L’investissement au féminin ? “L’allocation d’actifs est plus important pour les femmes que les hommes”

Les femmes ont des étapes plus marquées dans la vie, donc la planification de l’allocation d’actifs est plus importante pour elles que pour les hommes. C’est ce que note la CIO de Lombard Odier, Nannette Hechler-Fayd’herbe, dans une analyse. Mais que cela veut-il dire pour les femmes ? Et pourquoi les femmes investissent moins que les hommes, et comment les aider à mettre le pied à l’étrier ?
C’est au Musée Van Buuren à Uccle (Bruxelles), où la banque privée suisse Lombard Odier (sponsor de cette villa art-déco) a organisé un rendez-vous avec ses clientes belges, que la Responsable Stratégie d’investissement, durabilité et recherche, CIO EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique), Nannette Hechler-Fayd’herbe, nous reçoit. Dans une récente note, elle expliquait pourquoi la planification d’allocations est plus importante pour les femmes que pour les hommes, car elles ont des étapes plus marquées dans le cycle de leur vie. Elle nous en dit aujourd’hui davantage sur l’investissement au féminin.
Trends-Tendances : La planification d’allocations dans un portefeuille est plus importante pour une femme que pour un homme, écrivez-vous dans votre note. Comment cela se fait-il ?
Nannette Hechler-Fayd’herbe : “C’est quelque chose qu’on constate à travers toutes les cultures : les femmes ont des cycles de vie plus marqués, dans le sens où elles passent par des périodes de discontinuité. Dans leur activité professionnelle par exemple, ou dans la génération de revenus qu’elles ont à disposition pour investir. C’est donc encore plus important pour elles que pour les hommes de revoir les allocations en fonction des changements dans la vie. Quand on progresse et prend de l’âge, dans la vie, on a une propension à prendre du risque différente, plus ou moins forte, et avec des objectifs et des contraintes différents. Par exemple dans le cas d’une séparation, les sources de revenus peuvent être réduites : notre portefeuille doit alors amener des sources de revenus supplémentaires. Il faut toujours aligner l’allocation d’actifs à sa situation, et c’est encore plus vrai pour les personnes qui sont dans des situations plus marquées… et ce sont souvent les femmes.”
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Quelles sont ces différentes étapes dans le cycle de la vie d’une femme ?
“Si on sépare les investisseurs en différentes catégories d’âge et en deux catégories de genre, on constate que les objectifs et la propension à accepter du risque et de la volatilité sont similaires pour les hommes et les femmes, de la vingtaine jusqu’au début de la trentaine. Puis il y a une grosse différence vers la moitié de la trentaine : les femmes ont d’un coup une aversion plus importante au risque que les hommes, en moyenne. On peut en déduire que ce sont des moments de césure, elles passent peut-être à un temps partiel ou arrêtent même de travailler, par exemple dans le cas de la naissance d’un enfant. Donc le comportement d’investissement change aussi. Chez les hommes, le cycle de la vie est en moyenne plus continu et la propension au risque devient graduellement plus faible. En vieillissant, tous deux n’ont plus le même horizon d’investissement qu’à leur jeune âge. Il est plus court et l’objectif est de préserver le capital, donc on investit de manière plus conservatrice. Il y a donc une sorte de cheminement de la vie qui est commun aux deux. Mais chez les femmes il y a souvent une rupture vers la moitié de la trentaine. Or, il se peut que leurs revenus augmentent de nouveau, par la suite, et qu’elles reprennent du risque.”
Les femmes sont proportionnellement moins présentes dans le monde de l’investissement que les hommes. Comment cela se fait-il ?
