La croissance comme excuse pour des valorisations élevées ? Attention aux pièges
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Les investisseurs justifient souvent des valorisations excessives par la perspective de croissance, mais rares sont ceux capables de l’estimer avec précision. Nombreux sont ceux qui la surestiment et finissent par payer trop cher.
Au sein de la rédaction de Trends, j’entends souvent : « Dis, tu as déjà regardé l’action X ? Elle a bien grimpé ! » Ce à quoi je réponds souvent : « Oui, mais beaucoup trop chère à mon goût. »
Je ne sais pas d’où ça vient, quelle anomalie génétique en est responsable, mais je n’y arrive pas : je ne peux pas payer trop cher pour une action. L’argument de mes collègues est toujours le même : la croissance ne fait qu’une bouchée de la valorisation. L’idée est claire.
Et pourtant. En 2018, Google se négociait à quarante fois ses bénéfices. C’était trop pour moi et je n’ai pas pu me résoudre à acheter. Voici ce que j’ai manqué à cause de cela. Ça pique.
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Et avant que les puristes ne me tombent dessus, je sais que la valorisation ne dépend pas seulement de la croissance. La rentabilité, les avantages concurrentiels, le ROIC (retour sur le capital investi), le « moat » (avantage compétitif durable) et de nombreux autres acronymes boursiers comptent aussi. Il n’empêche que la croissance reste au centre des préoccupations.
Récemment, j’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec des gestionnaires de Baillie Gifford, une société écossaise de gestion d’actifs qui pourrait être décrite comme un investisseur en croissance dopé, n’ayant peur d’aucun projet futuriste. Chez eux aussi, la valorisation est un pilier clé du processus d’investissement. Mais pour des entreprises dont ils anticipent un doublement du chiffre d’affaires en cinq ans et une augmentation encore plus importante des bénéfices, ils n’hésitent pas à payer quand elle est cotée à vingt, trente ou même cinquante fois les bénéfices.
Donc, la croissance ne fait qu’une bouchée de la valorisation, je comprends. Mais que se passe-t-il si la croissance ne se concrétise pas ? Dans ce cas, c’est la valorisation qui ne qu’une bouchée de la croissance.
Ces dernières années, la Bourse de Bruxelles a fourni de nombreux exemples de ce phénomène. Melexis, autrefois une étoile montante de la croissance en Belgique, qui affichait autrefois des valorisations atteignant 32 fois le ratio entre la valeur d’entreprise (EV) et l’excédent brut d’exploitation (EBITDA). Mais quand la croissance n’a pas suivi, voici ce qui s’est passé :
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Le même scénario s’est produit, dans une certaine mesure, pour Barco et Umicore.
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Ou encore pour la société technologique de fitness Peloton.
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Chez Lotus Bakeries, la principale question qui se pose actuellement est peut-être de savoir si, compte tenu de la forte valorisation, le cours de l’action est à son niveau le plus vulnérable à un manque de croissance dans les années à venir.
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En résumé, des valorisations élevées peuvent être justifiées, mais encore faut-il être sûr que la croissance sera au rendez-vous.
Les investisseurs ont récemment été aveuglés par le succès des géants technologiques américains, où la croissance semblait aller de soi. Mais même ces mastodontes sont vulnérables lorsque leurs valorisations sont excessives et que la croissance ralentit. Prenez l’exemple de Netflix : entre la fin 2021 et le début 2022, la société a perdu plus des deux tiers de sa valeur en Bourse à cause d’un ralentissement de la croissance. Certes, depuis son point bas, le titre a été multiplié par cinq grâce à une reprise de la croissance.
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Le véritable défi pour les investisseurs est donc d’évaluer si leur « boule de cristal » est suffisamment claire et expérimentée pour prédire la croissance future d’une entreprise ou d’un secteur. Chez Baillie Gifford, ils sont passé maître dans l’exercice et obtiennent des résultats relativement bons.
Mais étude après étude, il apparaît que le marché et les investisseurs lambdas surestiment systématiquement les perspectives de croissance des entreprises. De plus, la croissance passée ne garantit en rien la croissance future, comme l’a démontré une étude de Verdad Capital.
Alors oui, la croissance ne fait qu’une bouchée de la valorisation, mais si la croissance est systématiquement surestimée, elle ne devrait jamais être la seule raison pour justifier une valorisation élevée.
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