Chine-Japon: le grand écart boursier
Alors que de plus en plus d’investisseurs évitent les actions chinoises, la Bourse de Tokyo connaît une seconde jeunesse. Est-il encore temps de miser sur les actions japonaises ou, au contraire, les marchés chinois ont-ils été trop sévèrement sanctionnés?
En février 2021, les Bourses de Shanghai et de Shenzhen s’envolent, l’indice chinois CSI 300 atteint un nouveau record. Alibaba et Tencent talonnent les géants technologiques américains et semblent même pouvoir mettre fin à leur hégémonie dans le classement des principales capitalisations boursières mondiales.
Seule ombre au tableau, Alibaba doit renoncer à la très attendue introduction en Bourse de sa filiale Ant Group alors que la fintech est censée lever près de 40 milliards de dollars. Les marchés se rassurent en y voyant un cas personnel. Jack Ma, fondateur du géant de l’e-commerce, a en effet critiqué la politique financière chinoise lors d’un discours. Et ce n’est pas le premier grand patron à disparaître soudainement de la scène médiatique.
Dans ce cas, la brutale reprise en main d’Alibaba par les autorités communistes annonce toutefois une tendance bien plus vaste. Depuis, effectivement, les nouvelles réglementations se sont succédé et ont notamment entièrement torpillé le secteur en plein boom de l’edtech (technologies de l’éducation).
Parallèlement, la Chine doit faire face à une nouvelle vague de covid que le vaccin local développé par Sinovac est incapable d’enrayer. Alors que l’année 2022 est placée sous le signe d’un retour à la vie normale en Europe ou aux Etats-Unis, la Chine maintient de strictes mesures sanitaires. Des vagues de protestation inédites depuis les manifestations de Tiananmen en 1989 contraignent toutefois Pékin à changer de fusil d’épaule fin 2022…
Pour nombre de spécialistes, les astres sont alors alignés: apaisement sur le front des réglementations, faibles ratios de valorisation, tensions commerciales moins vives avec l’administration Biden, levée des mesures sanitaires et forte reprise économique attendue. En trois mois, les gestionnaires de fonds mondiaux misent près de 24 milliards de dollars sur les actions chinoises selon l’agence Bloomberg.
Consommateur prudent
Mais le rallye boursier est de courte durée. Les premiers craquements apparaissent dès la fin janvier et à l’heure d’écrire ces lignes, le CSI 300 affiche une baisse de 4% en 2023. Une sous-performance notable par rapport à l’indice mondial MSCI World qui a bondi de 16%.
La principale cause? Une conjoncture décevante. En début d’année, les économistes considéraient en effet comme “assez prudent” l’objectif de croissance (5%) de Pékin, là où Bloomberg Economics prévoyait notamment 5,8%. Aujourd’hui, “il est de plus en plus probable que la croissance annuelle du PIB n’atteigne pas la barre des 5%”, comme l’a écrit récemment Ting Lu, économiste en chef pour la Chine du groupe de services financiers Nomura.
Différents facteurs expliquent ce coup de mou: plafonnement démographique (baisse de la population active), tensions commerciales et, surtout, absence de revenge spending. Rapidement après la réouverture de l’économie, “les consommateurs chinois ont fait preuve d’une certaine retenue” constate James Donald, responsable de la gestion Actions émergentes chez Lazard Asset Management. “Les ventes au détail ont connu une croissance timide” qui a encore ralenti à 2,5% en juillet contre un rythme de 8% avant la pandémie. Par ailleurs, “l’épargne des ménages a augmenté, ce qui témoigne d’un manque de confiance dans l’avenir”.
Cette prudence a différentes origines. Tout d’abord, “l’aggravation de la crise immobilière avec plus de 3.000 projets de développement vacants” alors que les Chinois ont les trois quarts de leur patrimoine investi dans la pierre (et les terrains). Ensuite, le taux de chômage des jeunes (16 à 24 ans, sortis de l’école) a bondi à plus de 21% avant que Pékin ne décide d’arrêter la publication de cette statistique en août. Enfin, le climat déflationniste n’incite pas à la confiance.
Déçus, les investisseurs se sont contentés de traverser la mer de Chine. Par exemple, le fonds Allianz Oriental Income, un des mieux notés par Morningtsar pour l’Asie, a augmenté ses positions en actions japonaises au détriment de la Chine. La pondération du Japon dans le fonds s’élevait à près 40% à la fin août, soit quatre fois son exposition à la Chine.
La Bourse de Tokyo a signé un impressionnant come-back.
Longtemps oubliée et malmenée par une déflation lancinante depuis l’explosion de la bulle spéculative de la fin des années 1980, la Bourse de Tokyo a ainsi signé un impressionnant come-back. Le Nikkei a même atteint cette année des plus hauts depuis 1990 et semble même assez proche de faire tomber un des plus anciens records boursiers.
Outre la réallocation régionale, différents fondamentaux ont soutenu la progression des actions japonaises. Premièrement, la politique monétaire de la Banque du Japon est restée ultra-accommodante avec un taux directeur de -0,1%. Deuxièmement, les programmes de modernisation de l’économie lancés depuis 2012, dont les “Abenomics” de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, commencent à produire leurs fruits. Troisièmement, les entreprises japonaises dynamisent leur gestion financière et utilisent enfin leurs 2.100 milliards d’euros de liquidités pour rémunérer leurs actionnaires (dividendes et rachats d’actions) et investir à l’étranger.
L’exemple Berkshire Hathaway
Le Nikkei, en hausse de près de 30% depuis le début de l’année, peut de plus compter sur un représentant de choix en la personne de Warren Buffett. Peu coutumier des investissements hors des Etats-Unis, l’oracle d’Omaha a fortement investi au Japon. Dès 2020, son conglomérat, Berkshire Hathaway, a dépensé 5,5 milliards d’euros pour acquérir une participation de 5% dans les cinq principales sogo shosha. Ces historiques maisons de commerce japonaises sont très diversifiées, leurs activités de base d’importation et de logistique étant complétées par d’innombrables autres plus ou moins liées, jusqu’à l’élevage de saumon ou les champs d’éoliennes, par exemple.
Mal aimées des marchés, ces sogo sosha au périmètre difficile à cerner présentaient de faibles valorisations. Warren Buffett a toutefois confirmé en avril dernier lors d’un voyage au Japon que l’investissement n’était pas uniquement opportuniste. Il a en effet annoncé de nouveaux investissements malgré la remontée des cours. En juin, Berkshire Hathaway déclarait ainsi détenir 8,5% de Itochu Corp, Marubeni Corp, Mitsubishi Corp, Mitsui & Co et Sumitomo Corp. Et ce n’est sans doute pas fini puisque le conglomérat américain s’est fixé une (première) limite à 9,9%.
Dans le même temps, Berkshire Hathaway a vendu plusieurs paquets de titres du constructeur chinois de voitures électriques BYD. Depuis août 2022, il a ainsi cédé 56% des 225 millions d’actions acquises en 2008, avec un joli bénéfice à la clé puisque les ventes ont été réalisées à des cours d’environ 22 à 33 dollars par action pour un prix d’achat d’un peu plus d’un dollar.
Avez-vous tout intérêt à faire comme l’oracle d’Omaha? En tous cas, les nuages continuent de s’amonceler dans le ciel boursier chinois. Pour Bloomberg Economics, il n’est ainsi plus du tout acquis que l’économie chinoise parviendra à dépasser son homologue américaine. Le ralentissement structurel combiné au déclin démographique qui s’amorce devraient ramener le potentiel de croissance de la deuxième économie mondiale sous 4% dès 2027, sous 3% 10 ans plus tard et même sous 1% en 2050.
En outre, Pékin peine à relancer ses Bourses. Les mesures annoncées en août (baisse des taxes boursières, restriction des ventes par les initiés, facilitation des investissements à effet de levier) n’ont notamment pas eu d’impact durable.
Les arguments en faveur des actions chinoises se limitent ainsi à la sous-valorisation et à l’importance économique du pays. Ce qui n’a toutefois pas suffi ces dernières années, faute de catalyseur. Et dans l’immédiat, l’actualité demeure négative. Epinglons notamment le début de conflit commercial sino-européen dans le segment automobile ou le fait que les nouveaux iPhone 15 d’Apple commercialisés lors du lancement ont été assemblés en Inde et non en Chine.
Un marché à deux vitesses
Du point de vue économique, le Japon n’est pas réellement en meilleure posture. Mais la modernisation de la gestion des entreprises offre des perspectives, qu’il s’agisse de développement à l’étranger ou de meilleure rémunération pour les actionnaires. En termes de valorisation, toutes les actions japonaises ne sont toutefois pas à mettre dans le même sac. Les stars de la Bourse de Tokyo sont des sociétés de croissance déjà bien implantées à l’international comme Fast Retailing (Uniqlo, etc.), le spécialiste de l’automatisation industrielle Keyence, le conglomérat technologique Softbank ou Tokyo Electron (équipementier pour l’industrie des semi-conducteurs). Ces valeurs sont prometteuses, mais les valorisations sont élevées, jusqu’à 40 fois les bénéfices.
Le reste du marché présente des multiples bien plus faibles. Les cinq chouchous de Warren Buffett cotent ainsi toujours à peine 10 fois leurs bénéfices. Merryn Somerset Webb, éditorialiste pour Bloomberg, épinglait récemment que la moitié des actions japonaises cotent moins que leur valeur comptable. Ce qui est d’autant plus appréciable que “ces valeurs comptables pourraient même être artificiellement basses – au Japon, les actifs sont comptabilisés à la valeur la plus basse entre le prix d’achat amorti et le prix du marché”.
Pour cibler ces valeurs “sous les radars”, vous pouvez vous orienter vers un fonds ciblant les actions value (ou décotée) comme le JPMorgan Japan Strategic Value Fund (couverture du risque de change ; LU0329204977 ; frais annuels de 1,81%). Au niveau des ETF, mieux vaut privilégier l’indice MSCI Japan plus diversifié, par exemple l’Amundi MSCI Japan (Bourse allemande ; LU1781541252 ; frais annuels de 0,12%).
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