“C’est vrai. 11.5% des femmes s’occupent régulièrement de leurs finances en Suisse contre 22.8% des hommes, par exemple. Les femmes ont une propension à avoir beaucoup plus de liquidités que les hommes, elles tendent à laisser beaucoup plus d’argent non investi, sur leur compte d’épargne. Mais dans un environnement de taux bas par exemple, les liquidités ne rapportent rien, tandis que ceux qui investissent ont un rendement plus élevé. Alors pourquoi les femmes gardent plus de liquidités ? Les femmes ont plus de barrières pour commencer à investir. Une des barrières est que les femmes n’investissent que si elles comprennent de quoi il s’agit et ce qu’on leur dit. C’est une barrière d’éducation financière, qui est un fait sociétal. Même dans les écoles et les universités, on n’apprend pas à investir. Mais cela m’a aussi poussé à l’autocritique : on perd ce public si on s’adresse à lui avec trop de jargon financier. Il est très important de nouer le dialogue rapidement avec les femmes, et de le poursuivre, affranchi de jargon, de manière très pratique. A ce moment-là, les barrières baissent et les femmes se sentent beaucoup plus confortables pour prendre des décisions d’investissement.
Chez Lombard Odier, nous organisons par exemple des séances d’information uniquement réservées aux femmes. La prise de parole, pour poser des questions par exemple, y est beaucoup plus facile pour elles. Elles viennent alors avec des questions beaucoup plus pratiques que les hommes, qui portent plus sur le ‘comment investir’, que sur un sujet comme ‘est-ce un bon moment pour investir dans l’or’ ou autre. Elles ont une faim de bien comprendre et un besoin d’éducation financière.”
N’est-ce pas un paradoxe ? Les femmes investissent moins, alors qu’avec ces étapes plus marquées dans la vie, qui peuvent aussi avoir un impact sur leur pension par exemple, elles devraient justement investir davantage ?
“C’est effectivement plus important pour les femmes d’investir que pour les hommes. Elles ont des cycles de vie avec des écarts qui font par exemple qu’elles cotisent moins pour leur pension légale. Mais il n’y a pas que cela ; si elles laissent passer du temps et qu’elles n’accumulent pas les pratiques de l’investissement, alors ces barrières deviennent de plus en plus élevées. C’est aussi le cas de femmes qui sont en couple mais où ce ne sont pas elles qui prennent les décisions d’investissement. Cela peut être le partage des tâches naturel qui fait cela, mais c’est un désavantage pour elles, car elles n’apprennent pas la pratique. Mais précisément, investir est primordial car cela contribue à leur autonomie financière. C’est très important car les situations familiales peuvent changer, en cas de divorce par exemple. Il est primordial d’accumuler des expériences et d’avoir un rapport à l’investissement. Les plans d’investissement d’une retraite complémentaire, qui sont fiscalement avantageux dans de nombreux pays européens, peuvent être un premier pas. On apprend à choisir une stratégie et à suivre les marchés, à se demander ce que doit être notre allocation, en fonction de l’objectif qu’on veut atteindre.”
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Y a-t-il des classes d’actifs que les femmes privilégient ?
“Les femmes aiment ce qui est prévisible. Elles ont donc une plus grande part d’obligations dans leurs portefeuilles ; plus élevée que ce qu’elle pourrait être en fonction de leur âge. Elles sont plus frileuses par rapport aux actions et vont les sous-pondérer dans leurs portefeuilles. Elles ont aussi une affinité particulière pour l’immobilier, avec lequel elles ont un rapport plus direct. C’est un actif plus concret, on comprend facilement les loyers et les prises de valeur.”
La part de femmes est en forte hausse parmi les nouveaux investisseurs, notamment dans la catégorie des ETF. Est-ce une tendance que vous constatez aussi ?
“Les statistiques montrent que le taux de croissance est plus important chez les femmes que chez les hommes, oui. Il y a peut-être une force de rattrapage qui se met en place. Les femmes occupent aussi de plus en plus de postes à responsabilité et sont de plus en plus présentes dans l’entrepreneuriat. Elles font donc davantage partie de la population qui a le profil parfait pour être investisseur. Puis, plus un investissement est facile, comme c’est le cas des ETF, plus les barrières baissent.”
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