Vice, la spectaculaire dégringolade 

Vice

Vice symbolisait le média cool, audacieux et gratuit. Valorisé un temps plusieurs milliards, le site va pourtant bientôt disparaître. Une chute abyssale symptomatique des médias en ligne gratuits.

Le groupe d’information Vice Media a annoncé la semaine dernière que le titre ne publiera plus sur son site web phare et qu’il supprimait plusieurs centaines d’emplois. Axé sur un public jeune et connu pour ses contenus audacieux sur l’actualité et la société, Vice faisait pourtant partie des étoiles montantes d’une nouvelle génération de médias en ligne. Mais son étoile a faibli et la marque entame aujourd’hui une mue qui ressemble à un chant du cygne.

Réorientation stratégique

Bruce Dixon, directeur du groupe, a en effet annoncé jeudi dernier une “réorientation stratégique”. Il n’a pas le choix puisque, “distribuer notre contenu numérique comme nous le faisions auparavant” n’était “plus rentable”. L’entreprise va donc effectuer une transition vers un modèle d’agence de production.  A l’avenir, elle “cherchera à s’associer à des sociétés de médias établies pour distribuer [son] contenu numérique, y compris les actualités, sur leurs plateformes”, a-t-il ajouté. La manière dont cela se fera précisément et ce que cela signifie pour la version belge de Vice, n’est pas, encore, spécifié.

De punk alternatif à Disney

Vice a été fondé en 1994 en tant que magazine canadien « punk alternatif », par Shane Smith, Suroosh Alvi et Gavin McInnes. Il s’est ensuite développé en embrassant internet, média fait pour lui. Il se mue ensuite en un véritable groupe de médias en ligne. Le groupe représentait une nouvelle génération de médias en ligne, avec des couvertures et une approche originale, que des experts imaginaient révolutionner le secteur. La marque est active dans le monde entier et possède un magazine, un site web, une chaîne tv, mais aussi une maison de disques et une société de production. C’est en se lançant dans la vidéo, à partir de 2006, que Vice va durablement marquer les esprits. Le groupe proposera, notamment, des documentaires incognito et excentriques dans des lieux jusque là peu visités par des caméras. Les plus connus étant sans doute les deux voyages du cofondateur Shane en Corée du Nord.

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Le succès est au rendez-vous puisque, en 2016, Disney – qui avait déjà investi 400 millions de dollars dans Vice – offre environ 3,5 milliards de dollars ( 3,2 milliards d’euros), pour acquérir Vice Media. Le cofondateur Shane Smith va cependant refuser l’offre. L’avenir proche semble lui donner raison puisqu’un an plus tard, sa société est estimée à 5,7 milliards de dollars. Shane Smith figure même cette année-là sur la liste des milliardaires du magazine américain Forbes.

Au tournant des années 2010, Vice et BuzzFeed incarnent – au même titre que The Daily Beast ou le Huffington Post – une nouvelle génération de médias d’information entièrement en ligne qui ambitionnait de bousculer les grands anciens.  « Ils ont attiré des montants énormes du capital-investissement (fonds et grandes fortunes), qui s’est raconté un conte de fées, à savoir que si (ces plateformes) arrivaient à créer autant de trafic, il devait y avoir un moyen de le monétiser », fait valoir Dan Kennedy, professeur à l’université Northeastern. Mais ces investisseurs « s’impatientent quand les progrès sont trop lents », souligne Rick Edmonds.

Une dégringolade spectaculaire

8 ans plus tard, la situation a radicalement changé. Ce modèle économique de ce type de médias ne fonctionne plus. « Le modèle gratuit qui consiste à générer beaucoup de trafic et à vendre de la publicité sur cette base n’a pas fonctionné aussi bien qu’espéré », analyse Rick Edmonds, de l’institut de recherche sur le journalisme Poynter. « C’est la fin du mariage entre les réseaux sociaux et l’information », a dit au New York Times Ben Smith, ancien rédacteur en chef de BuzzFeed News.

Vice media

La plupart des sites n’ont jamais dégagé les bénéfices escomptés par les investisseurs dans un marché publicitaire difficile. Avec la dégradation de la conjoncture économique, le marché publicitaire s’est tendu et une part de plus en plus importante, aujourd’hui supérieure à 70%, en est captée par les géants technologiques, Google et Facebook en tête.

En outre, la remontée des taux d’intérêt et le durcissement des conditions de crédit ont incité, depuis un an, le capital-investissement à la prudence, et « ils ont voulu récupérer leur mise », explique Aileen Gallagher, professeure à l’université de Syracuse.

Vice ou BuzzFeed peinaient déjà depuis plusieurs années à attirer de nouveaux capitaux et ont eu recours à l’endettement pour rester à flots, car aucun des deux n’était rentable. Vice a même fini par déposer le bilan en mai dernier. En juin, un groupe de créanciers constitué par les sociétés d’investissement Fortress Investment Group, Soros Fund Management et Monroe Capital a racheté l’entreprise pour 350 millions de dollars. Vice ferme aujourd’hui son site et annonce une réorientation stratégique.

Il s’agit d’une dégringolade spectaculaire qui rappelle celle d’un autre étendard de cette nouvelle génération, BuzzFeed. En 2021, BuzzFeed a joué la carte de l’introduction en Bourse, mais l’opération s’est révélée être un fiasco et l’entreprise, un temps valorisée 1,5 milliard de dollars, n’a pu lever que 16 millions. BuzzFeed avait lui aussi annoncé fin avril la clôture du site BuzzFeed News, avec 180 licenciements à la clé.

Dans cet environnement tourmenté, les sites d’information américains gratuits adossés à des groupes de taille significative, comme Vox avec Vox Media, Mashable avec Ziff Davis ou The Daily Beast avec IAC s’en tirent mieux, aidés, pour partie, par des économies d’échelle et un actionnaire avec une vision à plus long terme. Certains, comme The Daily Beast, ont tenté d’évoluer vers un modèle payant, mais « c’est compliqué lorsque les consommateurs ont été habitués à la gratuité », considère Rick Edmonds. « Vous devez vraiment être intéressé par quelque chose pour vous abonner », avance Aileen Gallagher. « Et il y a beaucoup de contenu assez moyen sur internet, qui n’a pas beaucoup de valeur. C’est celui-là qui va disparaître. »

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