“Le métavers n’est pas mort, il n’est même pas né”
Multi-entrepreneuse, consultante et auteure, la Française Morgane Soulier sort un nouveau livre dédié aux univers virtuels. Co-écrit avec Michel Levy Provençal, son “Metaverse” annonce la couleur technologique avec ce sous-titre prophétique : “Comprendre le monde qui vient”. Car non, le métavers n’est pas mort !
Il ne faut pas vendre la peau du métavers avant de l’avoir tué. Voilà, en quelques mots, le message que l’on pourrait retenir du nouveau livre Metaverse (éditions Grasset), écrit à quatre mains par les auteurs français Morgane Soulier et Michel Levy Provençal. Prospectif, l’ouvrage s’accompagne d’ailleurs d’un sous-titre qui veut remettre les pendules du futur à l’heure : “Comprendre le monde qui vient”. Ces deux conférenciers en sont en effet convaincus : avec l’émergence spectaculaire de l’intelligence artificielle, les mondes virtuels se sont fait discrets, certes, mais ils ne se sont pas effondrés pour autant. Et ils vont même grandir. Selon le cabinet McKinsey, le métavers devrait représenter un marché de 5.000 milliards de dollars à l’horizon 2030. Si tout va bien…
TRENDS-TENDANCES. Depuis plusieurs mois, tout le monde parle de la fin du métavers et, paradoxalement, vous venez aujourd’hui avec un nouveau livre dédié aux univers virtuels. Le métavers n’est donc pas mort ?
MORGANE SOULIER La réponse est évidemment non. Notre monde est en train d’évoluer. La façon dont on crée de l’information, la façon dont on la diffuse, la façon dont on la consomme et comment on y accède, tout cela est en train d’évoluer vers des mondes beaucoup plus virtuels. C’est indéniable. Je suis une créatrice d’innovation. J’adore identifier les nouvelles technologies et les sujets naissants. J’aime les comprendre, me les approprier, être pionnière dans leur utilisation et, ensuite, en faire de la pédagogie pour expliquer comment ils vont transformer nos vies. Pour vous donner quelques exemples, j’ai été pionnière en France pour l’opérateur Orange, puisque j’ai créé la première page Facebook du groupe en 2007. Quelques années plus tard, on m’a confié la stratégie d’intégration de Netflix sur le marché français. Vraiment, c’est au cœur de ma personnalité. Donc, pour répondre à votre question : non, le métavers n’est pas mort. Il n’est même pas né, en fait !
Dans votre livre, vous en décortiquez les prémices avec les jeux vidéo “The Sims”, puis “Fortnite”. Ce mois-ci, Apple a sorti son tout nouveau casque connecté Vision Pro. Est-ce une étape vers ce “nouveau” métavers qui se fait attendre ?
Aujourd’hui, il y a trois actualités qui nous prouvent que la virtualisation de nos activités est en marche. La première, vous l’avez évoqué à juste titre, c’est la sortie, le 2 février dernier aux Etats-Unis, de l’Apple Vision Pro. On sait que lorsque cette entreprise sort de nouveaux dispositifs, elle met beaucoup d’argent dans la démocratisation progressive de ces dispositifs. Apple a cette force de démocratiser l’adoption de nouveaux outils dans nos foyers…
Le prix de base du casque Vision Pro est à 3.500 euros, tout de même !
Le premier jour de la sortie du Vision Pro aux Etats-Unis, Apple en a vendu plus de 300.000 alors que tous les analystes disaient au moment de l’annonce en juin : “Non, mais à 3.500 dollars, personne ne va l’acheter !”. En fait, cette première version n’est pas destinée au grand public, mais aux développeurs, aux geeks et à tous ceux qui vont créer les applications dans l’App Store qui seront en 3D. Donc, on ne va pas acheter, nous, grand public, cette première version qui est à 3.500 dollars et pour laquelle il n’y a pas encore d’applications. Mais on achètera probablement la deuxième ou la troisième version dont les prix vont chuter. Si nous nous reparlons en 2027, nous aurons tous, je pense, notre Vision Pro ou le casque d’une marque concurrente.
