Gestion passive vs active: laquelle vous rendra plus riche?
Le succès de la gestion indicielle a remis en lumière la question des frais, d’autant plus face à la surperformance des fonds passifs. Toutefois, cette approche soulève aussi de nouveaux risques, notamment en termes de concentration des marchés.
Juillet 1971, les Golden Sixties ne sont plus qu’un souvenir, et un parfum de renouveau flotte dans l’air. Aux États-Unis, le premier pic de production pétrolière est atteint. Ce qui laissera les coudées franches à l’Opep quelques années plus tard lors des chocs pétroliers. Pendant ce temps, en Géorgie, Jimmy Carter, fraîchement élu gouverneur, déclare que l’époque de la ségrégation raciale appartient au passé. Une prise de position unique et audacieuse à l’époque pour un homme politique d’un État du Sud profond.
Et sur les marchés financiers, John McQuown lance une véritable révolution en créant le premier fonds d’investissement indiciel. Il s’appuie pour ce faire sur les travaux et la collaboration d’une douzaine d’économistes, dont six prix Nobel comme Harry Markowitz, William Sharpe et Eugene Fama.
Une stratégie à peaufiner
Initialement conçu pour le fonds de pension de Samsonite, ce premier fonds indiciel investit équitablement dans chacune des 1.500 entreprises cotées à l’époque sur la Bourse de New York. Le succès n’est toutefois pas véritablement au rendez-vous. Le grand nombre de positions à rééquilibrer régulièrement rendant son administration assez lourde, un comble pour une gestion dite passive. En 1976, le fonds est réorienté vers l’indice S&P 500. Cet indice est devenu au fil du temps le principal baromètre boursier américain, voire mondial.
La même année, John Bogle, fondateur de Vanguard, lance le premier fonds indiciel à destination des particuliers. Cette stratégie répond parfaitement à sa volonté de proposer des solutions d’investissement simples, à coûts réduits et efficaces.
Montée en puissance
Un demi-siècle après sa création, Vanguard gère plus de 10.000 milliards de dollars, essentiellement en gestion passive. Dans l’ensemble, les produits indiciels représentent aujourd’hui 50% des fonds en actions et près de 40% des fonds en obligations selon les données de Bloomberg. Et la tendance continue de s’amplifier, comme l’épingle Matthieu Remy, fondateur et CEO d’Easyvest.
“Le Boston Consulting Group, un cabinet de consultance, estime que sur l’année 2023, 70% des nouveaux flux entrant en gestion furent investis en ETF (fonds coté en Bourse, ndlr) et autres fonds indiciels passifs, marquant une nouvelle accélération par rapport à la période 2019-2022, quand cette part était de 57%”, précise-t-il.
Coûteux gestionnaire
Comment expliquer l’ascension fulgurante de la gestion passive ? Essentiellement par ses performances, comme l’admet Bertrand Veraghaenne, managing partner chez Whitestone. “À peu près toutes les études démontrent que la gestion passive obtient historiquement de meilleurs rendements. Cela s’explique principalement par l’impact des frais. Ces derniers, nécessaires pour rémunérer les équipes de gestion et d’analyse, pèsent inévitablement sur les performances”, analyse-t-il.
Etienne de Callataÿ, économiste en chef d’Orcadia AM, abonde dans le même sens: “Un gestionnaire d’actifs moyen vous fait perdre de l’argent, sa performance relative par rapport aux indices ne compensant pas les frais supérieurs”. Ces derniers sont de l’ordre de 1% par an pour un fonds d’investissement mais peuvent s’accumuler à différents étages (sicav, fonds de fonds, contrat de gestion, etc.).
Prêchant pour sa paroisse, Matthieu Remy, d’Easyvest, constate ainsi que “la gestion passive est une approche optimale pour la majorité des investisseurs sur le long terme. Pourtant, les particuliers belges se voient encore majoritairement proposer des solutions de gestion active, comme la traditionnelle sicav. Cette prédominance s’explique avant tout par le fait que la gestion active génère des marges nettement plus importantes pour les réseaux bancaires”.
Surperformance aléatoire
Dans le détail, selon les données de Morningstar, seul un gestionnaire “actif” sur trois a réussi à dépasser son indice de référence en 2023. Si cela semble offrir une probabilité raisonnable de succès, ce chiffre masque une réalité bien plus complexe : le véritable défi réside dans la capacité à répéter cette surperformance.
