L’impression 3D: une révolution sans danger?

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L’impression d’objets en trois dimensions est une véritable révolution, aux répercussions formidables dans bien des domaines. Sa progressive généralisation pose toutefois l’épineuse question de la propriété intellectuelle.

L’acquisition d’une imprimante 3D au maniement relativement simple, et la création ou le téléchargement d’un fichier informatique représentant la géométrie en trois dimensions de l’objet à imprimer, permettent aujourd’hui à tout un chacun de créer des objets à l’infini. Que ce soit de simples jouets, des pièces de rechanges, des objets décoratifs, des pièces automobiles ou aéronautiques voire même des prothèses médicales, tout est à présent possible. Le procédé de l’impression 3D repose sur la superposition de matière qui, couche après couche, matérialise l’objet recherché.

Qualifiée par certains de technologie futuriste annonçant une révolution industrielle majeure, l’impression 3D peut aussi constituer une source de craintes. L’expiration de certains brevets clés protégeant cette technologie permet à présent sa généralisation et sa démocratisation. Ceci soumet le domaine de la propriété intellectuelle à de nouveaux défis.

Modèles virtuels reproductibles Les droits de propriété intellectuelle confèrent à leur titulaire des droits exclusifs d’exploitation sur ce qu’on appelle les “productions de l’esprit”. A titre d’exemple, la forme ou l’apparence d’un objet est susceptible de bénéficier d’une protection par le droit des dessins et modèles, par le droit d’auteur et même dans certains cas par le droit des marques.

Le noeud du problème afférent à l’impression 3D réside dans le fait que les objets vont être digitalisés sous forme de modèles virtuels reproductibles dans le monde réel, ce qui ouvre la porte aux abus. Il est en effet extrêmement difficile de contrôler la diffusion et la reproduction d’objets protégés à partir du moment où ils pénètrent dans l’univers numérique. On comprend la crainte des industriels face au risque de prolifération de fichiers 3D illégalement mis à disposition sur Internet, quand on sait ô combien les industries musicale et cinématographique ont été touchées en la matière.

Un particulier pourra ainsi en toute simplicité se procurer un exemplaire d’une figurine d’un personnage de bande dessinée, la numériser à l’aide d’un scanner 3D, et ensuite partager le fichier contenant la représentation géométrique de cette figurine sur Internet, la mettant ainsi à disposition de tous sans autorisation préalable de l’ayant droit. Certains sites de partage illégal de fichiers sur Internet offrent d’ailleurs déjà une rubrique recensant des fichiers destinés à l’impression 3D, mis à disposition par les internautes.

Contrefacteurs moins repérables Dans l’environnement numérique, se posera également la question de la détermination de l’auteur de la contrefaçon dans la mesure où différents acteurs interviendront dans la chaîne aboutissant à l’impression. Se succéderont notamment celui qui met le fichier 3D à disposition sur Internet, le fournisseur d’accès à Internet, l’hébergeur du site abritant le fichier, celui qui imprime l’objet et celui qui l’utilise.

En sus des risques évidents liés à la mise à disposition non contrôlée de fichiers sur Internet, la technologie de l’impression 3D pourrait faciliter à plusieurs égards la vie des contrefacteurs, notamment en leur offrant la possibilité d’une impression “à domicile”, leur permettant d’éviter une circulation transfrontière et une saisie douanière.

Armes technologiques et juridiques Face à ces nouveaux défis, quelles seraient les parades offertes aux titulaires de droits ? Il n’existe malheureusement pas de solution miracle mais plusieurs pistes sont à creuser. De manière non exhaustive, nous évoquerons ici deux types d’outils à aborder dans une perspective d’équilibre entre, d’une part, l’exploitation de cette innovation à haut potentiel et, d’autre part, la sauvegarde des droits de propriété intellectuelle.

Premièrement, nous pensons aux armes technologiques, à savoir les boucliers techniques à implanter par les titulaires de droits afin de freiner les ardeurs des contrefacteurs. Un brevet a ainsi déjà été déposé, visant à appliquer un système de digital rights management aux fichiers 3D. Au moyen d’un dialogue s’établissant entre l’imprimante et un serveur connecté à distance, cette protection vérifierait, au moment du chargement d’un fichier par l’imprimante, si l’utilisateur a le droit d’imprimer et, le cas échéant, en quelle quantité. Ce système ne serait bien sûr pas infaillible, les contrefacteurs étant généralement suffisamment rusés que pour contourner ce type de dispositifs de protection, comme ils le font d’ailleurs déjà dans le domaine des mesures de protection visant à éviter la lecture de jeux vidéo copiés illégalement sur des consoles de jeux.

Deuxièmement, il existe les outils juridiques. L’efficacité de ceux-ci dépendra du durcissement des règles et d’une application sévère par les tribunaux. A l’instar de ce qui se passe dans le domaine du divertissement en général, il sera en pratique presque impossible de poursuivre les infractions individuelles commises à domicile dans le domaine de l’impression 3D. C’est donc plutôt à la source qu’il faudra s’attaquer au problème, c’est-à-dire au niveau des intermédiaires sur Internet et des hébergeurs de sites abritant des fichiers illégaux. Ces derniers sont en effet les intervenants les mieux placés pour arrêter l’hémorragie dans l’univers numérique. Pour l’heure, ils se retranchent trop facilement derrière les exonérations de responsabilité dont ils bénéficient concernant le contenu des sites circulant sur la Toile. Ensuite, certains soulèvent déjà la question de savoir si l’exception pour copie privée et à des fins non commerciales est ou non conditionnée par la licéité de la source. Cette question n’a pas encore été tranchée.

De manière générale, un encadrement juridique solide permettant d’établir des garde-fous à l’exploitation de l’impression 3D sera indispensable. Il en va de la protection des titulaires de droit mais également de celle des consommateurs. Il faut en effet garder à l’esprit que la sécurité du consommateur est mise en péril par des copies de piètre qualité ne répondant pas aux standards de qualité caractérisant la pièce originale.

STÉPHANIE HERMOYE ET CARINA GOMMERS, AVOCATES AU CABINET HOYNG MONEGIER LLP

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