Pourquoi les bons résultats de KBC ne convainquent pas

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Le dernier grand bancassureur belge a profité de la remontée des taux et publié ses meilleurs chiffres trimestriels depuis la crise financière. Insuffisant aux yeux des marchés qui considèrent désormais les actions bancaires comme des obligations risquées.

KBC a réalisé un bénéfice de 966 millions d’euros au deuxième trimestre, en hausse de 9% en un an et le meilleur résultat depuis le printemps 2007, avant que n’éclate la crise des subprimes. Son rapport trimestriel peut même être considéré comme bien plus solide qu’à l’époque puisque le bancassureur a considérablement amélioré ses ratios de solvabilité et sa position de liquidité au cours des 16 dernières années.

Par rapport aux attentes des analystes, KBC a aussi fait forte impression: son bénéfice par action a atteint 2,29 euros au deuxième trimestre, 16% de mieux que le consensus. En outre, le bancassureur a annoncé le versement d’un acompte sur dividende de 1 euro par action en novembre et le lancement d’un programme de rachat d’actions propres de 1,3 milliard d’euros.

Bref, beaucoup de bonnes nouvelles. Et pourtant, l’action a chuté de près de 6% le jour de l’annonce des résultats et de 8% au cours de la semaine qui a suivi. Le contraste est tellement saisissant qu’il est difficile à expliquer par la seule petite ombre au tableau: KBC a légèrement adapté ses prévisions annuelles.

Pour l’ensemble de 2023, le groupe table sur des revenus nets d’intérêts de 5,6 milliards d’euros, contre une précédente estimation de 5,7 milliards. Ce qu’il explique par “le coût plus élevé lié aux réserves obligatoires minimums détenues auprès des banques centrales en Hongrie et en Bulgarie”.

Tendances favorables

Ce contretemps ponctuel est loin d’éclipser une évolution fondamentale clairement positive. Même en tenant compte de la prévision rabotée, KBC devrait afficher cette année des revenus nets d’intérêts en hausse de 9% par rapport à 2022 et de 26% par rapport à 2021.

Le bancassureur profite de la hausse des taux d’intérêt qui se reflète davantage sur ses revenus (intérêts sur les crédits octroyés, etc.) que sur ses financements. Tout particulièrement en Belgique où le secteur s’est même attiré les foudres du monde politique. A l’heure actuelle, les grandes banques comme KBC proposent des taux autour de 1% sur leur livret alors qu’elles bénéficient d’un taux de 3,75% sur les liquidités qu’elles déposent à la Banque centrale européenne (BCE).

En outre, le bancassureur peut compter sur le bon comportement de ses autres activités avec des revenus d’assurances et des revenus nets de commissions (frais bancaires, gestion de fortune, etc.) en hausse de respectivement 10% et 4% au cours de la première moitié de l’année. KBC a d’ailleurs confirmé sa prévision de revenus totaux pour 2023 à 11,15 milliards. Et sa rentabilité devrait même être meilleure qu’initialement prévu puisque le groupe a réduit de moitié sa prévision de “coût du crédit”, c’est-à-dire les pertes sur crédits (provisions pour non remboursement).

Rendement décevant

Dans un tel contexte, comment expliquer la chute de KBC? La déception est avant tout liée à la rémunération des actionnaires. A priori, un acompte sur dividende de 1 euro par action et un programme de rachat d’actions propres de 1,3 milliard d’euros, c’est plutôt généreux. Mais l’acompte sur dividende est inchangé par rapport à 2022 et aux années avant la pandémie, en pleine période de taux ultra-bas. En outre, le programme de rachat d’actions propres inclut le produit de la vente des activités irlandaises, une opération qui a permis de libérer un milliard d’euros de capitaux.

La relative prudence de KBC s’explique par un avis de la BCE (dans son rôle de superviseur du secteur bancaire). “Nous avons reçu une décision finale de la BCE à la suite de l’examen des modèles principalement de notre portefeuille de crédits aux entreprises et aux PME belges, décision qui entraînera un add-on sur les actifs pondérés en fonction du risque de crédit d’environ 8,2 milliards d’euros au troisième trimestre 2023”, précise ainsi le groupe.

En d’autres termes, le dénominateur de ses ratios de solvabilité va augmenter, ce qui va mécaniquement réduire ses fonds propres excédentaires permettant de rémunérer ses actionnaires.

Patrons frustrés

Sachant que l’impact est non récurrent et en partie atténué par d’autres mesures de libération de capital, la réaction du cours de l’action peut sembler excessive. Mais elle témoigne du changement radical dans l’appréciation des actions bancaires, frustrant même les dirigeants de banque. Frédéric Oudéa, l’emblématique ex-patron de Société Générale, déclarait en mai dernier aux Echos partir “avec une seule frustration, le prix de l’action et le fait de ne pas avoir obtenu l’adhésion du marché”.