La deuxième actualité, c’est Disney qui vient d’investir 1,5 milliard de dollars dans Epic Games, l’entreprise qui se cache derrière le succès du jeu vidéo “Fortnite”?
Absolument ! On parle beaucoup, aujourd’hui, d’omnicanalité ou, si vous préférez, de différents canaux de vente. Quand vous voulez acheter un polo Lacoste, vous pouvez aller physiquement dans une boutique Lacoste, vous pouvez le commander sur le site internet de la marque, vous pouvez aussi vous rendre sur certains sites de ventes privées… Bref, vous pouvez passer par ces différents canaux d’information pour comparer les prix, aller et revenir entre ces différents points, mais vous allez pouvoir aussi faire des achats dans les mondes virtuels, pour votre avatar et pour vous-même, et ensuite vous les faire livrer à la maison. C’est déjà le cas avec Zara. Nike le fait aussi. C’est ça, l’omnicanalité. Ce qui est intéressant dans le partenariat qui vient de se nouer entre Disney et Epic Games, c’est que Disney pourra exploiter toutes ses licences dans cet univers virtuel : ses propres dessins animés bien sûr, mais aussi les productions Pixar, les Star Wars, Marvel, Indiana Jones ou encore Avatar. Aujourd’hui, Disney investit massivement dans une nouvelle plateforme de divertissement qui est aussi un nouveau canal de distribution où chacun pourra expérimenter de nouveaux contenus et acheter de nouveaux produits. Ce n’est pas anodin.
Et quelle est la troisième actualité qui démontre, selon vous, la montée en puissance de ces univers virtuels ?
Le troisième élément est ancré dans le milieu industriel. C’est le groupe Renault qui a annoncé, il y a quelques semaines à peine, qu’il allait investir plusieurs centaines de millions d’euros dans son propre métavers, lancé il y a un an déjà. Il s’agit d’un plan industriel ambitieux, baptisé Re-Industry, qui vise à analyser et à réduire les coûts de production, par exemple en formant de manière optimale les peintres en carrosserie via des jumeaux numériques de voitures existantes. D’une façon générale, il y a de très belles choses à faire au niveau des entreprises pour faire évoluer les stratégies à l’ère du métavers et notamment les stratégies de recrutement, les stratégies d’intégration des nouveaux salariés ou encore les stratégies de relations clients. Et il va falloir y aller parce que ça va devenir un atout concurrentiel.
On a quand même l’impression que, ces derniers mois, l’émergence de l’intelligence artificielle via ChatGPT a fait passer le métavers au second plan, non ?
Médiatiquement, oui. Et puis, nous, internautes lambda, citoyens lambda, consommateurs lambda, on a vu effectivement beaucoup plus de valeur ajoutée à très court terme avec l’IA…
Et surtout du concret !
Du concret, exactement. L’IA a pris le dessus, avec des chiffres faramineux, que ce soit en termes d’investissements ou de valorisations. La société OpenAI, qui est derrière ChatGPT, est aujourd’hui valorisée à près de 100 milliards de dollars. Donc, il y a quand même un emballement médiatique, voire même une hystérie collective autour de l’intelligence artificielle. Mais dans l’évolution d’internet et de toutes ces technologies, je suis absolument convaincue que, petit à petit, de façon distillée, nos usages vont se virtualiser.
L’IA ne va donc pas effacer le métavers ?
Le métavers s’est un peu effacé aux yeux du grand public à cause de l’IA, mais pas aux yeux des ingénieurs, des labos de recherche et des entreprises qui continuent de développer les technologies qui vont faire que nous allons de plus en plus utiliser cet univers virtuel. A la fin de mon livre, vous avez accès à différentes interviews via un QR code et Nicolas Bouzou, directeur de la société d’études économiques Asterès, l’explique d’ailleurs très bien : le métavers prendra toute sa place le jour où il y aura une véritable hybridation entre la robotique, l’intelligence artificielle et cet univers virtuel.
