L’IA impose un repositionnement aux agences de marketing digital

L’IA générative bouscule les codes, encore faut-il l’assumer. Le choix de Coca-Cola de faire appel à l’IA l’an dernier pour revisiter sa pub mythique de 1995 était-il judicieux ? © PG
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

L’intelligence artificielle bouscule le marketing digital et oblige les agences à se réinventer. Face à l’automatisation croissante et à l’internalisation des compétences par les annonceurs, elles doivent redéfinir leur valeur, adapter leurs services et repenser leurs équipes.

“Il faudrait être un peu débile pour ne pas utiliser l’intelligence artificielle quand on gère une agence de marketing.” Gabriel Goldberg, ancien patron de l’agence Semetis reconverti en coach et investisseur, ne mâche pas ses mots. En à peine deux ans, l’IA générative a bouleversé les codes du marketing digital. Ce qui n’était encore qu’une innovation émergente est aujourd’hui omniprésente : automatisation des tâches, production de contenus, analyse de données et optimisation des campagnes publicitaires. L’IA s’infiltre à chaque étape et oblige les agences à repenser leur modèle.

Face à ces bouleversements, Universem, agence belge spécialisée dans le marketing digital, a opéré un repositionnement stratégique majeur pour intégrer un phénomène comme l’IA, ainsi que l’évolution du marché (internalisation par les clients, etc.). Universem a imaginé la “Total Brand Performance”. Une nouvelle approche qui vise à allier la data, la créativité et la performance marketing. L’agence ne se définit plus uniquement comme un acteur de la performance digitale. Mais plutôt comme un guide dans un univers où les règles évoluent sans cesse.

“Repenser notre rôle”

“L’intelligence artificielle a automatisé beaucoup de tâches, ce qui nous a amenés à repenser notre rôle, explique Hubert de Cartier, cofondateur et CEO d’Universem. Nous croyons désormais que le digital ne doit pas seulement servir la performance immédiate, mais aussi contribuer à la construction de marques fortes.” En plus de l’internalisation de compétences en marketing digital par les marques, l’automatisation accélérée impose aux agences de se démarquer autrement que par la simple exécution de tâches techniques.

Aujourd’hui, en effet, les agences confient toujours plus de tâches à l’intelligence artificielle générative, que ce soit au niveau de la création ou des processus. “L’usage le plus courant est évidemment le texte, précise Gabriel Goldberg, tout ce qui est copy. Que ce soit sur la tournure, les nuances. L’IA est utilisée pour questionner, pour chercher des idées.”

Mathieu Hosselet, fondateur de l’agence MKKM, confirme que son agence, comme beaucoup d’autres, utilise l’IA pour des copy. Et précise que sa société a développé des modèles GPT personnalisés. Ces IA sont “nourries avec la sémantique propre à chaque client grâce à de nombreux exemples, grâce à des listes de mots interdits, etc.” Cela permet à l’agence de générer, pour les réseaux sociaux, des textes publicitaires alignés avec le style de la marque. Tout en conservant une supervision humaine pour garantir la qualité et l’émotion du message.

(Bad) Buzz de Coca-Cola

Dans la création, l’IA peut aussi servir pour produire un résultat final. En fin d’année passée, la marque Coca-Cola a fait parler d’elle avec sa vidéo de Noël faite par une IA. La firme américaine avait fait adapter sa pub mythique de 1995 avec les camions et le père Noël par une intelligence artificielle. Un spot d’une quinzaine de secondes qui a été accueilli de manière plutôt mitigée. D’un côté, ceux qui défendent l’innovation, de l’autre, ceux qui s’inquiètent de l’évolution éthique et de l’impact sur les jobs. N’empêche, la marque de soda a shooté mondialement un premier contenu totalement généré par IA.

Nike et Toys “R” Us avaient, eux aussi, déjà fait usage de l’IA. Mais à ce stade, on en est encore beaucoup à l’idée d’innover et de faire du buzz.

Des tas de tâches faites en IA

En Belgique, Mathieu Hosselet, patron de MKKM, admet que son agence sort des contenus IA pour quelques marques qui font figure d’exceptions et qui sont capables d’assumer et pour lesquelles les contenus générés par IA font sens. Le boss de MKKM préfère toutefois l’usage de l’IA pour faciliter le travail en amont, sans que le résultat ne soit directement celui vu par le consommateur. “On utilise l’IA pour la réalisation de nos storyboards, par exemple”, dit-il.

MKKM, comme beaucoup d’autres agences, utilise également de l’IA pour l’adaptation des formats visuels aux différents médias et réseaux sociaux. Un visuel réalisé pour Facebook ne peut, de fait, pas s’adapter tel quel sur Instagram en story, réel, etc. Auparavant, adapter un visuel à différents formats pouvait prendre des heures à un graphiste qui devait manuellement refaire l’ensemble des formats sur la base d’un visuel identique. Aujourd’hui, des outils dans la suite Adobe, ou d’autres, permettent d’automatiser ces déclinaisons en quelques secondes seulement.

Aide pour le SEO

Mais les cas d’usage vont bien plus loin que la génération de contenus. Hubert de Cartier l’illustre notamment avec un autre exemple précis: l’optimisation d’un site web de marque pour les moteurs de recherche comme Google, le SEO. Autrefois, un consultant passait plusieurs jours à analyser un site web, à réaliser des recherches sémantiques pour identifier les mots-clés pertinents, etc. Désormais, des outils permettent de faire le scrapping du site et, grâce à des outils comme ChatGPT, cette analyse est ensuite automatisée en quelques instants seulement. “Si l’outil est bien utilisé, un travail opérationnel qu’on réalisait en cinq jours par le passé, peut ne durer que trois jours et permet d’obtenir des analyses plus fouillées”, détaille le CEO d’Universem.