“Nous avons réalisé une étude démontrant que chaque année, seuls 38% des investisseurs actifs professionnels (banques, hedge funds, etc.) battent le marché, soit moins d’un sur deux, souligne Matthieu Remy. Ils ne sont plus que 15% à le faire deux années de suite et moins de 1% cinq années de suite, c’est-à-dire dans la marge d’erreur statistique, qui relève plus de la chance que de la compétence.”
“Chaque année, seuls 38% des investisseurs actifs professionnels battent le marché, soit moins d’un sur deux.” – Matthieu Remy (Easyvest)
Faut-il pour autant conclure qu’il est temps de solder vos positions en sicav et de résilier votre contrat de gestion discrétionnaire ? Une telle décision serait précipitée.
Rôle de tampon
Matthieu Remy reconnaît que la gestion active conserve certains avantages, notamment la possibilité de personnaliser plus finement un portefeuille d’investissement. Toutefois, cette approche n’est véritablement accessible que pour les investisseurs disposant d’un capital substantiel.
Etienne de Callataÿ met, quant à lui, en avant le rôle crucial de “tampon” que doit jouer un conseiller financier, particulièrement en période de crise. “La panique est souvent une très mauvaise conseillère. Si vous êtes seul face à votre ETF, le risque est élevé de céder à l’impulsion de liquider vos positions au pire moment possible”, explique-t-il.
“Le même raisonnement est valable pour toute décision d’investissement. Un conseiller ou gestionnaire vous incite à temporiser et vous offre un regard différent”, pointe l’économiste en chef d’Orcadia AM.
“La panique est souvent une très mauvaise conseillère. Si vous êtes seul face à votre ETF, le risque est élevé de céder à l’impulsion de liquider vos positions au pire moment possible.” – Etienne de Callataÿ (Orcadia AM)
Stratégie flexible
Par ailleurs, “la gestion active offre une flexibilité précieuse pour ajuster la structure d’un portefeuille face à des conditions économiques ou financières en évolution”, poursuit Etienne de Callataÿ. Il illustre son propos par un exemple concret. “Supposons que vous ayez investi dans un indice incluant de nombreuses entreprises sensibles aux variations des taux d’intérêt, comme Elia ou les sociétés immobilières cotées sur Euronext Bruxelles. Pendant des années, ces investissements ont pu afficher d’excellentes performances. Mais si vous n’aviez pas réagi en 2022, face à la montée des tensions inflationnistes et au retournement des taux, votre portefeuille aurait subi des pertes considérables.”
De manière similaire, la crise financière de 2008-2009 a balayé près de deux décennies de gains pour des indices fortement concentrés sur le secteur bancaire, à l’instar du Bel 20 bruxellois. C’est ici que la gestion active montre tout son intérêt. Un gérant attentif et réactif peut réduire l’exposition à des risques spécifiques. Cela limite ainsi l’impact d’une crise sectorielle ou d’un choc économique sur le portefeuille global.
Sept Fantastiques
Ces exemples soulignent également l’importance capitale du choix de l’indice de référence en gestion passive. Parmi les indices les plus prisés, notamment en Europe, figure le MSCI World, un indice mondial regroupant 23 marchés développés répartis sur quatre continents et près de 1.400 entreprises.
À première vue, cet indice semble offrir une double promesse : bénéficier des grandes tendances économiques mondiales tout en évitant une concentration excessive des risques régionaux
Pourtant, “cette promesse de diversification n’est aujourd’hui plus qu’un mirage, estime Bertrand Veraghaenne. Les actions américaines représentent désormais 74% du MSCI World, un poids disproportionné par rapport à l’économie réelle des États-Unis, qui contribue à hauteur de 27 % au PIB mondial”.
Cette prédominance s’explique par deux grandes dynamiques, selon le spécialiste de Whitestone.
“D’une part, les Magnificent Seven (Apple, Amazon, Alphabet, Meta, Microsoft, Nvidia, Tesla, ndlr) ont été largement plébiscités en Bourse et représentent à eux seuls 22,4% du MSCI World. D’autre part, l’économie américaine a surpassé le reste du monde ces dernières années, grâce notamment à un déficit public massif qui a soutenu la consommation.”
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Ces trois dernières années, le déficit budgétaire des États-Unis a ainsi gravité autour de 6% du PIB, contre environ 3% dans la zone euro.