Dans votre livre, vous évoquez d’ailleurs la fameuse “Hype cycle curve”, cette courbe de Gartner qui se décompose en cinq phases : la technologie émergente, le pic d’attente exagérée, la désillusion, la consolidation et, enfin, la maturité…
Oui et même si l’innovation est toujours en train de se développer, on a atteint la première, puis la deuxième étape avec un énorme buzz autour du métavers et même des yachts qui se sont vendus dans des mondes virtuels à 690 millions d’euros ! Un truc complètement ridicule. Donc, là, on est dans la phase de désillusion parce que, finalement, ça sert à quoi ? Parallèlement à ça, on a commencé à parler d’intelligence artificielle générative et donc le buzz s’est déplacé dans la sphère médiatique. Mais la courbe de Gartner va reprendre son ascension pour le métavers. Les experts interviewés dans mon livre s’accordent sur ce point : le métavers s’imposera quand les technologies seront arrivées à un niveau de maturité suffisant pour offrir au grand public des expériences fluides et suffisamment ludiques.
Mais n’y a-t-il pas, finalement, une grosse confusion dans l’esprit des gens sur le terme même de métavers ?
Aujourd’hui, pour la grande majorité des gens, le métavers est identifié comme quelque chose d’hyper mauvais et d’hyper nuisible parce que tout le monde fait l’amalgame avec Facebook. Il faut rappeler le contexte et je l’explique d’ailleurs dans mon livre. En janvier 2021, il y a l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump. Le patron de Facebook est accusé de ne pas avoir suffisamment modéré les contenus et surtout les incitations à la haine et à la violence sur sa plateforme. Au printemps, Mark Zuckerberg est donc convoqué au Sénat américain devant tous les médias de la planète. Dans les mois qui suivront, il voudra que son entreprise puisse être pérennisée et ne plus être uniquement identifiée comme un réseau social. Et donc là, il fera le rebranding de la société Facebook en Meta parce qu’il identifie que le métavers va être la prochaine révolution numérique. Ce qui est le cas. C’était prématuré d’en parler, certes, mais l’élément factuel, la vérité, c’est qu’effectivement, le métavers va émerger. Depuis, les gens se méfient du métavers parce qu’il est vraiment incarné par quelqu’un qu’on déteste. Zuckerberg, c’est le diable…
Mark Zuckerberg a donc fait un hold-up sur le nom métavers ?
Personnellement, je pense que le terme métavers n’est pas forcément celui qui sera le plus utilisé à un horizon de 10 ou 15 ans. Quand Tim Cook, le patron d’Apple, a fait l’annonce de son casque de réalité augmentée, à aucun moment il n’a prononcé le mot métavers. Il l’a fait exprès et il a préféré parler de spatial computing, de l’informatique spatiale, pour évoquer les mondes virtuels. Au final, je ne sais pas quel mot émergera, mais on est vraiment dans ce monde-là : l’espace change, le monde dans lequel on interagit est en train d’évoluer, et notre quotidien va se virtualiser de plus en plus. z
Profil
• Diplômée de l’EM Lyon Business School (2008), de HEC Paris (2019) et de Sciences Po Paris (2022).
• Marketing manager chez Orange de 2011 à 2018.
• Fondatrice de FeelHealth
en 2018, une entreprise spécialisée dans la santé connectée.
• Fondatrice de Now Futures en 2021, une structure de conseil active dans les enjeux numériques, l’IA et le métavers.
• Editorialiste pour plusieurs médias (Harvard Business Review, Challenges, Le Point, etc.)
• Co-auteure du livre Metaverse paru chez Grasset en 2024.
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