Les actions immobilières sens dessus dessous

Longtemps perçues comme un investissement sûr et stable, les actions des sociétés immobilières réglementées (SIR) ont récemment mis les nerfs de nombreux “bons pères de famille” à rude épreuve.
Cofinimmo, l’une des plus anciennes SIR (ex-sicafi) de référence sur le marché belge, illustre à merveille la période mouvementée que vient de traverser le secteur immobilier. Après la crise du marché des bureaux bruxellois entre 2007 et 2010, l’immobilière a amorcé une large diversification, une stratégie qui s’est longtemps révélée payante.
Miseriez-vous sur l’immobilier coté pour vos investissements en bourse ? Testez-le dans notre concours Trends Invest Challenge
Toutefois, fin 2021, la brusque montée des tensions inflationnistes a entraîné une hausse des taux d’intérêt, un double coup dur pour les sociétés immobilières. La hausse des taux alourdit leurs coûts de financement et rend leur dividende moins attractif face aux obligations.
Comme si cela ne suffisait pas, la publication du livre Les Fossoyeurs, révélant un scandale de maltraitances dans les maisons de repos du groupe Orpea, a ébranlé tout le segment de l’immobilier de santé. Une très mauvaise nouvelle pour Cofinimmo, ainsi que pour Aedifica et Care Property Invest, propriétaires des murs de nombreuses maisons de repos exploitées par Orpea (devenu Emeis) et son concurrent Korian.
Suivez les cours des SIR sur notre plateforme boursière Trends Bourse Live & Abonnez-vous à notre newsletter Bourse
Baisse de dividende
Pour renforcer sa situation financière, Cofinimmo a cédé plusieurs immeubles jugés non stratégiques, totalisant 215 millions d’euros de désinvestissements en 2024. Ces ventes réduisent toutefois son potentiel de résultats futurs.
L’immobilière a ainsi été contrainte d’ajuster sa politique de dividende. Maintenu à 6,20 euros par action en 2024, son coupon sera amputé de 16% pour tomber à 5,20 euros brut en 2025. Ses fidèles actionnaires toucheront ainsi leur plus faible dividende nominal depuis 1997, une époque où les coupons étaient encore en papier et versés en francs belges…
Cette annonce n’a pourtant pas effrayé les marchés. Vivien Maquet, analyste chez Degroof Petercam, estime que cette décision “fait sens pour pérenniser le dividende”, tout en permettant à Cofinimmo de “maintenir un ratio d’endettement sous la barre des 45%” sans sacrifier sa capacité à saisir de nouvelles opportunités immobilières.
Résultat : l’action Cofinimmo a rebondi de 9% en une semaine après l’annonce de sa nouvelle politique de dividende.
Lire aussi| L’immobilier coté peut-il se redresser ?
Bazooka allemand
Ce redressement s’est toutefois heurté au bazooka budgétaire allemand. Friedrich Merz, futur chancelier, a annoncé la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros pour financer les infrastructures, tout en suspendant la règle du frein à l’endettement pour les dépenses de défense.
Une annonce accueillie avec enthousiasme sur les marchés d’actions, les investisseurs misant sur une relance de l’économie de la zone euro. Mais pour le secteur immobilier, l’effet a été tout autre : la remontée des taux sur les marchés obligataires a lourdement pesé sur les sociétés immobilières.
Le rendement du Bund allemand à 10 ans a en effet bondi de 30 points de base après l’annonce, marquant sa plus forte hausse quotidienne depuis la réunification de l’Allemagne en 1990. Une réaction logique face à la perspective de voir le pays – et d’autres dans la zone euro – s’endetter à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros supplémentaires.
Politique de la BCE
Pour les sociétés immobilières, l’environnement s’avère ainsi plus incertain qu’il y a encore quelques semaines, lorsque la baisse des taux semblait acquise dans le sillage de la politique de la Banque centrale européenne (BCE).
Pourtant, l’institution monétaire ne semble pas prête à changer de cap. La semaine dernière, elle a abaissé ses taux directeurs pour la sixième fois depuis juin, tout en soulignant que les risques économiques restaient orientés à la baisse, notamment en raison de la menace des droits de douane américains.
Pour les sociétés immobilières, l’environnement s’avère ainsi plus incertain qu’il y a encore quelques semaines.
Si les taux longs devaient grimper trop rapidement sur les marchés obligataires, la BCE pourrait intervenir via sa politique quantitative. Actuellement, elle ne réinvestit plus les titres issus de ses anciens programmes d’assouplissement quantitatif arrivant à échéance. Rien qu’en février 2025, cela s’est traduit par un retrait de 57 milliards d’euros de liquidités, et les échéances prévues entre mars et décembre atteignent 417 milliards d’euros.
Une situation qui lui laisse une marge de manœuvre significative pour agir si nécessaire, sans pour autant relancer un programme d’assouplissement quantitatif à grande échelle.
Rendement de dividende
Dans ce contexte, une forte remontée des taux semble peu probable, sauf en cas de dérapage de l’inflation. À ce sujet, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a réaffirmé la semaine dernière que “la désinflation est en bonne voie”. Par ailleurs, les sociétés immobilières bénéficient d’une protection naturelle contre l’inflation grâce à l’indexation des loyers.
