Énergie: pas d’urgence pour vos investissements

Donald Trump n’a ainsi pas hésité à menacer l’Europe de droits de douane si elle n’augmente pas ses importations de pétrole et de gaz américains. © REUTERS

En proclamant l’état d’urgence énergétique, Donald Trump souhaite changer radicalement de cap en privilégiant l’exploitation des réserves d’hydrocarbures américaines. Avez-vous intérêt à suivre la même stratégie pour vos investissements ?

Alors que beaucoup s’attendaient à des annonces concrètes sur les droits de douane, Donald Trump a concentré ses premières actions sur le secteur énergétique, allant jusqu’à déclarer l’état d’urgence. Une décision forte, que le président justifie par les “coûts énergétiques élevés qui ont un effet dévastateur sur les consommateurs américains en augmentant le coût des transports, du chauffage, des services publics, de l’agriculture et de la fabrication, tout en affaiblissant notre sécurité nationale”.

Pourtant, dans les faits, les ménages américains sont loin d’être les plus mal lotis. D’après le Bureau d’analyse économique (BEA), les coûts énergétiques ne représentaient que 3,5% de leur budget en novembre dernier, un niveau historiquement bas, proche du plancher atteint en 2020 en pleine pandémie.
Les États-Unis bénéficient de coûts énergétiques inférieurs à ceux observés en Europe ou en Asie, grâce à leur statut d’exportateur net de gaz depuis 2016 et de pétrole depuis 2021. Cependant, Donald Trump semble avoir les marchés internationaux dans sa ligne de mire. Il n’a ainsi pas hésité à menacer l’Europe de droits de douane si elle n’augmente pas ses importations de pétrole et de gaz américains.

Libérer l’énergie

Dans sa volonté de “libérer l’énergie américaine” (fossile), il a déjà multiplié les décrets : abrogation des interdictions de forage dans l’Arctique et le long des côtes américaines, accélération de la délivrance des permis (environnementaux), octroi de nouvelles licences d’exportation pour des projets de gaz naturel liquéfié (GNL).

Le message est sans ambiguïté : “Drill, baby, drill”. Pourtant, cette offensive pro-fossile semble avoir laissé les marchés de marbre. L’indice des producteurs de pétrole et de gaz américain, le Dow Jones U.S. Oil & Gas, a même réagi négativement, enregistrant un repli de 2,6% durant les deux premiers jours du mandat de Donald Trump.

L’explication réside dans l’histoire du secteur américain du pétrole et du gaz de schiste. En moins de deux décennies, ce secteur a révolutionné le paysage énergétique mondial, propulsant les États-Unis au rang de premier producteur de pétrole et de gaz. En 2023, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), pas moins de 64% du pétrole américain et 78% de son gaz provenaient de formations schisteuses.
Portée par une vague massive d’investissements, cette ascension spectaculaire a néanmoins laissé des résultats financiers calamiteux. Deloitte dressait ainsi en 2020 un bilan sombre de la décennie écoulée : 190 faillites, 300 milliards de dollars de trésorerie évaporés et 450 milliards de dollars de dépréciations d’actifs. Et ce, sans même compter l’impact de l’effondrement des prix de l’énergie en 2020, quand le baril de pétrole américain avait brièvement atteint un prix négatif.

Le plongeon des prix du pétrole en 2020 marquait le deuxième effondrement majeur en six ans, après celui de 2014. À l’époque, l’Arabie saoudite avait décidé d’ouvrir les vannes pour défendre ses parts de marché face à la concurrence croissante du pétrole de schiste américain.
Ces chocs successifs ont profondément transformé la stratégie du secteur. Après la pandémie, la rémunération des actionnaires (dividendes, rachats d’actions) a ainsi pris le pas sur les investissements. Plutôt que dépenser de 120% à 130% de leur flux de trésorerie opérationnel dans de nouveaux gisements, les entreprises n’y consacraient plus que 70% ou moins.

Baisse des forages

L’amélioration des techniques d’extraction a néanmoins permis de soutenir les volumes malgré une forte réduction des activités de forage. Entre fin 2022 et fin 2024, la production hebdomadaire de pétrole aux États-Unis a bondi de 12%, alors même que le nombre de forages pétroliers en activité a reculé de 22%, selon les données de référence de Baker Hughes. En comparaison avec le pic de 2014, la chute est encore plus impressionnante : le nombre de forages a dégringolé de 70%, passant de 1.609 à seulement 478 à la mi-janvier 2025.

La tendance est encore plus marquée dans le secteur du gaz. Le nombre de forages a récemment chuté sous la barre des 100, contre près de 200 en 2018 et un sommet de 1.606 en 2008. En cause, des prix qui peinent à rebondir et sont revenus l’an dernier à leurs niveaux de 2020. Ce contexte dissuade les producteurs de gaz de schiste d’investir massivement afin de ne pas compromettre la remontée récente des cours.

