Bourse: le secteur pharmaceutique est-il devenu trop risqué?

Si l’obésité se profile comme le marché le plus porteur pour les années à venir, les analogues de GLP-1 restent encore majoritairement prescrits pour traiter le diabète. © Getty Images

La chute historique de Novo Nordisk marque un tournant majeur pour le secteur pharmaceutique en Bourse. Longtemps bastion des investisseurs prudents, il s’affirme désormais comme un secteur à la fois incontournable et empreint d’une volatilité croissante.

Après des décennies de quasi-immobilisme, le secteur pharmaceutique a récemment subi une véritable transformation. Les mastodontes nés des fusions des années 1990, tels que Pfizer, GlaxoSmithKline ou Novartis, se sont fait distancer par des acteurs plus innovants. Et contrairement à ce que d’aucuns auraient pu croire au début de la décennie, cette révolution n’a pas profité aux pionniers de l’ARN messager, stars éphémères des vaccins contre le covid. Moderna et BioNTech sont même retombés dans un relatif anonymat sur les marchés boursiers.

Un appétit d’ogre

Ce bouleversement a, avant tout, couronné deux nouveaux géants : Eli Lilly et Novo Nordisk. Jusqu’en 2021, ces entreprises centenaires étaient cantonnées à un rôle de spécialistes du diabète et voyaient même leurs perspectives dégradées par la baisse du prix de l’insuline, tout particulièrement aux États-Unis.

Elles ont vu leur destinée transformée par une avancée scientifique majeure : les analogues de GLP-1, mimant l’hormone du même nom produite par l’organisme. Initialement conçue pour traiter le diabète en stimulant la sécrétion d’insuline par le corps, cette nouvelle classe de médicaments s’est révélée être une solution miracle contre le surpoids grâce à ses effets sur la satiété et l’appétit.

Le sémaglutide, produit phare de Novo Nordisk, a ainsi été approuvé comme traitement de l’obésité aux États-Unis en 2021. Avec une perte de poids moyenne de 16% selon les études cliniques, il s’est imposé comme le pionnier d’une toute nouvelle classe thérapeutique.

Demande insatiable

La demande est telle que Novo Nordisk est encore aujourd’hui uniquement freiné par ses capacités de production, et ce malgré des prix élevés : environ 300 euros par mois en Europe et 700 dollars (en prix net) aux États-Unis.

En Bourse, la capitalisation de l’entreprise danoise est passée de 115 milliards de dollars en 2019 à un sommet de 636 milliards de dollars à l’été dernier grâce au succès de ses deux principales formulations du sémaglutide : l’Ozempic (diabète) et le Wegovy (obésité). Eli Lilly, quant à elle, a franchi la barre symbolique des 800 milliards de dollars de capitalisation, affirmant son statut de leader mondial grâce au Mounjaro (diabète) et au Zepbound (obésité), tous deux à base de tirzépatide.

Ces analogues de GLP-1 n’ont pas seulement changé la donne pour ces deux entreprises. Ils ont redéfini les priorités du secteur pharmaceutique tout entier. D’autant plus que leur potentiel pourrait bien dépasser le traitement du diabète et de l’obésité.

L’action de Novo Nordisk a chuté de 21% le 20 décembre dernier, car la perte de poids espérée avec le Cagrisema plafonne à 20,4% contre un objectif de 25%. © Belga

Molécule miracle

En mars dernier, le Wegovy est ainsi devenu le premier coupe-faim approuvé aux États-Unis pour prévenir les maladies cardiaques. Selon les essais cliniques, il réduirait de 20% le risque de crises cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux et d’autres décès liés à des maladies cardiovasculaires.

Des chercheurs évoquent même un possible effet bénéfique sur le vieillissement cellulaire et donc sur notre espérance de vie.

Novo Nordisk a également accéléré des recherches sur le potentiel du sémaglutide pour combattre l’insuffisance rénale, une annonce qui a fortement secoué les spécialistes de la dialyse sur les marchés financiers.

Eli Lilly, de son côté, explore les effets du tirzépatide sur le psoriasis, tandis que d’autres études s’intéressent à l’impact des analogues de GLP-1 sur des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer ou Parkinson, avec des premiers résultats attendus en 2025.

Des chercheurs évoquent même un possible effet bénéfique sur le vieillissement cellulaire et donc sur notre espérance de vie.

Baisses de prix

Pour l’heure, les analogues de GLP-1 restent majoritairement prescrits pour traiter le diabète, générant des ventes de l’ordre de 35 milliards de dollars en 2024. Toutefois, l’obésité devrait devenir le principal débouché dans les années à venir.

Les analystes de Goldman Sachs ou BMO Capital Markets, entre autres, estiment que les ventes annuelles pour cette indication pourraient atteindre de 100 à 150 milliards de dollars d’ici 2030, contre à peine 12 à 15 milliards de dollars en 2024.

Cette explosion devrait être soutenue par une baisse des prix et une adoption accrue, Goldman Sachs évoquant un chiffre de 19 millions de personnes sous traitement pour leur surpoids aux États-Unis en 2030. Les assureurs devraient progressivement soutenir cette tendance au vu du coût de l’obésité. Selon une étude de chercheurs de Harvard réalisée en 2021, un Américain obèse engendre des surcoûts médicaux de 1.861 dollars par an.

