La grand-messe annuelle de Berkshire Hathaway

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L’assemblée générale des actionnaires de Berkshire Hathaway s’est, comme toujours, apparentée à un véritable show. Voici une synthèse des principaux points de vue du duo d’investisseurs le plus efficace et le plus célèbre du monde: Warren Buffett et son bras droit, Charlie Munger.

C’est le samedi 6 mai qu’a eu lieu l’assemblée générale des actionnaires de Berkshire Hathaway. Warren Buffett (92 ans; à gauche sur la photo) et Charlie Munger (99 ans; à droite sur la photo) ayant tenu à répondre à 60 des questions au moins de leurs hôtes, la rencontre a duré plus de cinq heures. Si celle-ci a toujours lieu un samedi, c’est que l’oracle d’Omaha estime que les décisions d’investissement ne peuvent être arrêtées que le week-end: contrairement aux autres entreprises, Berkshire Hathaway n’est dès lors pas distraite par ce que l’homme appelle “Monsieur le Marché”.

Warren Buffett avait longuement présenté ‘‘Mister Market” dès l’assemblée de 1987. La plupart des entreprises sont stables, avait-il alors expliqué, mais leurs actions se négocient sur le marché, lequel est immanquablement guidé par ses émotions. Quand il est euphorique, il ne distingue que les facteurs favorables à l’entreprise, pour les titres de laquelle il exige alors un prix très élevé; quand il est déprimé au contraire, il voit juste le mauvais côté des choses, aussi bien à l’échelon de l’émettrice que sur le plan planétaire. Là, il brade ses prix.

Retour au samedi 6 mai. Warren Buffett entend donc exposer aux investisseurs la façon dont se porte Berkshire Hathaway sans que Monsieur le Marché ne réagisse de manière irrationnelle. Le véhicule d’investissement a pour particularité de ne pas écouter Wall Street. Il n’organise par exemple jamais de rencontre avec les analystes – il travaille pour l’actionnaire, non pour des gens qui se préoccupent davantage de savoir pourquoi les résultats du trimestre écoulé ne sont pas conformes au consensus, souligne-t-il. Il n’a qu’un objectif en tête: maximiser les rendements à long terme.

Le roi Charles

Warren Buffett ouvre, comme toujours, le Woodstock du capitalisme en présentant les personnes qui l’entourent. Comme nous sommes le jour du couronnement du roi Charles III, il plaisante – ‘‘Berkshire Hathaway aussi a son roi Charles” – en saluant son compère Charlie Munger. Les milliers de personnes rassemblées dans le stade de football qui accueille la grand-messe rient et applaudissent. La journée sera belle.

Berkshire Hathaway a achevé le premier trimestre sur d’excellents résultats. Son bénéfice d’exploitation a atteint 8,1 milliards de dollars (il était de 7,2 milliards de dollars à la même époque en 2022), hors bénéfice comptable. L’investisseur le plus riche du monde exclut de ce montant les actions détenues par Berkshire Hathaway même, dont la valeur dépasse 300 milliards de dollars: il ne veut pas qu’un Monsieur le Marché maniaco-dépressif influence les chiffres. Les relèvements de taux d’intérêt pratiqués cette dernière année sont bénéfiques au conglomérat. Certes, toute hausse des taux nuit aux entreprises américaines moyennes cotées en Bourse, dont les dettes surpassent les actifs; mais Berkshire Hathaway dispose de quelque 130 milliards de dollars de liquidités, un montant qui lui a rapporté 50 millions d’intérêts il y a un an. Warren Buffett verrait bien cette somme rapidement grimper à cinq milliards de dollars par an.

