Les actionnaires activistes donnent des sueurs froides aux patrons

Souvent en embuscade, les actionnaires activistes n’ont pas peur de secouer les entreprises sur lesquelles ils ont jeté leur dévolu. Ceux qu’on appelle les flibustiers ou vautours de la Bourse peuvent bousculer une entreprise pour la plier à leur volonté, impacter son cours et ainsi engranger les dividendes.
Les confrontations entre grandes entreprises et fonds activistes sont de plus en plus fréquentes. Ces derniers, après avoir acquis quelques parts de l’entreprise, n’hésitent pas à bousculer les directions générales pour imposer leur vision stratégique — quitte à faire tomber des têtes et réorienter radicalement les priorités des groupes ciblés. De quoi hériter d’une réputation de vautour. Les moins sévères préfèrent parler de flibustier, un terme désignant une personne à la fois audacieuse et opportuniste, voire sans scrupules.
Deux types d’activistes
On distingue généralement deux grands types d’activisme actionnarial, selon l’approche et les objectifs.
Les premiers sont des activistes financiers. Leur objectif principal est la création de valeur à court (quelques semaines) ou moyen terme pour les actionnaires — et donc aussi pour eux-mêmes.
Pour ce faire, ils cherchent à imposer des changements opérationnels (cessions d’activités, recentrage, changement de management) ou financiers (réduction des coûts, rachat d’actions, augmentation des dividendes) qu’ils jugent nécessaires pour améliorer la rentabilité d’une entreprise. L’objectif : réaliser une plus-value rapide.
Les seconds sont des activistes sociétaux ou ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Leur démarche est plus idéologique ou éthique.
Les premiers sont aujourd’hui bien plus nombreux que les seconds.
BP, le dernier cas d’école en date
Le géant britannique de l’énergie BP en a fait l’amère expérience le 4 avril dernier. Sous pression d’Elliott Management, l’un des fonds activistes les plus redoutés du marché, la direction du groupe a été contrainte de revoir ses ambitions climatiques à la baisse. Quelques semaines après l’entrée d’Elliott au capital, avec près de 5 % des parts, BP annonçait un désengagement majeur du solaire, marquant un net retour aux énergies fossiles. Au passage, son président du conseil d’administration, Helge Lund, a été poussé vers la sortie. Quarante-huit investisseurs institutionnels ont bien tenté de maintenir la ligne verte de l’entreprise, sans succès.
Une vague d’activisme sans précédent
L’exemple de BP illustre une tendance de fond. En 2024, le nombre de campagnes activistes a explosé, atteignant un record de 255 malgré un certain ralentissement en fin d’année, selon le cabinet Lazard. Ce chiffre marque un tournant : l’activisme actionnarial s’institutionnalise et s’étend au-delà des frontières américaines, son berceau historique.
L’Europe (62 campagnes) et l’Asie (57) représentent désormais la moitié des campagnes mondiales. À Londres, Milan ou Francfort, les grandes capitales boursières se préparent à une année 2025 encore plus belliqueuse, avec une hausse anticipée des offensives activistes.
On note que les campagnes activistes ne visent pas les mêmes secteurs selon les régions. En Amérique du Nord, elles ciblent principalement le secteur technologique, tandis qu’en Europe, ce sont plutôt les secteurs des médias et du divertissement qui attirent l’attention.
Un analyste plutôt qu’un cow-boy
Si des figures emblématiques comme Nelson Peltz (Trian Partners) ou Carl Icahn (Icahn Enterprises) se sont faites plus discrètes, une nouvelle génération d’investisseurs prend le relais. Toujours selon Lazard, 186 investisseurs différents ont lancé des campagnes en 2024, dont près de la moitié pour la première fois. Moins connus, parfois plus discrets, ils n’en sont pas moins redoutables. Des sociétés comme Ananym Capital ou Daventry Group se sont illustrées par des campagnes ciblées et efficaces.
Loin de l’image du cow-boy de la finance, l’activiste d’aujourd’hui se présente comme un analyste rigoureux, qui pointe les failles. Selon le Wall Street Journal, le secteur « s’institutionnalise et n’est plus autant axé sur la personnalité ». Arguments solides et plans d’action détaillés sont ses armes pour convaincre… et rallier un maximum d’actionnaires à sa cause.
Un impact direct sur les entreprises
Même si les approches semblent moins brutales, les conséquences d’une campagne activiste peuvent être radicales. Les demandes les plus fréquentes concernent des changements de gouvernance, des cessions d’actifs, ou encore des repositionnements stratégiques.
Preuve de leur efficacité : en 2024, un nombre record de PDG ont été remplacés sous leur pression. L’un des derniers en date est Helge Lund, de BP, mais il est loin d’être seul. Plus de 27 dirigeants ont perdu leur poste, contre 16 en moyenne sur les quatre dernières années.
Un phénomène fait pour rester
Au-delà des coups d’éclat, l’activisme actionnarial s’impose comme un contre-pouvoir du capitalisme contemporain.
« Les investisseurs ne sont plus disposés à attendre les améliorations promises », résume Jim Rossman, responsable mondial du conseil aux actionnaires chez Barclays. Dans un contexte économique incertain, où la pression sur les résultats est maximale, les activistes apparaissent comme des catalyseurs de changement.
Pour les entreprises, l’heure est à la vigilance : ignorer ces nouveaux acteurs, c’est risquer d’en payer le prix fort. Honeywell a ainsi été sommé par Elliott de se séparer de sa division aérospatiale, et Starbucks de revoir sa politique de gestion. Autre exemple relativement récent : la lutte entre le milliardaire activiste Nelson Peltz et le CEO de Walt Disney — une bataille perdue par le second.
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Les plus optimistes diront que ces actionnaires activistes, en demandant des comptes, jouent un rôle de poil à gratter salutaire. Comme le souligne Le Monde : « Les investisseurs passifs donnent un chèque en blanc aux directions. L’actionnaire salarié, lui, vote comme l’entreprise. Quant aux actionnaires individuels, ils ne votent pas. »
Et du côté des entreprises, la vigilance est désormais de mise : les conseils d’administration se préparent et agissent plus promptement si les performances sont insuffisantes.
Aussi actifs en Belgique ?
En 2024, deux tiers des campagnes d’activistes en Europe ont eu lieu dans trois pays. Soit au Royaume-Uni (35), en France (16) et en Allemagne (15). Bien qu’encore limité, le phénomène progresse aussi en Belgique. L’an dernier, au moins deux cas d’activisme actionnarial y ont été recensés. L’un des plus médiatisés a été celui de Marc Coucke contre le conseil d’administration d’Unifiedpost.
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