“Nous ne sommes pas satisfaits du prix de nos actions”, renchérissait Christian Sewing, CEO, lors de la dernière assemblée générale de la Deutsche Bank, s’engageant à “faire davantage pour convaincre le marché de nos mérites”.

Les multiples de valorisation des valeurs bancaires sont, il est vrai, extrêmement bas. Le MSCI Europe Banks, l’indice des banques européennes, est ainsi valorisé à 6,5 fois les bénéfices prévus pour les 12 prochains mois, soit une décote de 50% par rapport à la moyenne des Bourses européennes. Pire, le ratio cours/valeur comptable est de 0,76.

En d’autres termes, les banques valent moins en Bourse que ce qui serait obtenu en vendant tous leurs actifs (au prix juste) et en remboursant leurs dettes. En comparaison, les grandes entreprises européennes s’échangent en moyenne à deux fois la valeur comptable, les investisseurs accordant une valeur à l’activité et pas seulement aux actifs.

Le même constat est valable aux Etats-Unis, où les grandes banques présentent une décote de 53% au niveau du ratio cours/bénéfice prévu et s’échangent avec une légère décote par rapport à leur valeur comptable.

Quasi-obligations… risquées

A l’image des coupons des obligations, les investisseurs ne s’intéressent désormais plus qu’à la rémunération directe: dividendes et rachats d’actions propres (ce qui permet de réduire le nombre de titres et donc normalement d’augmenter le dividende par action). Et ils en attendent un rendement élevé (actuellement plus de 6% au total en Europe) pour compenser les risques. Les dividendes et rachats d’actions dépendent en effet de nombreux paramètres que les banques ne maîtrisent pas. Le premier est la politique de taux des banques centrales qui influence directement les revenus, résultats et distributions des banques.

Luis de Guindos (BCE)
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“Les perspectives difficiles accentuent les incertitudes qui pèsent sur la rentabilité et la résilience des banques.” Luis de Guindos (BCE)

Le deuxième est l’orientation dictée par les autorités de supervision. En 2020, la BCE avait ainsi tacitement interdit aux banques de payer des dividendes et de racheter des actions propres. Plus généralement, l’institution basée à Francfort doit valider les plans de distribution des banques. Luis de Guindos, vice-président de la BCE, déclarait en mai dernier “les perspectives difficiles accentuent les incertitudes qui pèsent sur la rentabilité et la résilience des banques”, un appel à la prudence et au maintien des bénéfices en réserve on ne peut plus clair.

Le troisième est la réglementation. Aux Etats-Unis, il est clairement question de durcissement après les faillites en début d’année de Silicon Valley Bank et Signature Bank, et pas seulement pour les banques régionales qui avaient profité de la déréglementation voulue par Donald Trump. La mise en œuvre des règles plus strictes de Bâle III, surnommées “Basel III: Endgame” outre- Atlantique, devrait ainsi effacer l’essentiel des capitaux excédentaires des banques américaines, selon l’agence Bloomberg.

Les banques n’ont donc pas toutes les cartes en mains et leur jeu semble se détériorer. Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, la BCE épinglait ainsi que “l’évolution des prix des contrats à terme sur les dividendes depuis mars suggère que les distributions pour 2024 devraient diminuer d’environ 15%”. Le tout sans tenir compte de risques impromptus comme l’annonce par le gouvernement populiste italien d’une taxe de 40% sur les “superprofits du secteur”, c’est-à-dire sur les gains enregistrés par les banques grâce à la remontée des taux d’intérêt. Même si Rome a fait machine arrière et atténué la taxe envisagée, la crainte est désormais réelle sur les marchés.

Rendement sous surveillance

Qu’en conclure en tant qu’investisseur? Premièrement, les actions bancaires s’adressent avant tout aux amateurs de rendement. L’espoir d’une revalorisation du secteur (et donc d’une belle plus-value) semble actuellement vain.

Deuxièmement, d’innombrables risques entourent les rendements du secteur. Ce qui implique de suivre activement ses positions et de cibler les acteurs plus solides. Actuellement, des actions comme KBC, BNP Paribas, Banco Santander ou UBS sont largement conseillées à l’achat par les analystes.

Ces derniers sont globalement plus méfiants envers les établissements américains en raison avant tout du durcissement plus marqué de la réglementation (Bâle III) attendu au cours des prochaines années. Paco Ybarra de Citigroup a ainsi prévenu que “des activités passeront des banques aux non-banques (hedge funds, firmes de private equity et private credit, Ndlr)”.

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