Banques et immobilier

La crise bancaire est bientôt évoquée. Un actionnaire demande s’il était vraiment opportun d’aider les épargnants dont les dépôts à la Silicon Valley Bank dépassaient 250.000 dollars. Pour le milliardaire, c’est résolument le cas: si les médias avaient annoncé que des clients allaient perdre leur épargne, les gens se seraient empressés de vider leurs comptes. Prenant la parole, Charlie Munger ajoute que la situation de l’immobilier commercial s’aggrave – il la qualifie de “très désagréable” désormais. En 2018, par exemple, 4% de l’immobilier commercial était vacant, contre 29% aujourd’hui. Si le système bancaire devait s’écrouler, l’immobilier ne pourrait par conséquent que suivre. Auquel cas le téléphone de Warren Buffett se mettrait à sonner un dimanche. Ce que le superinvestisseur affirme adorer: “Cela signifie que quelqu’un est dans les difficultés jusqu’au cou et va me faire une proposition fantastique”, a-t-il déclaré un jour. Nous pouvons donc supposer que le pire de la crise bancaire ne sera pas passé tant que l’oracle d’Omaha n’aura pas conclu d’affaire un dimanche.

Robots et Chine

Cela fait maintenant 22 minutes que Warren Buffett tient le micro. Soudain, il demande à Charlie Munger: “Avez-vous quelque chose à ajouter?” Comme ce n’est pas le cas, il reprend le fil de son discours. Quelques instants plus tard, un actionnaire lui demande comment il perçoit l’essor de l’intelligence artificielle. L’orateur renvoie la question à son bras droit, qui se dit impressionné par les robots de BYD, un fabricant chinois de voitures électriques: leur efficacité est telle que les processus de production ne peuvent que se robotiser bien davantage encore. En revanche, Charlie Munger trouve l’engouement pour ChatGPT très exagéré et estime que l’intelligence humaine mérite qu’on lui fasse davantage confiance. Warren Buffett soupire qu’on ne reviendra pas en arrière, or l’évolution de l’intelligence artificielle n’est pas sans danger. L’homme n’hésite pas à faire la comparaison avec le développement de la bombe atomique: bien sûr, il était crucial, pour les Américains alors en pleine Guerre mondiale, de réussir à la construire, mais il est permis de se demander s’il est bon pour l’avenir qu’elle continue d’exister. Albert Einstein a dit un jour que la bombe atomique changerait tout dans le monde, sauf la façon dont les hommes pensent, rappelle le milliardaire: Monsieur le Marché sera donc quoi qu’il en soit toujours occasionnellement déprimé, de sorte que des opportunités d’investissement continueront à se présenter. Ces opportunités sont même peut-être plus importantes que jamais, estime Warren Buffett, qui dit n’avoir jamais vu le monde agir aussi stupidement que maintenant.

Un actionnaire s’interroge sur la position prise, pour quelques mois seulement, dans le groupe taïwanais TSMC. L’oracle d’Omaha répond que TSMC est une entreprise extraordinaire, dotée d’une des meilleures équipes de direction qui soit; si elle avait été américaine, Berkshire Hathaway serait resté investi mais compte tenu du contexte géopolitique, détenir des actions cotées à Taïwan est trop risqué.

Hit-parade des ventes

Le mentor de Warren Buffett est Benjamin Graham. Le superinvestisseur regarde de temps en temps sur Amazon où son livre, intitulé L’Investisseur intelligent, se situe dans le hit-parade des ventes: publié en 1949, l’ouvrage se maintient depuis longtemps à la 350e position approximativement parmi les centaines de milliers de titres qui composent le catalogue. D’après Warren Buffett, il n’existe pas d’autre domaine dans lequel un seul ouvrage demeure classé si haut, si longtemps (au moment où nous rédigeons ces lignes, L’Investisseur intelligent trône à la 46e place des livres les plus vendus; l’assemblée générale n’aura sans doute pas été pour rien dans cette remontée).

Viennent enfin les questions de politique. Bien qu’insatisfait de la polarisation de la politique américaine, Warren Buffett souligne qu’aucune devise ne peut se mesurer au dollar. Il ne comprendrait pas que les Etats-Unis continuent éventuellement à faire tourner la planche à billets: l’inflation est plus difficile à maîtriser une fois le génie sorti de sa bouteille. Et Charlie Munger d’ajouter, non sans cynisme: “Il n’arrive rien à l’homme qui saute d’un immeuble aussi longtemps qu’il n’a pas touché le sol”.

Ce n’est là qu’un petit aperçu de ce qui s’est dit lors de cette grand-messe. Nous ne pouvons que vous recommander d’investir cinq heures de votre temps à réécouter le duo Warren Buffett – Charlie Munger.

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