Le franc suisse s’envole
Les effets de l’action menée par la BNS ne sont pas encore clairs.
Une semaine décisive pour la Banque centrale européenne (BCE). Tout le monde s’attend à ce qu’elle annonce un plan ambitieux ce jeudi. Elle achèterait entre 500 et 1.000 milliards d’euros (EUR) de créances directement sur le marché secondaire, principalement des titres souverains. Elle confierait l’achat de titres nationaux aux banques nationales de la zone euro. C’est du moins ce qui est prévu jusqu’à présent.
Le succès est-il assuré ? Nous ne le pensons pas. C’est d’ailleurs ce qu’a compris la Banque nationale suisse (BNS). Celle-ci affirmait encore lundi passé qu’elle maintiendrait sa limite de 1,20 CHF pour 1 EUR. Or, jeudi dernier, elle abandonnait cette limite sans autre forme de procès, avec des effets dévastateurs sans précédent. Que c’était-il passé dans l’intervalle ?
Une réflexion
Il faut se mettre à la place de la BNS. Pour respecter la limite, la Banque a été obligée durant trois ans d’acheter tous les EUR contre du CHF. Les EUR ainsi acquis étaient immédiatement placés en emprunts souverains de la zone euro. Le bilan de la BNS a tellement grossi qu’il correspond à l’heure actuelle à un peu plus de 80% du PIB du pays. Si la BNS maintenait le cap, elle savait d’ores et déjà qu’elle accumulerait encore plus d’EUR dès jeudi prochain, l’obligeant à acquérir encore plus d’emprunts souverains, titres qui rapporteront de moins en moins. En outre, il y aurait toujours plus de CHF en circulation, sans que les conditions économiques le justifient. Alors, au lieu d’attendre que les problèmes futurs deviennent insurmontables, la BNS a décidé d’agir aujourd’hui avant que l’évolution conjoncturelle n’empire.
En abandonnant la limite qu’elle s’était imposée, la BNS sait que dorénavant le CHF s’échangera à sa juste valeur. Le problème de son bilan ne s’aggravera pas dans ces conditions. L’expansion monétaire annoncée pour la zone euro fera chuter les taux d’intérêt, propulsant le cours des emprunts vers de nouveaux sommets. La BNS pourra par conséquent revendre tous ces emprunts souverains avec profit, compensant largement la perte de change lors du rapatriement des produits. De plus, elle pourra de cette façon éliminer le surplus d’argent qu’elle avait créé depuis ces trois dernières années. Un plan monétaire parfaitement justifié.
Une expansion monétaire ne résout en fait pas grand-chose. Selon cette mesure, la banque centrale achète des emprunts souverains. Qu’elle le fasse directement ou par le biais du système bancaire n’importe pas. Le résultat reste identique. La banque centrale perçoit les intérêts sur ces emprunts et les transmet de nouveau à l’Etat, de sorte que celui-ci se finance gratuitement. En soi, la mesure est justifiable si cet argent est destiné à des fins économiques tangibles. Or ce n’est pas le cas. La banque centrale voit par conséquent ses avoirs en titres souverains grimper indéfiniment. Elle n’en contrôle pas la valeur. Il suffit que la conjoncture se détériore pour que la valeur de ces titres dégringole. La banque centrale peut difficilement exiger de l’Etat qu’il assume ces pertes (en réclamant, par exemple, l’argent précédemment créé afin de l’annihiler). Si le plan que prépare la BCE ne prévoit aucune mesure pour remédier à une telle éventualité, la monnaie en subira d’office les conséquences.
Niveau artificiel des taux
On sait que les taux d’intérêt, aujourd’hui, ne compensent plus le risque. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer le taux à dix ans des emprunts nippons à celui du Bund allemand. Les deux taux sont quasiment identiques, alors que le Japon croule sous sa dette et que l’Allemagne a un budget en parfait équilibre. Il est clair que les mesures concoctées par les banques centrales ont causé ces divergences. Le niveau des taux d’intérêt est actuellement artificiel et ne reproduit plus l’équilibre entre l’offre et la demande.
La décision de la BNS a, de plus, démontré d’autres lacunes. Les fortes fluctuations des cours sur le marché des changes (le CHF a bondi de 39% face à l’EUR en moins d’une minute !) prouvent que ce marché est dirigé par des logiciels qui, au lieu de tempérer les excès, y contribuent. On ne peut donc plus qualifier les réactions de rationnelles, mais plutôt de spéculatives. Le fonctionnement du marché en soi laisse aussi fortement à désirer. Depuis plus de trente ans, ce sont les teneurs de marché qui en assurent l’équilibre. Ils exécutent tous les ordres. Pour le marché des changes, ce sont de grandes banques et quelques courtiers spécialisés qui se chargent de la besogne. Jeudi dernier, ils ont été incapables d’exécuter ce flot gigantesque qui déferlait sur eux, certains ont même sombré dans des difficultés financières insurmontables. De telles anomalies seraient facilement évitées si on réintroduisait la méthode du fixing.
Mouvements extrêmes
Les conséquences de l’action menée par la BNS ne sont pas encore claires. Il est certain toutefois que tous ceux qui finançaient leur spéculation à partir du CHF souffriront le martyr. On le voit déjà avec le zloty polonais (PLN) et le forint hongrois (HUF) dont les ressortissants de ces deux pays ont d’innombrables hypothèques en CHF à rembourser. Les deux devises ont perdu plus de 25% face au CHF. L’EUR a cédé en fin de semaine 23%. Il a reculé sous son cours d’introduction face au dollar (USD), perdant 1,9%. Le yen (JPY) s’est raffermi de 4,3%, la livre (GBP) de 2,1%, la couronne norvégienne (NOK) de 3%. Les devises exotiques se sont toutes raffermies, sauf le rouble russe (RUB) qui a chuté de 3,7%.
Des mouvements spectaculaires en faveur des titres souverains ont caractérisé l’activité sur le marché des capitaux en EUR. Les emprunts au nom de la Belgique ont gagné jusqu’à 6% ! Les titres pourris et ceux tributaires du CHF, en revanche, se sont fortement tassés. Les industrielles se sont raffermies en USD, tandis que les pourries perdaient du terrain. Les souveraines suisses ont excellé en CHF alors que les bancaires s’effritaient.
Le marché primaire n’est toujours pas saturé de nouvelles émissions. La semaine dernière en a vu apparaître pour l’équivalent de 110 milliards d’EUR, dont la moitié exprimée en EUR. Tous ces titres ont facilement trouvé preneur. Les titres de qualité médiocre étaient prisés. Quasiment toutes les nouvelles émissions s’échangent déjà au-dessus de leur prix de souscription sur le marché gris. Signalons que toutes les transactions concernant la Banque Mondiale (AAA, supranationale) en real brésilien (BRL) s’effectuent en USD. Il y a donc un double risque de change. L’opérateur de câbles néerlandais Ziggo (B2) en EUR est remboursable anticipativement dès 2020. Virgin Media Finance (BB-) est assortie de coupons semestriels.
Obligations
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