Gabriel Goldberg (Semetis) © PG

L’intelligence artificielle sert aussi dans le domaine de l’e-commerce, continue Hubert de Cartier, qui se souvient d’un travail réalisé pour un gros acteur de ce secteur. “Nous avons automatisé, via l’IA, la réalisation de 10.000 fiches de produits en sept langues, admet-il. Nous avons testé différents modèles d’intelligence artificielle dans lesquels nous avons injecté du contenu : des informations des fournisseurs, des photos, des commentaires d’internautes et même le tone of voice du client. Ce qui prenait trois mois à trois étudiants il y a 10 ans a été bien plus rapide. Le client a dû réaliser une vérification qui ne lui prenait plus que 2 minutes par fiche produit… contre 30 par le passé.”

“Les agences qui continuent de facturer des tâches que l’IA peut exécuter en un clic sont vouées à disparaître” – Gabriel Goldberg (Semetis)

Justification des tarifs?

Si l’IA permet d’accélérer la production et d’optimiser les processus, elle pose aussi une question cruciale : comment justifier le prix d’une prestation si une machine fait une grande partie du travail ? C’est évidemment l’une des questions qui obsèdent aujourd’hui les agences.

Si un audit SEO, qui coûtait autrefois plusieurs milliers d’euros, peut être produit en quelques heures grâce à l’IA, comment maintenir une tarification cohérente ? Pour Hubert de Cartier, la réponse tient en un mot : valeur. “L’agence ne peut plus seulement vendre du temps de travail, dit-il. Il faut vendre de la valeur.” Une valeur qui se trouve dans l’accompagnement stratégique, l’expertise et une capacité à exploiter les outils IA de manière optimale.

Gabriel Goldberg va encore plus loin. “Les agences qui continuent de facturer des tâches que l’IA peut exécuter en un clic sont vouées à disparaître. Aujourd’hui, la valeur est dans l’analyse, l’interprétation et la capacité à connecter les insights aux objectifs business des clients. Les agences peuvent facturer la même chose. Mais elles doivent avoir plus de résultats, et plus de liens entre la communication et la stratégie. Elles doivent aller dans l’accompagnement, c’est évident.”

Repenser les équipes

Mais la montée en puissance de l’IA ne transforme pas seulement l’offre des agences. Elle modifie aussi la structure même des équipes. Les tâches répétitives et à moins forte valeur ajoutée étaient, comme chez les consultants, confiées à des profils juniors ou des stagiaires. Or ces tâches disparaissent progressivement… En même temps que ces profils ? “Aujourd’hui, nos clients veulent de l’expertise, pas de l’exécution, continue Hubert de Cartier. Les profils juniors, qui étaient auparavant chargés de tâches répétitives, sont devenus moins pertinents. Nous avons besoin de consultants capables d’interpréter des données et de penser stratégiquement.” Ainsi, Universem a arrêté le recrutement de juniors, un choix assumé par Hubert de Cartier.

Hubert de Cartier (Universem) © PG
“Les profils juniors, qui étaient auparavant chargés de tâches répétitives, sont devenus moins pertinents.” – Hubert de Cartier (Universem)

Car tous s’accordent à dire que si l’IA excelle dans l’exécution, elle ne remplace pas encore la dimension stratégique et créative des agences. À ce stade.

Déplacer la valeur

Certaines agences prévoient de compenser la baisse des prix de certaines prestations en développant de nouveaux services autour de l’IA. L’optimisation de la présence des marques dans les résultats des IA conversationnelles (ChatGPT, Gemini, etc.) est devenue un enjeu stratégique. Les entreprises veulent s’assurer qu’elles apparaissent dans les réponses générées par ces outils, ce qui ouvre potentiellement une nouvelle opportunité pour les agences de marketing digital. Sans compter que, pour Mathieu Hosselet, “les marges sont transférées sur d’autres services, analyse-t-il : des réflexions média plus poussées, de la veille sur la concurrence, du social listening, etc.”

Mathieu Hosselet (MKKM) © PG
“Les marges sont transférées sur d’autres services : des réflexions média plus poussées, de la veille sur la concurrence, du ‘social listening’, etc.” – Mathieu Hosselet (MKKM)

Gabriel Goldberg partage d’ailleurs cette analyse. Selon lui, les agences doivent recruter des talents capables de passer de l’expertise pure à la gestion de projet et à l’accompagnement client. Le profil type du consultant en marketing digital évolue(ra) : il ne doit plus s’agir d’un simple technicien, mais d’un stratège capable de comprendre les enjeux business et d’exploiter intelligemment les outils IA.

Le challenge, cependant, est que ces profils coûtent plus cher. Les agences doivent donc facturer plus, tout en étant plus efficaces grâce aux outils IA. Un équilibre délicat à trouver, d’autant plus que les clients, conscients des gains de productivité offerts par l’IA, attendent des tarifs plus compétitifs, et que tout le monde est sous pression.

L’avenir semble donc appartenir aux agences capables de conjuguer expertise humaine et puissance de l’IA. Celles qui sauront accompagner leurs clients dans cette mutation, en apportant de la valeur stratégique au-delà de l’exécution technique, tireront leur épingle du jeu. Car si l’IA peut automatiser de nombreuses tâches, selon les experts, elle ne remplace pas l’intelligence humaine et la capacité à comprendre en profondeur les enjeux des marques.

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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