont conscients du modèle économique qui le sous-tend: tout ETF qui réplique un des indices développés par MSCI doit s’acquitter de droits. Enormément de fonds activement gérés se mesurent à un indice de référence (benchmark) – contre rémunération, là encore. Maints produits dérivés sont également liés à des indices MSCI. L’entreprise a réussi à faire en sorte qu’une fois qu’un ETF ou un fonds l’a choisie, il lui est difficile de faire marche arrière. Les produits d’investissement qui répliquent un indice MSCI valent quelque 17.000 milliards de dollars au total; 60% environ du revenu opérationnel de la société provient de ses solutions indicielles.

L’essor qu’a connu l’investissement indiciel ces 20 dernières années a fait s’envoler les résultats de MSCI. Les revenus de cette activité ont bondi de 13% par an en 12 ans; le nombre de produits d’investissement basés sur un indice MSCI a augmenté de 14% par an. Le ralentissement constaté ces derniers mois pèse toutefois sur les revenus du segment Indices, tributaires des actifs qui répliquent des produits indiciels.

MSCI dispose d’un département Analyse, qui lui assure le quart de son chiffre d’affaires opérationnel. Ce segment s’adresse principalement aux gestionnaires d’actifs qui utilisent les données et les modèles de MSCI pour réaliser leurs propres analyses. MSCI est, enfin, numéro 1 sur le marché des données ESG. Elle élabore des indices dédiés, pratique des évaluations et fournit toutes sortes de solutions en matière de données thématiques, que les investisseurs et les entreprises peuvent utiliser pour évaluer des risques et des performances climatiques internes et externes. Neuf pour cent du chiffre d’affaires opérationnel de MSCI sont à mettre au crédit de ce département, qui est par ailleurs, actuellement, le plus grand moteur de croissance de l’entreprise – il affiche depuis quelques années une croissance de plus de 30% par an. A long terme, MSCI estime que ses produits ESG permettront à son chiffre d’affaires et à ses bénéfices de progresser de plus de 20% par an.

S&P Global: plus qu’une agence de notation

S&P Global (SPG), à qui le S&P 500, l’indice boursier le plus célèbre de la planète, doit son nom, est un autre poids lourd de l’information financière. SPG était auparavant surtout connue pour ses activités d’agence de notation financière, dont elle tire toujours la moitié de son chiffre d’affaires et un peu plus de 50% de son bénéfice opérationnel. Mais elle est également un fournisseur majeur de données relatives aux marchés financiers et aux matières premières, activité qui représente 38% de son chiffre d’affaires. Elle est enfin, avec MSCI, un des principaux concepteurs d’indices au monde; ce segment lui assure 14% de son chiffre d’affaires.

En fusionnant, cette année, avec IHS Markit, autre spécialiste mondial des informations financières, SPG a accru sa part de marché et diversifié ses sources de revenus. Elle a également élargi son offre, ce qui lui ouvre des opportunités en matière de vente croisée. L’opération assure en outre à SPG un meilleur positionnement sur le marché des informations qui intéressent les secteurs non financiers, comme l’automobile ou l’énergie.

L’activité de notation, historiquement la plus importante, continue de croître à une allure vertigineuse. Elle a achevé l’exercice 2021 sur un chiffre d’affaires de 14% supérieur à celui de 2020 – seule la division Indices a fait mieux (16%). Elle s’inscrit dans le contexte des émissions d’obligations et d’autres emprunts. La majorité du chiffre d’affaires de SPG provient de la notation d’obligations d’entreprises, un segment qui pourrait souffrir, dans les mois qui viennent, du ralentissement de l’économie.

SPG a acté une croissance de 8% par an de son chiffre d’affaires au cours des cinq dernières années; c’est moins que MSCI, mais la croissance de son bénéfice net a atteint 19% en moyenne. Les actifs investis dans des ETF qui répliquent un indice SPG se sont envolés de plus de 20% par an ces cinq dernières années. Les données ESG sont des moteurs de croissance essentiels pour SPG également. L’entreprise propose des indices ESG, des évaluations à l’aune de critères climatiques et des services et produits connexes. A brève échéance, un nouveau recul de son cours n’est pas à exclure, car les émissions obligataires se font moins nombreuses. Les investisseurs pourraient en profiter pour se positionner.

Moody’s: Warren Buffett en est fan

Moody’s est la plus grande agence au monde après SPG. Sa division Services aux investisseurs génère 59% de son chiffre d’affaires et 77% de son bénéfice opérationnel. Sa principale activité reste la notation financière, ce qui la rend, tout comme SGP, partiellement tributaire des émissions obligataires, dont le ralentissement va peser sur son chiffre d’affaires et ses bénéfices; reste que les entreprises vont devoir refinancer une très grande partie de leurs dettes ces prochaines années, ce qui garantira les revenus des agences de notation.

La division Analyse de Moody’s développe des produits et services qui aident les entreprises et les pouvoirs publics à gérer leurs risques et à effectuer des recherches diverses. Quatre-vingt à 90% de son chiffre d’affaires sont annuellement récurrents, contre un tiers seulement pour ceux des Services aux investisseurs; le reste dépend des volumes de transactions.

Comme SPG, Moody’s est incontournable pour les émetteurs de titres de dette qui souhaitent se servir de leur notation pour attirer les investisseurs. Le secteur financier est en outre générateur d’énormément de revenus récurrents, car les entreprises qui intègrent des notations dans leurs fiches produit sont redevables de droits de licence. Moody’s compte bien elle aussi faire des données climatiques et des critères ESG son premier pôle de croissance au cours des décennies qui viennent.

Warren Buffett est déjà convaincu. Il détient, par le truchement de son véhicule d’investissement Berkshire Hathaway, plus de 13% des actions de Moody’s, ce qui fait de lui le principal actionnaire de cette entreprise.

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