L’autre grand atout des sociétés immobilières reste leur dividende élevé. Même après avoir réduit son coupon, Cofinimmo offrira en 2025 un rendement brut de 9%, soit 6,3% net. À titre de comparaison, les obligations spéculatives en euros, qui comportent un risque de non-remboursement, affichent actuellement un rendement brut de seulement 5,1%.
WDP vs Montea
Le rendement n’est toutefois pas le seul critère à considérer, tant les dynamiques varient selon les segments immobiliers. Dans le secteur des entrepôts logistiques, les analystes de Degroof Petercam notaient en début d’année une normalisation du marché après l’essor de 2021-2023, porté par le boom de l’e-commerce, et une période de flottement. Cette tendance se reflète à la fois dans la stabilisation des nouvelles surfaces et l’évolution des loyers.
La localisation demeure toutefois un facteur clé. Les taux de vacance varient ainsi fortement de moins de 2% à Munich, Amsterdam ou Bruxelles, à plus de 8% à Madrid.
Les deux SIR logistiques belges, Montea et WDP, se concentrent justement sur des sites de premier choix. WDP semble néanmoins mieux positionnée, selon Vivien Maquet, grâce à des plans de développement plus aboutis, aussi bien en matière de projets que de financements.
À noter que les deux sociétés offrent un rendement de dividende similaire, avoisinant 6% brut, soit un peu plus de 4% net après retenue du précompte mobilier.
Relance des bureaux
Les vastes plans d’investissement dans les infrastructures et la défense à travers l’Europe auront inévitablement un impact sur l’immobilier. En Allemagne, Friedrich Merz prévoit notamment d’investir massivement dans le logement pour répondre à la pénurie actuelle, ce qui explique la chute sévère en Bourse des géants de l’immobilier résidentiel Vonovia et Deutsche Wohnen.

À l’inverse, cette relance profite au secteur des entrepôts industriels, dont les perspectives étaient encore incertaines en début d’année. Cependant, y investir reste complexe, contrairement au segment des bureaux.
Ce dernier, un marché historique pour les investisseurs belges en immobilier coté, bénéficierait sans aucun doute d’une conjoncture plus dynamique en Europe. D’autant plus qu’il profite d’autres signaux encourageants, comme le retour progressif au bureau imposé par de nombreuses entreprises.
Parmi les valeurs de référence sur ce segment en Europe, Gecina se distingue. Son portefeuille est composé à 79% de bureaux, essentiellement à Paris. Son action affiche une décote de 40% par rapport à sa valeur intrinsèque et un rendement de dividende brut de 6,4%. Toutefois, en raison du double précompte sur les dividendes français, Gecina est davantage un pari sur le redressement du marché des bureaux qu’un placement de rendement à long terme.
Le bout du tunnel ?
Parmi les SIR belges, Cofinimmo est désormais le seul acteur encore présent sur le marché des bureaux, après les rachats de Befimmo et Intervest O&W. Son rendement de dividende très attractif (7,5% net en 2024, 6,3% en 2025) en fait une option séduisante. Toutefois, les analystes restent partagés, avec cinq recommandations à l’achat, six neutres et quatre à la vente. Cette prudence s’explique principalement par son exposition majeure à l’immobilier de santé, qui représentera 77% de son portefeuille fin 2024.
Autrefois perçu comme un segment porteur, l’immobilier de santé a été malmené par la crise des exploitants de maisons de repos, entraînant des pressions sur les loyers. Cependant, les experts de Degroof Petercam estiment que le pire est passé, grâce à une amélioration progressive de la rentabilité des exploitants, soutenue par le redressement des taux d’occupation.
Pour capitaliser sur cette reprise, Vivien Maquet privilégie Aedifica, en raison notamment du retour attendu à la croissance de ses résultats sur la période 2024-2027 et de la poursuite de la hausse de son dividende. Ce dernier bénéficie d’un précompte mobilier réduit à 15% (au lieu de 30%), ce qui permet à Aedifica d’offrir un rendement net de 5,7%, tout en conservant plus de 20% de ses bénéfices pour financer son expansion.
Toutefois, Aedifica pourrait perdre cet avantage fiscal en 2026, ce qui ramènerait son rendement net à 4,7%.
Kots étudiants
Parmi les autres segments, Vincent Koppmair, analyste chez Degroof Petercam, mise sur les résidences étudiantes à travers Xior. Cette SIR belge a traversé une période difficile, marquée par d’importants investissements au moment où les taux d’intérêt remontaient fortement. Cependant, son endettement est désormais maîtrisé, ce qui conduit l’analyste à estimer que “la décote de 25%” sur le titre n’est plus justifiée.
Xior offre un rendement de dividende attractif de 6,6% brut (4,6% net), avec un potentiel de hausse dans les prochaines années. En effet, la société ne redistribue que 80% de son bénéfice, tout en disposant d’une réserve foncière lui permettant de poursuivre son expansion à moindre coût.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici