Dans quoi investir en période de turbulences géopolitiques ?

Dans quoi investir lorsque le président américain remet en cause l’ordre mondial ? Jan Longeval, expert en gestion de patrimoine, identifie quelques valeurs refuges en période d’incertitude géopolitique, mais aboutit à une conclusion plutôt surprenante : « Depuis vingt ans, les trois quarts de mon portefeuille d’actions sont investis aux États-Unis. Et cela restera ainsi pour au moins vingt ans encore. »
Le monde a changé, et cela concerne aussi les investisseurs, affirme Jan Longeval, expert indépendant en gestion de patrimoine et professeur adjoint à la Vlerick Business School. « Autrefois, les investisseurs se focalisaient principalement sur l’évolution économique, en particulier sur les décisions des banques centrales. Depuis la crise financière de 2008-2009, la politique monétaire et les taux d’intérêt dictaient la tendance des marchés. Mais l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 a introduit un nouveau facteur clé : la géopolitique. La Pax Americana touche à sa fin. Le parapluie militaire américain a assuré à l’Europe une longue période de paix et de stabilité, permettant le développement économique et la croissance de la prospérité. Mais cette époque est désormais révolue. » L’Europe est donc livrée à elle-même, et les investisseurs doivent composer avec un nouvel environnement marqué par l’incertitude. Comment naviguer dans ce contexte ?
1/ Se positionner comme un gardien au centre du but
En période de forte imprévisibilité, un investisseur doit envisager plusieurs scénarios possibles, explique Longeval. « Certains investisseurs misent tout sur un seul scénario auquel ils croient fermement. Ils ajustent alors leur portefeuille dans cette direction, avec tous les risques que cela comporte. C’est un peu comme un gardien de but qui anticipe un tir à gauche et se positionne uniquement de ce côté. Or il vaut mieux rester au centre du but pour pouvoir réagir à toutes les trajectoires possibles. En termes d’investissement : diversifiez votre portefeuille. C’est loin d’être un conseil novateur, mais il reste l’une des meilleures protections contre l’incertitude. Vous ne savez pas ce qui va se passer ? Diversifiez. »
2/ Choisir les bonnes valeurs refuges
En période de chaos – bouleversements géopolitiques, guerres ou crises financières – un actif se distingue toujours : l’or. « Ce n’est pas un hasard si le cours de l’or a fortement augmenté depuis l’invasion de l’Ukraine et, plus encore, depuis le gel des avoirs russes par Euroclear, le système belge de règlement des transactions financières », souligne Longeval. « Aujourd’hui, l’once d’or oscille autour de 2 900 dollars. Ce n’est plus une bonne affaire. Il est toujours préférable d’acheter un parapluie avant qu’il ne pleuve. À ce stade, l’or n’est intéressant que pour ceux qui veulent se couvrir contre un scénario extrême, comme la confiscation des avoirs russes. Car cela pourrait éroder la confiance dans l’euro et le système bancaire européen. »
Longeval utilise un indicateur clé pour évaluer le prix de l’or : les coûts de production totaux (All-In Sustaining Costs – AISC). « Il s’agit du coût d’extraction d’une once d’or, qui s’élève actuellement à environ 1 500 dollars. Cela signifie que l’or se négocie aujourd’hui avec une prime d’environ 100 %, contre 60 % en 2020. Ceux qui investissent maintenant arrivent en réalité trop tard. C’est comme souscrire une assurance incendie alors que votre maison est déjà en flammes : la prime sera très élevée. »
L’immobilier résidentiel belge, une alternative intéressante
Mais pas de panique, il existe une alternative intéressante : l’immobilier résidentiel belge. « Les fondamentaux sont solides », affirme Longeval. « La Belgique est l’un des rares pays d’Europe de l’Ouest – avec la Suède et la France – dont la population va continuer de croître au cours des cinquante prochaines années. De plus, la pression foncière y est forte. La demande pour des logements résidentiels écoénergétiques est en hausse, tandis que l’offre ne suit pas. Les permis de construire sont à leur niveau le plus bas depuis vingt-cinq ans. Parallèlement, le marché locatif explose. Acheter aujourd’hui un bien immobilier économe en énergie pour le louer est donc une bonne stratégie. »
L’immobilier résidentiel présente même certains atouts que l’or ne possède pas. « Le marché du logement en Belgique est très stable, alors que le cours de l’or est extrêmement volatil. L’or peut chuter aussi brutalement qu’il est monté. Par ailleurs, l’or ne constitue pas toujours une bonne couverture contre l’inflation à court terme. En revanche, c’est le cas de l’immobilier puisque les loyers sont indexés et suivent donc l’inflation. »
Un investisseur particulier envisageant d’entrer sur le marché de l’immobilier via un fonds immobilier coté en bourse devrait par contre y réfléchir à deux fois. « Les fonds immobiliers se financent auprès des banques à des taux bien plus élevés qu’un particulier souscrivant un prêt hypothécaire », souligne Longeval. « Regardez l’évolution du cours de Home Invest, un fonds spécialisé dans l’immobilier résidentiel : il est à la traîne par rapport aux prix de l’immobilier »
Les obligations d’État indexée sur l’inflation : un abri souvent sous-estimé
Une autre valeur refuge, souvent peu évoquée, est constituée par les obligations d’État indexées sur l’inflation. « Un bon exemple est celui des TIPS (Treasury Inflation-Protected Securities) américains, qui offrent un rendement ajusté en fonction de l’inflation aux États-Unis », explique Longeval. « Le Royaume-Uni propose des gilts (bons du Trésor britanniques) indexés, dont le capital et les coupons sont réajustés selon l’inflation britannique. Cependant, ces instruments ne sont pas liés à l’inflation européenne et comportent un risque de change. Pour rester en zone euro, mieux vaut investir dans une OATi française (Obligation Assimilable du Trésor indexée), qui suit l’inflation française. Une autre option, l’OAT€i, est indexée sur l’inflation de la zone euro. Malheureusement, la Belgique ne propose pas de bons d’état indexés sur l’inflation. »
3/ Recherchez des marchés plus stables
« La Suisse est l’un de mes choix préférés », déclare Jan Longeval. « C’est un pays neutre, relativement épargné par les tensions géopolitiques actuelles. Une allocation d’actifs bien structurée devrait inclure une exposition à la Suisse. »
Et pourquoi pas le Japon, une puissance économique mondiale qui demeure, jusqu’à nouvel ordre, en paix ? « Je n’investis pas volontiers dans un pays qui affaiblit délibérément sa monnaie en maintenant des taux d’intérêt extrêmement bas », explique Longeval. « L’évolution du yen a été catastrophique ces dernières années pour les investisseurs de la zone euro. La Banque du Japon mène une politique monétaire destinée à lutter contre la déflation et à stimuler les exportations, mais en tant qu’investisseur, j’ai davantage confiance dans le franc suisse, une devise forte et stable. Certes, la Banque nationale suisse a déjà dû intervenir pour limiter une appréciation excessive de sa monnaie, mais elle n’ira jamais aussi loin que la Banque du Japon. De plus, la Suisse ne traîne pas une dette publique représentant plus de 250 % de son PIB, contrairement au Japon. »
Faut-il pour autant exclure totalement les actions japonaises ? « Bien sûr que non », nuance Longeval. « Warren Buffett lui-même a investi dans des sociétés japonaises. Mais il ne faut pas investir au Japon uniquement pour sa monnaie. Les obligations d’État japonaises offrent un rendement d’environ 1 %. Sachant que le pays dévalue activement sa devise, cela ne me semble pas être un placement judicieux. »
4/ … mais ne quittez surtout pas les États-Unis
« Depuis vingt ans, les trois quarts de mon portefeuille d’actions sont investis aux États-Unis. Cela restera le cas pour encore au moins vingt ans, ou du moins en grande partie », affirme Longeval. « Lorsqu’on examine quels pays offrent les meilleures conditions aux actionnaires, on en revient toujours aux États-Unis. Ce pays possède une force d’innovation incroyable, avec une économie dynamique capable de faire évoluer ses innovations à grande échelle. Au cours des cinquante dernières années, l’Europe a vu naître moins de vingt entreprises aujourd’hui valorisées à plus de 10 milliards d’euros. Aux États-Unis, on en compte des centaines. Un autre atout majeur des États-Unis réside dans la gouvernance d’entreprise : en tant qu’actionnaire, mes intérêts y sont bien mieux protégés que dans d’autres régions du monde. »
Longeval ne se laisse pas impressionner par les avertissements concernant les risques politiques aux États-Unis, qu’il s’agisse de la montée de l’autoritarisme, de la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques géants ou de l’érosion de la confiance dans les institutions. « L’idée que des scientifiques et des entrepreneurs fuient en masse vers l’Europe me semble infondée. Comme le dit Warren Buffett : ‘There is never a good time to bet against the US economy.’ »
Cela ne signifie pas qu’un investisseur ne puisse pas, temporairement, explorer d’autres opportunités. « Les actions européennes sont actuellement sous-évaluées. Il y a là des opportunités à saisir. Cependant, à long terme, l’Europe est confrontée à de mauvaises perspectives démographiques et à une industrie affaiblie par une réglementation excessive. Ce dernier point est en train de changer, mais le Vieux Continent souffre toujours d’un manque de capacité à transformer l’innovation en croissance à grande échelle. Investir en Europe, c’est investir dans l’ancienne économie. Si vous voulez investir dans l’avenir, misez sur les États-Unis. »
Et la Chine ?
« Il y a quatre ans, j’écrivais : désinvestissez de la Chine. Le pays connaît un effondrement démographique. Au cours de ce siècle, sa population active passera de 900 millions à moins de 300 millions de travailleurs, ce qui pèsera de plus en plus sur la croissance économique. De plus, la gouvernance y est déplorable : les investisseurs ne savent jamais à quoi s’attendre. Sans oublier le risque géopolitique. Si les dirigeants chinois décident d’annexer Taïwan, il sera pratiquement impossible d’investir en Chine, tout comme en Russie aujourd’hui. »
Néanmoins, la Chine offre actuellement une opportunité tactique pour les investisseurs. « Le marché chinois a été excessivement sanctionné. En avril dernier, j’ai acheté des actions chinoises qui s’échangeaient à seulement 8,5 fois leurs bénéfices. Depuis, leur valeur a augmenté de 40 %. Aujourd’hui encore, la bourse chinoise est particulièrement bon marché. D’un point de vue purement tactique, la Chine mérite une place dans un portefeuille. Mais n’y restez pas trop longtemps. »
5/ Non, toujours pas de crypto
« J’ai abandonné l’idée de convaincre les adeptes des cryptomonnaies de changer d’avis », déclare Jan Longeval. « En soi, la blockchain et le bitcoin sont des inventions géniales. Créé en 2008 dans un contexte de défiance vis-à-vis du système bancaire, le bitcoin était censé être une alternative numérique à l’or. Or, il ne l’est pas. On ne pourra jamais dépasser les 21 millions de bitcoins, dont 90 % ont déjà été émis. Ce pourcentage est similaire à la part d’or déjà extraite par rapport aux réserves connues dans le sol. Certains en concluent que bitcoins et or sont aussi rares et donc aussi précieux.
Mais cette logique ignore un point fondamental : la rareté ne signifie pas nécessairement la valeur. Mes poils de nez sont rares, mais cela ne leur confère aucune valeur. Ce n’est pas un hasard si le bitcoin est toujours représenté comme une pièce d’or frappée d’un ‘B’. Même le langage employé est trompeur : on ‘mine’ des bitcoins, comme si c’était un métal précieux. Mais si vous retirez cette narration artificielle, il ne reste qu’une simple ligne de code informatique, unique mais sans valeur intrinsèque. Pour l’instant, cette réalité est masquée par un storytelling bien ficelé. »
La crypto est un mensonge
« La crypto est un mensonge. La promesse d’un système monétaire alternatif ne s’est jamais concrétisée. Après 17 ans, le bitcoin est un échec en tant que moyen de paiement. C’est une religion : tant que les prédicateurs convainquent suffisamment de fidèles, la croyance soutient le cours du bitcoin. Quand j’en parle à mes étudiants, j’ai beau leur avancer toutes sortes d’arguments rationnels, rien ne les détourne de leur conviction. “Un de mes amis a acheté sa maison grâce à un investissement en crypto”, me rétorquent-ils. Fin de la discussion. Il y aura toujours de nouvelles vagues de croyants prêts se prêter au jeu.
Et je ne parle même pas des manipulations massives. Regardez comment Donald Trump, en tant que président des États-Unis !, profite des initiatives crypto et des meme-coins. L’« argent intelligent » s’emploie activement à attirer l’« argent naïf » et y parvient brillamment. Mais tôt ou tard, l’illusion des cryptos s’effondrera. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici