De plus en plus, les internautes obtiennent l’information qu’ils cherchent sans quitter la page où ils se trouvent. Pour les entreprises, ce changement discret mais profond redessine les frontières de la visibilité et de la relation client.
Pendant des années, tout s’est joué en un clic. C’était la mesure universelle de l’efficacité numérique : un clic, c’était un intérêt, un contact, parfois même une vente. Les sites se disputaient les premiers rangs sur Google, les marques dépensaient des fortunes pour capter l’attention de l’internaute et le convaincre de franchir ce petit pas. Le web s’était bâti sur cette idée : la valeur venait du “mouvement”.
Mais ce mouvement est en train de ralentir. Les utilisateurs, saturés de contenus, ne bougent plus. Ils lisent, écoutent, regardent et… restent sur place. Les plateformes ont compris que plus un internaute reste chez elles, plus elles gagnent. Alors elles lui donnent tout, sans qu’il ait besoin d’aller ailleurs. C’est la logique du “zéro clic”. L’information, la réponse, parfois même le produit, sont désormais livrés sans détour.
L’information s’arrête avant la source
Sur Google, une bonne partie des recherches ne mènent plus vers un site extérieur : l’internaute trouve la réponse directement dans les encadrés ou les résumés générés par l’intelligence artificielle. Sur TikTok, la quasi-totalité des utilisateurs consomme le contenu sans jamais visiter le profil d’un créateur. Et sur ChatGPT, Gemini ou Perplexity, la réponse est une synthèse : tout est là, sans lien, sans contexte, et donc… sans clic.
Les entreprises continuent d’exister, mais leur visibilité s’évapore. Autrement dit, un industriel, une banque ou une enseigne de distribution peuvent voir leur contenu repris, cité ou résumé sans jamais en être la destination. Les clients voient passer le message, mais ne franchissent plus le seuil. Le web est devenu une vitrine que l’on regarde de l’extérieur.

Au départ, ce phénomène concernait surtout les médias. Il touche désormais l’ensemble du tissu économique. Dans la banque, la santé, le retail ou le tourisme, de nombreuses entreprises constatent une baisse du trafic en ligne, alors même que la notoriété reste stable. Les gens continuent de s’intéresser à elles, mais ils n’ont plus besoin de venir les voir. Cette évolution traduit un changement plus profond : l’internaute ne choisit plus vraiment. Les plateformes, désormais, choisissent pour lui. Elles trient, hiérarchisent, simplifient. Elles montrent ce qui retient le plus longtemps l’attention, ce qui suscite le plus de réactions. Et le reste disparaît. Le constat est assez triste : c’est un monde où la curiosité recule au profit de la prescription.
Dans ce nouvel écosystème, la visibilité ne dépend plus du mérite ou de la qualité, mais de la compatibilité avec les algorithmes. Les entreprises les plus fortes, les plus citées, les plus actives sont poussées en avant. Les autres s’effacent doucement, sans bruit. Ce mécanisme crée un déséquilibre inédit. Sur Spotify, 1% des artistes produisent 90% des écoutes. Et sur YouTube, la concentration est la même. Sur le web, la logique se répète : les premiers prennent tout. Et pour les autres, même ceux qui ont quelque chose à dire, il devient difficile d’exister.
Plus d’abondance, moins de découverte
Pour les entreprises, cette invisibilité va devenir un vrai sujet économique. Quand les clients obtiennent l’information avant même d’arriver sur votre site, comment entretenir le lien ? Quand tout se joue dans le flux, comment défendre une particularité ? Le risque n’est pas seulement commercial, il est également culturel. La diversité des voix, des offres, des approches tend à s’appauvrir. Les plateformes, qui prétendent tout offrir, finissent par montrer toujours les mêmes choses. Les dirigeants qui analysent cette mutation parlent d’une impression étrange : “Nous sommes partout, mais les gens ne viennent plus”. La marque n’est plus une destination, elle devient une référence parmi d’autres, intégrée dans des synthèses, parfois anonymisée.
Au fond, c’est une situation paradoxale. Les entreprises continuent d’exister dans la tête des gens, mais perdent la trace de leur passage. L’économie du clic permettait de mesurer l’intérêt. Mais l’économie du “zéro clic” rend l’intérêt invisible.
Pourtant, tout n’est pas négatif. Ce glissement ouvre aussi un champ nouveau : celui de la crédibilité. Dans un univers saturé d’informations, les utilisateurs cherchent des repères sûrs, des voix identifiables, des marques fiables (nous faisons tout pour que Trends-Tendances reste aussi le repère du monde des affaires). Être cité, repris, résumé – mais à condition de l’être correctement – devient une forme de victoire. Pour une banque, par exemple, cela signifie être reconnue comme source crédible quand un client cherche une explication sur les taux. Et pour un acteur du retail, c’est devenir la référence spontanée sur un segment. Pour un industriel, c’est être mentionné dans les comparatifs automatisés produits par les IA. Ce qui comptera demain, ce n’est pas le nombre de visites sur un site, mais la place qu’une marque occupe dans la mémoire collective, humaine et désormais aussi… algorithmique.
Du référencement à la reconnaissance
Autrefois, nous parlions tous de “référencement”. Aujourd’hui, il faudrait plutôt parler de “reconnaissance”.En effet, les entreprises devront apprendre à produire des contenus compréhensibles, structurés, cohérents. Les machines apprennent plus vite quand les messages sont clairs. Les IA ne sont pas sensibles à la créativité, mais davantage à la régularité. Elles retiennent les marques qui parlent d’une seule voix, avec des faits, des chiffres, des repères constants. Les dirigeants devront donc penser leur communication comme une matière que les algorithmes peuvent absorber. Il ne s’agit plus d’écrire pour être lu, mais d’écrire pour être compris et repris correctement. Le ton change : plus de clarté, moins de slogans.
Dans l’économie du clic, on comptait les passages. Dans l’économie du “zéro clic”, on comptera les traces laissées dans l’esprit du public.
Ce nouveau paysage impose aussi un changement de boussole dans les entreprises. Le succès ne se mesurera plus seulement au trafic d’un site ou à la performance d’une campagne, mais à la profondeur de la relation avec le client. Les indicateurs pertinents deviennent plus discrets : le nombre de personnes abonnées à une lettre d’information, la régularité des échanges, la fréquence des citations ou des recommandations. La visibilité instantanée perd de la valeur au profit de la confiance durable. Dans l’économie du clic, on comptait les passages. Dans l’économie du “zéro clic”, on comptera les traces laissées dans l’esprit du public.
À en croire les spécialistes, ce n’est pas la fin du web, mais c’est la fin d’une époque. Après 20 ans d’obsession pour le clic (y compris dans les médias), l’attention se déplace vers autre chose : la fiabilité, la clarté, la confiance. Et dans un monde saturé de résumés, la vraie rareté n’est plus l’information, mais l’autorité tranquille de ceux qui savent encore se faire entendre sans qu’on ait besoin de cliquer. Et voilà pourquoi, chez Trends- Tendances, nous ne sommes pas pessimistes à l’égard de cette économie du “zéro clic”.
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