La course au comprimé

Ce potentiel suscite évidemment les convoitises. Nombre de groupes pharmaceutiques, comme Pfizer, Roche, Amgen ou Boehringer Ingenheim, se sont lancés dans la course, seuls ou en partenariat avec des sociétés biotechnologiques. Ils visent notamment à proposer un traitement plus pratique pour se démarquer du Wegovy et du Zepbound, se présentant sous la forme d’injections hebdomadaires.

Amgen innove avec le MariTide, une injection mensuelle, mais l’objectif ultime reste le comprimé oral. À ce niveau, Novo Nordisk et Eli Lilly gardent une longueur d’avance, ayant entamé les phases finales des études cliniques, tandis que Pfizer (Danuglipron) et Viking Therapeutics (VK2735) restent à des étapes plus précoces.

Le groupe danois a même déjà commercialisé un sémaglutide oral pour le traitement du diabète.

Eli Lilly en tête

L’efficacité est un autre terrain de bataille clé. Sur ce point, Eli Lilly a l’avantage avec le Zepbound, qui permet une perte de poids moyenne de 20%. Le MariTide d’Amgen obtient des résultats comparables (20%), dans la limite basse des attentes et devant encore être confirmés par la dernière phase des études cliniques. Boehringer Ingelheim et Zealand Pharma, avec le survodutide, plafonnent à 19%.

Novo Nordisk espérait reprendre le leadership avec le CagriSema, mais les résultats cliniques ont déçu, la perte de poids plafonnant à 20,4% contre un objectif de 25%. Cette contre-performance a fait plonger l’action de Novo Nordisk de 21% sur la seule séance du 20 décembre.

Ce qui place Eli Lilly en position de force. Selon des chiffres encore provisoires, son retratutide permet une perte de poids de 24%. Les études de phase 3 sont en cours et doivent s’achever début 2026.

Parts de marché

Avant les résultats cliniques du CagriSema, les analystes de Jefferies estimaient qu’Eli Lilly et Novo Nordisk conserveraient respectivement 44% et 36% du marché de l’obésité en 2031, ne laissant qu’un total de 20% à leurs concurrents.

Désormais, Eli Lilly semble mieux placé pour capturer une majorité de ce marché, évalué à 150 milliards de dollars d’ici 2030. Mais Novo Nordisk pourrait rebondir grâce à des innovations en cours, comme une dose renforcée de Wegovy ou l’amycrétine, prometteuse en phase précoce avec une perte de poids de 13% en 12 semaines (contre 6% pour le Wegovy sur le même laps de temps).

Les développements se multipliant, avec plus d’une centaine d’études de phase 1 et 2 répertoriées par la société spécialisée dans les données de santé Iqvia, il n’est pas exclu qu’un nouvel acteur bouleverse l’équilibre en réalisant une avancée décisive.

Secteur plus risqué

L’émergence des analogues de GLP-1 modifie en profondeur les dynamiques du secteur pharmaceutique. Autrefois, les grands groupes pouvaient s’appuyer sur un portefeuille diversifié et des partenariats stratégiques avec des sociétés biotechnologiques. Ce qui en faisait d’excellentes valeurs défensives dans un contexte de vieillissement de la population. Désormais, le succès repose sur un ou deux programmes, comme le montre le cas du CagriSema.

Cette révolution soulève des questions sur l’avenir du reste de l’industrie. Les recherches autour des GLP-1 touchent différents domaines et l’obésité joue un rôle dans de nombreuses maladies. Ce qui se reflète d’ailleurs sur les valorisations en Bourse. Même les géants de l’immunothérapie contre le cancer (Merck, Bristol Myers Squibb, Roche, AstraZeneca) se négocient aujourd’hui à entre 8 et 14 fois les bénéfices prévus pour 2025, des multiples bien inférieurs à la moyenne boursière mondiale (20 fois).

Les ventes annuelles des analogues du GLP-1 pour traiter l’obésité pourraient atteindre de 100 à 150 milliards de dollars d’ici 2030.

Deux géants incontournables

Eli Lilly bénéficie d’une prime importante, avec un ratio cours/bénéfice de 35 fois les résultats attendus en 2025 (60 fois pour 2024), justifié par une croissance impressionnante : ses revenus devraient dépasser 100 milliards de dollars d’ici 2030. Des niveaux qui ne permettent aucune déception.

Novo Nordisk est, pour sa part, aujourd’hui quasiment dans la moyenne avec un ratio cours/bénéfice prévu pour 2025 de 22. Ses perspectives de croissance se sont dégradées après le demi-échec de CagriSema, mais ne sont certainement pas inexistantes.
Pour un investisseur diversifié, ces deux géants semblent toutefois incontournables au vu de l’impact attendu des analogues de GLP-1. Si vous êtes en quête de valeur défensive, le secteur pharmaceutique n’est par contre plus à privilégier tant les inconnues sont nombreuses à un horizon de 10 ans.

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