En bourse, l’industrie européenne a le vent en poupe
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Portés par le retour en grâce des actions européennes, les géants industriels ont entamé l’année sur les chapeaux de roues. Si les incertitudes restent nombreuses, le potentiel de redressement demeure significatif, offrant aux investisseurs actifs des opportunités prometteuses.
Les droits de douane imposés par les États-Unis, la flambée des prix du gaz ou le déclin de l’activité manufacturière laissaient augurer un début d’année 2025 particulièrement difficile pour les actions européennes. Pourtant, à la clôture du 12 février, l’indice paneuropéen Stoxx 600 affichait une surperformance de 5,1% par rapport au S&P 500 américain selon les données de l’agence Bloomberg.
Si cet écart se maintient jusqu’au 31 décembre, les Bourses européennes afficheraient en 2025 leur meilleure performance relative depuis le début du siècle. Plus surprenant encore, cette dynamique haussière est largement portée par les poids lourds de l’industrie, tels que BASF, ArcelorMittal, Siemens ou Syensqo.
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Tendance plus favorable
Pour la première fois depuis des années, les perspectives de ces mastodontes industriels semblent même s’éclaircir. ArcelorMittal, deuxième groupe sidérurgique mondial, anticipe en 2025 une reprise de la demande d’acier, boostée par des stocks historiquement bas, notamment en Europe. Siemens observe un regain des commandes dans trois de ses quatre divisions industrielles lors des derniers mois de 2024. De son côté, BASF signale une stabilisation de ses prix en fin d’année, alors que la reprise des volumes se confirme.
Même le secteur automobile allemand, particulièrement malmené ces dernières années, s’est joint à la fête. Volkswagen a ainsi repris des couleurs en Bourse, à l’image de ses parts de marché dans l’électrique, un segment où le groupe peine à s’imposer face aux acteurs américains et chinois malgré de lourds investissements. En janvier, le groupe a toutefois profité de la chute des ventes de Tesla pour s’imposer en leader de l’électrique dans plusieurs pays européens (dont le Royaume-Uni ou la Norvège). En Allemagne, il compte même les six modèles électriques les plus populaires du mois dernier.
Facteurs à surveiller
Cette embellie est-elle pérenne ? Amélie Derambure, responsable de stratégies d’investissement multi-actifs chez Amundi, estime que cela dépendra d’un ensemble de facteurs comme un cessez-le-feu en Ukraine, un rebond de l’industrie manufacturière dans la zone euro, une baisse des prix du gaz naturel, un vaste plan de relance économique en Chine, une hausse des dépenses publiques en Allemagne et des droits de douane modérés pour les exportations aux États-Unis.
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Si plusieurs de ces conditions sont réunies, cela pourrait continuer à soutenir le redressement des marchés européens, précise Amélie Derambure. Elle exprime toutefois son inquiétude face au risque d’une guerre commerciale, qui serait particulièrement préjudiciable alors que la zone euro affiche un solide excédent commercial. Sur les 11 premiers mois de 2024, les exportations se sont élevées à 2.637 milliards d’euros, soit 162 milliards de plus que les importations, dont une part importante est incompressible (énergie, matières premières).
Au-delà des aspects géopolitiques et de la crise énergétique, des signaux favorables émergent au niveau économique. L’indice PMI manufacturier, fondé sur des enquêtes mensuelles auprès des directeurs d’achat, a rebondi à 46,6 en janvier. Même s’il évolue toujours en zone de contraction en raison d’une production tournant au ralenti, les perspectives sont en nette amélioration. “Les attentes de croissance des producteurs de la zone euro atteignent leur plus haut niveau depuis février 2022, juste avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie”, soulignent ainsi S&P Global et Hamburg Commercial Bank.Par ailleurs, l’économie européenne, freinée en 2023 et 2024 par un mouvement de déstockage massif, voit cette tendance s’atténuer. Selon les données compilées par la Banque centrale européenne (BCE), la réduction des stocks a pesé sur la croissance pendant six trimestres consécutifs avant de se stabiliser au troisième trimestre 2024. Ce cycle pourrait désormais amplifier toute reprise de la demande.
Valorisations attractives
Ces perspectives restent toutefois fragiles et vulnérables aux chocs majeurs, une réalité qui touche l’ensemble des marchés boursiers dans le contexte actuel. La véritable interrogation réside donc dans l’équilibre entre le potentiel de croissance et les risques encourus.