Marchés cycliques
Cette domination des actions de croissance américaines a été renforcée par le succès des produits indiciels adossés au S&P 500, qui totalisaient plus de 10.000 milliards de dollars fin 2023. Les Sept Fantastiques pesent plus d’un tiers de cet indice phare de Wall Street. Ces seuls produits indiciels concentrent environ 3.400 milliards de dollars d’investissements dans ces géants technologiques.
“Plus les capitaux affluent vers les grands fonds indiciels, plus cela renforce la prépondérance des actions américaines et de croissance, constate ainsi Bertrand Veraghaenne. Ce faisant, les investisseurs oublient que tout est cyclique dans le monde financier. Ils ne tiennent pas compte d’une possible déception de l’économie américaine, ayant salué l’élection de Donald Trump sans égard pour les risques que sa politique peut poser.” Qu’il s’agisse d’une dérive des finances publiques ou d’une guerre commerciale qui finirait par paralyser les échanges.
En outre, “les marchés obnubilés par les nouvelles technologies ont perdu de vue qu’historiquement, les actions de croissance et de type value (décotées, issues de secteurs plus classiques, ndlr) s’illustrent à tour de rôle sur les marchés”, poursuit le spécialiste de Whitestone.
Efficience des marchés
Ce constat soulève des interrogations quant au principe d’efficience des marchés. Principe selon lequel le cours d’une action reflète toutes les informations disponibles. “Avec le succès grandissant des fonds indiciels, les investisseurs tendent à agir davantage par mimétisme que sur la base des fondamentaux”, observe Bertrand Veraghaenne. Pourtant, l’hypothèse d’efficience des marchés constitue le socle de la justification de la surperformance de la gestion passive. Selon cette théorie, il serait illusoire d’espérer un meilleur rendement que la moyenne, puisque tout actif serait toujours correctement évalué, ni sous-évalué, ni surévalué. Force est toutefois de constater que “les écarts de valorisation actuels paraissent difficilement défendables”.
Aux États-Unis, les multiples de valorisation atteignent des sommets vertigineux, comme l’illustre le graphique ci-contre. Wall Street affiche une valorisation moyenne de 21,4 fois les bénéfices attendus au cours des 12 prochains mois, un niveau record pour les deux dernières décennies. Cette surévaluation du marché américain exerce une influence disproportionnée sur les moyennes mondiales, alors que les marchés européens, asiatiques ou émergents affichent des multiples proches de leurs médianes historiques.
“Avec le succès grandissant des fonds indiciels, les investisseurs tendent à agir davantage par mimétisme que sur la base des fondamentaux.” – Bertrand Veraghaenne (Whitestone)
Krach ou dégonflement
“Tôt ou tard, cette bulle américaine et technologique se dégonflera, avertit Bertrand Veraghaenne. Les deux seules questions sont quand et comment. Le dégonflement interviendra-t-il de manière brutale ou progressive, sous l’effet d’une hausse des cours plus modérée par rapport à la progression des bénéfices des valeurs de croissance ?”
Face à ces incertitudes, il est primordial de rester prudent et de veiller à “rationaliser le couple risque/rendement de votre portefeuille, comme le souligne Etienne de Callataÿ. “Sans nécessairement construire entièrement un portefeuille à partir de titres individuels, vous pouvez par exemple choisir un fonds passif basé sur un indice équipondéré. Concrètement, chaque action de l’indice reçoit alors une pondération égale. Ce qui permet d’éviter les problèmes de concentration sur des géants comme les Magnificent Seven sur les marchés développés, ou le colosse taïwanais des semi-conducteurs, TSMC, sur les marchés émergents.”
Portefeuille d’ETF
Bertrand Veraghaenne utilise les ETF à faibles coûts dans le cadre d’une “stratégie active ‘passive’”.
“Concrètement, cette approche repose sur quelques fonds indiciels représentatifs de l’ensemble du MSCI World All Countries (marchés émergents et développés, ndlr), permettant ainsi d’inclure des régions comme la Chine. La Chine qui reste négligée par de nombreux investisseurs, bien qu’elle soit la deuxième économie mondiale, dit-il. Une répartition judicieuse de ces ETF offre un portefeuille équilibré, à la fois en termes de styles de gestion (croissance, value) et d’exposition géographique et sectorielle. Ce portefeuille de base peut être complété par des positions satellites, incluant par exemple, des investissements dans le secteur de la défense, un excellent rempart face aux tensions géopolitiques persistantes, ainsi que dans des secteurs sous-évalués. L’or, en tant que valeur refuge, reste une composante essentielle pour protéger un portefeuille.”
