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Un leader doit-il toujours avoir une vision ?

“Nous avons besoin de leaders avec une vision”, entend-on souvent en ces temps de crise. Leader et vision semblent être des termes inséparables. Est-ce pourtant bien le cas ?

“Nous avons besoin de leaders avec une vision”, entend-on souvent en ces temps de crise. Leader et vision semblent être des termes inséparables. Est-ce pourtant bien le cas ? Un leader doit-il nécessairement avoir une vision claire d’où mener le groupe qu’il dirige ?

Ronald Heifetz, professeur de leadership à la Harvard Business School, ne le croit pas. Son approche du leadership s’écarte résolument de la vision “héroïque” d’un leader qui montrerait toujours la voie. Selon lui, le leadership consiste moins à dire où le groupe doit aller qu’à le mobiliser pour lui faire prendre conscience du besoin de changer, et à se mettre en route, quitte à ce que la destination ne soit encore claire pour personne. Dans cette optique, le rôle du leader n’est pas de montrer la voie, mais d’amener progressivement un groupe aux intérêts variés à transcender les intérêts particuliers pour adhérer à un programme d’action commun.

Instinct et émotion

L’approche originale d’Heifetz prend sa source dans une catégorisation des problèmes que nous devons résoudre. Il distingue en particulier les défis techniques des défis adaptatifs. Les problèmes que l’on peut résoudre grâce aux connaissances des experts ou des autorités supérieures sont des défis techniques. Ces problèmes sont parfois complexes mais les experts savent exactement comment les résoudre. On s’en remet ainsi aux médecins pour résoudre certains problèmes de santé, aux mécaniciens pour qu’ils réparent nos voitures, aux managers pour restructurer une entreprise ou résoudre des conflits entre des membres du personnel. On donne à ces personnes le pouvoir et on les autorise à trouver des solutions, qu’ils sont le plus souvent en mesure de fournir.

Mais il est d’autres problèmes que les experts ou les managers ne peuvent résoudre parce que leurs solutions ne sont pas “techniques” : elles résident dans les personnes elles-mêmes. Heifetz appelle ces problèmes des “défis adaptatifs”. Le docteur peut vous recommander un programme pour perdre du poids mais ne peut vous imposer de le suivre. Le mécanicien peut réparer votre voiture accidentée mais ne peut vous contraindre à rouler moins dangereusement. En effet, un raisonnement logique n’est pas suffisant pour induire de tels changements de comportement. Les défis adaptatifs sont plutôt une question d’instinct et d’émotion. Pour les résoudre, il faut changer ses valeurs, ses croyances, ses habitudes, ses façons de travailler… Or, la plupart des personnes concernées par de tels problèmes préféreraient que la personne en position d’autorité (l’expert, le médecin ou le manager) les protège du changement qui désoriente et fasse le travail à leur place. C’est donc là que réside le vrai travail du leader : mobiliser les gens à opérer un changement de comportement, les empêcher de poursuivre les tactiques d’évitement du changement.

Effet de résistance

La distinction que fait Heifetz entre défis techniques et adaptatifs amène une autre distinction importante : celle de l’autorité et du leadership, deux termes à ne pas confondre. Ainsi, on déplore régulièrement le manque de leadership des gens haut placés. Pourtant, les occasions d’exercer un leadership ne dépendent pas du poste occupé. Au contraire, plus on a d’autorité, plus le risque est grand d’exercer son leadership ; celui-ci est dangereux parce que l’on est rarement autorisé à l’exercer. L’autorité, au contraire, est acceptée et souvent souhaitée. Que vous soyez Premier ministre, patron d’une grande entreprise ou enseignant, les personnes qui vous entourent attendent de vous que vous adoptiez un ensemble de comportements. Aussi longtemps que vous le faites, vous serez loué et soutenu.

L’ironie veut toutefois que l’on appelle souvent leaders des personnes qui demeurent dans les limites de leur domaine d’autorité. Pourtant, le leadership consiste souvent à remettre en question les limites mêmes de son autorité. Et lorsqu’on le fait, on est souvent confronté à de la résistance. Cela n’a rien d’étonnant. Un philosophe comme Nietzsche ne dit d’ailleurs pas autre chose dans Ainsi parlait Zarathoustra lorsqu’il appelle à de nouveaux leaders d’opinion. Si l’on remet en question les “vieilles tables” d’un groupe (les valeurs, les croyances ou les habitudes), on peut paraître très dangereux pour celui-ci. Le leader, d’opinion ou d’action, doit avant tout oser et enfreindre les limites du “contrat de services” qui lui confère son autorité.

Les quelques traits de l’approche du leadership selon Heifetz que nous avons esquissés ici permettent de comprendre pourquoi il s’agit d’une approche qui “colle” à notre temps. En effet, le pouvoir et l’influence sont de plus en plus largement distribués au sein des entreprises. Dans le cadre de processus de décision fortement participatifs, le leadership adaptatif constitue une approche beaucoup plus adaptée aux défis actuels que les approches traditionnelles et “héroïques”. Une caractéristique du leadership adaptatif particulièrement intéressante est qu’il n’est pas réservé aux seuls dirigeants : l’autorité n’est pas un prérequis pour mobiliser l’organisation à faire évoluer ses valeurs.

Cela tombe bien, car, par les temps qui courent, nous ne serons pas de trop à tenter de faire évoluer nos valeurs, ou de les retrouver.

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