Côté valorisation, les géants industriels européens restent nettement décotés, à l’exception de quelques poids lourds comme Air Liquide, dont l’importance (32% de l’indice Stoxx 600 Chemicals) fausse les ratios sectoriels. BASF s’échange à 14 fois son bénéfice estimé pour 2025 (et seulement 8,5 fois celui de 2021), Syensqo à 13 fois et ArcelorMittal à seulement 7 fois. Le secteur automobile est encore plus déprécié : Volkswagen affiche un ratio de 4 fois son bénéfice attendu en 2025, offrant un rendement théorique de 25% !
Côté valorisation, les géants industriels européens restent nettement décotés, à l’exception de quelques poids lourds comme Air Liquide.
Seule exception notable : Siemens, avec un ratio cours/bénéfice de 20, une valorisation plus élevée, en partie due à sa structure. Le groupe conserve notamment 17 % de Siemens Energy. Cette participation vaut aujourd’hui plus de 8 milliards d’euros, mais ne contribue pas aux résultats étant donné qu’elle n’est pas consolidée.
Capacité d’adaptation
En résumé, le potentiel d’appréciation et de revalorisation demeure significatif, d’autant plus que les géants industriels européens peuvent compter sur leur flexibilité. BASF, par exemple, grand producteur d’ammoniaque – élément clé de l’industrie chimique généralement fabriqué à partir de gaz –, dispose d’unités hors d’Europe et a récemment lancé en Allemagne une production issue de biomasse, réduisant ainsi sa dépendance au gaz fossile.
ArcelorMittal mise sur la relocalisation pour atténuer les tensions commerciales et prévoit l’ouverture d’une usine d’acier aux États-Unis dès 2027. Siemens, quant à lui, bénéficie d’une forte implantation américaine et ajuste constamment son portefeuille d’activités. Après les introductions en Bourse de Siemens Energy et Siemens Healthineers, le groupe prévoit de céder une part de ces filiales pour financer l’acquisition d’Altair Engineering, spécialiste des logiciels de simulation industrielle, pour plus de 10 milliards de dollars.
“Make Europe Great Again”
En Bourse, les géants industriels européens bénéficient également d’un regain d’intérêt marqué des investisseurs pour le Vieux Continent, comme l’atteste la dernière enquête de Bank of America auprès de gestionnaires d’actifs mondiaux. Intitulé Make Europe Great Again, le rapport souligne qu’en janvier 2025, l’allocation en actions européennes a connu sa deuxième plus forte hausse des 25 dernières années.
Pour Christopher Dembik, stratège chez Pictet AM, il s’agit d’un choix tactique et temporaire. Pour l’heure, ce repositionnement reste toutefois modéré et ne témoigne certainement pas d’une quelconque euphorie : le solde net est passé de 22% de gestionnaires sous-pondérant les actions de la zone euro à seulement 1% les surpondérant.
Les actions européennes peuvent aussi compter sur le soutien de la Banque centrale européenne (BCE). Contrairement à la Réserve fédérale américaine, confrontée à une inflation persistante et aux répercussions des droits de douane, la BCE a amorcé dès juin une baisse progressive de ses taux, un avantage majeur alors qu’un gestionnaire de fonds sur quatre cite un durcissement monétaire comme principale crainte.
Positions individuelles
En somme, l’industrie européenne reste un pari séduisant malgré des risques bien réels. Le potentiel de redressement est substantiel, soutenu par d’éventuelles bonnes surprises : une politique budgétaire plus expansionniste en Allemagne ou un apaisement durable des tensions sur les marchés énergétiques européens.
Un cycle économique mondial boosté par des baisses d’impôts sous l’administration Trump et un nouveau plan de relance en Chine serait également de bon augure.
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Pour investir dans le secteur, vous pouvez opter pour une approche individuelle avec des positions sur des valeurs comme BASF, Siemens, ArcelorMittal, Volkswagen, Volvo Group (camions…), Akzo Nobel, Arkema ou Solvay/Syensqo. Des choix à surveiller attentivement dans un environnement encore volatil.
Fonds indiciels
Si vous préférez opter pour un fonds indiciel, il convient de choisir soigneusement votre ETF pour éviter une surexposition aux rares valeurs ayant tiré leur épingle du jeu ces dernières années. Au niveau des biens et services industriels, l’iShares MSCI Europe Industrials Sector (ESIN sur la Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,18%) offre une diversification intéressante avec 87 valeurs. Dans la chimie, le petit ETF Invesco European Chemicals Sector (SC00 sur la Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,20%) présente l’avantage de suivre un indice moins dépendant d’Air Liquide, rare valeur chimique européenne en vue depuis 2022 grâce au développement du segment des gaz industriels.
À noter qu’ArcelorMittal n’est repris dans aucun des deux et fait office de Petit Poucet dans les ETF sectoriels, le géant de l’acier ne pesant que 2% de l’indice européen dédié aux matériaux de base.
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