Une bonne sauce
Du côté d’Orcadia Asset Management, Etienne de Callataÿ met en œuvre une stratégie similaire, alliant gestion active et passive.
“Nos portefeuilles sont conçus comme un mélange équilibré entre les deux approches. Tout d’abord, nous avons une base solide, le fond de sauce, qui reflète largement les grands indices boursiers mondiaux. Ensuite, nous y apportons notre ‘assaisonnement’, basé sur notre analyse des risques et nos convictions personnelles.”
Prenons l’exemple d’une action comme Microsoft, un poids lourd du marché. “Si nous avons une forte conviction sur ses perspectives, nous la surpondérons, détaille-t-il. À l’inverse, si nous avons des doutes, nous choisissons de la sous-pondérer, tout en évitant les décisions radicales.” Les critères d’évaluation vont au-delà des risques financiers, en tenant également compte de la durabilité des entreprises, qui est au cœur de la philosophie de gestion d’Orcadia.
Cependant, Etienne de Callataÿ ne sous-estime pas la gestion passive. “La majorité des investisseurs belges pourraient probablement obtenir de bien meilleurs résultats en optant pour un simple ETF indiciel étant donné que de nombreux gestionnaires de fonds détruisent systématiquement de la valeur.”
Plans d’investissement
Matthieu Remy confirme cette analyse. “En Belgique, les quatre grandes banques dominent le marché de la distribution de solutions de gestion d’actifs. Elles représentent 64% de celui-ci. Cette situation d’oligopole crée un environnement où aucun des acteurs n’a véritablement intérêt à sacrifier la marge bénéficiaire élevée qu’il génère grâce à la gestion active.”
Sans nier les risques inhérents à la gestion indicielle, comme la concentration, il souligne que “le développement de la gestion passive est inexorable à long terme. Easyvest propose notamment des plans d’investissement qui permettent d’entrer progressivement sur les marchés. Cela évite d’être surexposé à tout risque ponctuel, suivant un profil adapté à vos besoins”.
Sélection d’ETF
En résumé, il est urgent de vous assurer que votre banquier répond bien à vos besoins. La performance obtenue est-elle à la hauteur des risques pris ? Les différents frais sont-ils le reflet d’un réel service (gestion active, conseils, accompagnement, etc.) ?
Si tel n’est pas le cas, vous avez tout intérêt à faire jouer la concurrence et/ou à reprendre votre épargne en main. Pour vous y aider, nous avons réalisé une sélection d’ETF indiciels vous permettant d’investir efficacement et à moindres coûts.
• ETF en actions
- Xtrackers MSCI World UCITS (XDWD sur Euronext Milan, frais annuels de 0,19%) :
fonds indiciel mondial sur les marchés développés ; - iShares MSCI ACWI (SSAC sur Euronext Amsterdam, frais annuels de 0,20%) :
ETF basé sur l’indice mondial “tous pays”, incluant les marchés développés et émergents ; - Amundi MSCI World ESG Leaders (ESGWO sur Euronext Milan, frais annuels de 0,18%) :
sélection du MSCI World éliminant les entreprises en retard en matière de durabilité, plafonnement de la pondération d’une action à maximum 5% ; - VanEck World Equal Weight Screened (TSWE sur Euronext Amsterdam, frais annuels de 0,20%) :
actions mondiales durables équipondérées avec une large diversification géographique ; - Xtrackers MSCI World ex USA (EXUS sur Euronext Milan, frais annuels de 0,15%) :
réplication de l’indice MSCI World sans les actions américaines ; - iShares MSCI World Small Cap (IUSN sur la Bourse de Francfort, frais annuels de 0,35%) :
petites capitalisations mondiales, indice très largement diversifié (plus de 3.000 valeurs, pondération maximum de 0,33%) ; - Invesco MSCI World Equal Weight (IWVL sur Euronext Milan, frais annuels de 0,25%) :
réplication de l’indice MSCI World équipondéré
• ETF en obligations
- Xtrackers II Global Government Bond (XGSH sur Euronext Milan, frais annuels de 0,25%) :
obligations souveraines des pays développés avec couverture contre le risque de change en euros ; - iShares Core EUR Corporate Bond (IEAC sur Euronext Amsterdam, frais annuels de 0,20%) :
obligations d’entreprises de qualité en euros ; - iShares J.P. Morgan EM Local Government Bond (SEML sur Euronext Milan, frais annuels de 0,50%) :
obligations souveraines des marchés émergents.
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