Selon l’EIA, le prix moyen du gaz naturel devrait passer de 2,21 dollars par MMBtu (Metric Million British Thermal Unit, l’unité de mesure standard pour les contrats financiers de gaz naturel) en 2024 à 3,10 dollars en 2025, puis à 4 dollars en 2026. Sur le marché néerlandais, référence pour l’Europe de l’Ouest, la même quantité de gaz se négocie actuellement à 14,4 euros…

Hausse des cours

En Bourse, les producteurs de pétrole et gaz de schiste n’ont ainsi guère souffert du durcissement des règles environnementales sous la présidence de Joe Biden. Le Dow Jones US Oil & Gas a même bondi de 118%, offrant un rendement total de 142% dividendes inclus au cours de son mandat.

Cette performance repose toutefois sur un équilibre fragile, mêlant limitation des dépenses, amélioration des techniques d’extraction et prix des hydrocarbures relativement favorables. Or, cet équilibre semble aujourd’hui encore plus précaire. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’offre mondiale de pétrole devrait excéder la demande de plus d’un million de barils par jour (mb/j) au cours des deux premiers trimestres de 2025, et ce, malgré la prolongation des coupes volontaires de production de l’Opep+, totalisant 2,2 mb/j.

Dans ce contexte, une forte accélération des investissements et de la production risquerait de provoquer une chute des prix, un scénario que Donald Trump espère, mais qui va à l’encontre des priorités des dirigeants des entreprises pétrolières et gazières américaines, soucieux de préserver la rentabilité avant tout.

Exploration risquée

Une perspective que Darren Woods, CEO d’ExxonMobil, le plus grand groupe pétrolier américain, a fermement rejetée en novembre dernier. “Je ne pense pas que quiconque élabore aujourd’hui une stratégie d’entreprise pour répondre à un agenda politique”, a-t-il déclaré, tout en soulignant que la production de pétrole et de gaz de schiste n’était en rien limitée par des “contraintes externes” telles que la réglementation.

Selon Darren Woods, les décisions de Donald Trump pourraient avoir un impact à long terme, notamment par l’ouverture de nouvelles zones d’exploitation. Cependant, le véritable enjeu reste de savoir si le secteur sera prêt à engager d’importants investissements dans ces projets, compte tenu des risques économiques, juridiques et politiques.

L’exemple des enchères pétrolières dans la plaine côtière de l’Arctique américain illustre ce manque d’enthousiasme. Ces ventes, organisées à la suite d’une loi de 2017, n’ont généré que très peu d’intérêt. Lors de la première enchère, sous la première administration Trump, neuf concessions avaient été attribuées. Deux, acquises par des groupes pétroliers, ont été annulées à la demande des acheteurs, tandis que les sept restantes, détenues par une agence de développement de l’État d’Alaska, ont été annulées pour des raisons juridiques. La deuxième enchère, qui s’est clôturée début janvier, n’a quant à elle attiré aucune offre.

Énergies renouvelables

En résumé, miser sur une reprise substantielle de l’exploration pétrolière et gazière aux États-Unis semble risqué, le secteur ayant bien plus à perdre qu’à gagner. Mais alors, pourquoi ne pas prendre le contrepied de Donald Trump et regarder du côté des énergies renouvelables ?

Rappelons que le premier mandat de Donald Trump, malgré ses frasques et le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, avait finalement été assez bénéfique pour les énergies renouvelables. Entre 2017 et 2021, les installations éoliennes, solaires et de batteries ont progressé de 14% par an, selon l’American Clean Power Association. En parallèle, l’indice boursier S&P Global Clean Energy avait presque quadruplé sur cette période.

Par ailleurs, si les États-Unis sont exportateurs nets de pétrole et de gaz, ils demeurent importateurs nets d’électricité. Et avec l’essor de l’intelligence artificielle et l’électrification accrue, les besoins ne feront qu’augmenter. Les estimations prévoient une hausse de la demande d’électricité aux États-Unis de 2,8% à 15,8% d’ici 2029, un contexte favorable à l’expansion des énergies renouvelables.

Une reprise dans un contexte protectionniste profiterait sans nul doute à First Solar, de loin le premier fabricant américain de panneaux solaires. © REUTERS

Le pari solaire

Les perspectives semblent toutefois aujourd’hui plus troublées. Donald Trump a déjà imposé un moratoire sur les projets éoliens et suspendu la vente de baux pour l’éolien offshore dans les eaux fédérales. Par ailleurs, il a aussi remis en question l’IRA (Inflation Reduction Act), qui prévoit des financements et crédits d’impôts pour les énergies propres – même si un retrait total de l’IRA semble peu probable.

Dans ce contexte chahuté, le solaire semble relativement épargné. Dans ses déclarations, Donald Trump concentre ses critiques sur l’éolien et s’est même déclaré “fan du solaire” en septembre dernier. Cependant, il devrait confirmer, voire augmenter, les droits de douane élevés (de 30% à 230%) qui frappent les importations de panneaux solaires depuis juillet 2024.

Miser sur le solaire américain pourrait ainsi être un pari risqué, mais potentiellement payant. Le secteur traverse une profonde crise, ce qui a conduit à la faillite de SunPower, détenu notamment par TotalEnergies. Mais une reprise dans un contexte protectionniste profiterait sans nul doute à First Solar, de loin le premier fabricant américain de panneaux solaires. Les autres acteurs du secteur outre-Atlantique incluent Nextracker (spécialisé dans les solutions de suivi solaire), Enphase Energy (fournisseur d’onduleurs et de batteries de stockage) et Sunrun (leader des systèmes solaires résidentiels).

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