“Le métavers est au frigo… pour l’instant”

La trilogie “Matrix” le rappelle, les métavers sont un vieux concept: “Plein de versions nous ont déjà été données à penser...”
François Remy Journaliste

Il faut se méfier d’une techno qui dort. Si les métavers ne brillent pas (encore) de tout leur éclat commercial, ce concept de web immersif donne un aperçu d’un futur probable. Le Parlement belge a lui aussi décidé de s’y préparer, grâce aux lumières des divers experts.

Univers virtuel où convergent les mondes physique et numérique, le métavers plonge ses utilisateurs dans une réalité parallèle en ligne où se mêlent interactions sociales, expériences de gaming et transactions en monnaies numériques. Les possibilités seraient illimitées, tant pour les entreprises que les citoyens. Reste à savoir comment y garantir une certaine sécurité juridique et économique ainsi que la protection des données.

Bonne nouvelle: les décideurs politiques européens ont affirmé ne plus vouloir abandonner l’impact sociétal de ces technologies aux velléités de la Big Tech américaine (voire chinoise). Le président français Emmanuel Macron a ainsi appelé de ses vœux l’émergence d’un “métavers continental”. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a, elle, assuré “qu’une Europe adaptée à l’ère numérique passe par une initiative sur les mondes virtuels”, exhortant les décideurs de l’Union à des “accords historiques” sur les marchés et services numériques.

En Belgique, la volonté politique se montre moins exaltée. Depuis le 14 mars dernier, le Comité d’avis des questions scientifiques et technologiques du Parlement fédéral auditionne des experts sur le sujet. L’objectif est d’évaluer les implications des métavers afin de proposer une résolution au gouvernement avant la fin de la législature. Un texte à valeur normative limitée, pour ne pas dire symbolique, qui réclamerait à l’exécutif fédéral d’orienter son action en fonction.

Mais pour bien pronostiquer, encore faut-il parvenir à distinguer l’accessoire et le fondamental de ces technologies numériques. L’impact des métavers sur la société, sa structure et sa productivité, dépend de ce que sont et ne sont pas ces mondes virtuels, comme se sont employés à l’expliquer les experts invités au Parlement.

Tout et rien à la fois

“Ça a surtout été un buzz lancé par Mark Zuckerberg. Parfois, sur certains enjeux stratégiques, la communication ressort presque plus importante que la réalité technologique”, a décrypté lors de son audition à la Chambre le professeur Olivier Servais, historien et anthropologue, doyen de la faculté des sciences économiques, politiques, sociales et de communication de l’UCLouvain.

Olivier Servais (UCLouvain) © PG

En 2021, le CEO de Facebook (devenu Meta) avait été taxé d’opportunisme trivial ou, pire, de pleutrerie, en fuyant les problèmes de son entreprise derrière un rebranding et en érigeant en marque un terme cyberpunk inventé dans un roman dystopique de 1992 (Le Samouraï virtuel). Ouvrage qui, justement, évoquait l’abandon d’un monde en décomposition pour s’installer dans une réalité alternative illusoire.

“Néanmoins, cela constitue un événement important car c’était la première fois qu’avait lieu une annonce sur le métavers à une telle échelle, a rappelé le professeur Servais. Trente ans en termes d’imaginaire, c’est assez récent. Mais il est vrai que la création du métavers, ce travail de pionnier, s’est développé sous une première forme populaire: les jeux vidéo, expérimentés par des millions de gameurs. Toute une série de technologies, connexions, de sociabilité en ligne, ont été développées. Quand Mark Zuckerberg promet la construction d’un métavers, il annonce en fait tout et rien à la fois puisque le métavers existe déjà.”

L’histoire prouve en tout cas une constante de ces mondes virtuels: ceux qui n’avaient pas vraiment de but ont rarement survécu. A l’inverse, ceux qui sont nés dans une industrie rentable, celle des jeux vidéo, se sont étoffés techniquement, le secteur du gaming étant depuis quelques années le premier opérateur culturel au niveau technologique.

“Plein de versions de métavers nous ont été données à penser. Le film Matrix en 1999, par exemple. Evidemment, on en n’est pas du tout là. Mais ces créations guident inévitablement l’imaginaire de celles et ceux qui bâtissent ces mondes virtuels”, a souligné le doyen. Et Olivier Servais de citer Second Life, considéré comme premier phénomène de société d’un univers mimant le réel et offrant une vie en ligne, apparu il y a 20 ans.

“Je suis incapable de vous dire si cette technologie a atteint son heure.”

Dans cette simulation où chacun venait accomplir virtuellement ses moindres désirs, on pouvait louer une “island” pour y bâtir son espace personnel et y effectuer des transactions en Linden dollar, monnaie numérique directement convertible en argent à cours légal. Une création de valeur qui avait attiré les Microsoft, Adidas et consorts, soit ces mêmes happy few qui promettent aujourd’hui un nouveau métavers révolutionnaire depuis le ravalement de façade de Facebook. A noter que Second Life existe toujours, mais avec une aura et une audience très anecdotiques.

En fait de métavers, Olivier Servais retient plus particulièrement World of Warcraft, monde multijoueur parvenu à fédérer des millions d’utilisateurs “grâce à un but de jeu et une narration ludique mais aussi une pratique de sociabilité et des interactions entre personnes qui ne relevaient pas du jeu. Les utilisateurs y sociabilisent abondamment, ce qui n’étaient pas prévu par les concepteurs.”

Echec commercial?

Foi d’anthropologue, le professeur Servais a d’ailleurs reconnu devant les députés que la technologie du métavers participait certes de nos fantasmes, de nos rêves, mais permettait aussi parfois de générer un certain type de mouvements sociaux. “On voit se développer des nouvelles ritualités liées au métavers, des mariages aux funérailles en ligne de personnes bien réelles. Cela pose de vraies questions. Mais je suis incapable de vous dire aujourd’hui si cette technologie du métavers a atteint son heure”, a-t-il relativisé.

D’autres analyses n’hésitent pourtant pas à se faire plus assertives, rangeant radicalement les métavers dans la catégorie “anecdote”. Moins de 10 millions de dispositifs de réalité augmentée et virtuelle ont été vendus dans le monde l’année dernière. Et les prévisions n’envisagent pas une explosion de la demande pour ces appareils. Il n’existe pas de données consolidées pour la Belgique mais l’estimation porte sur 300.000 utilisateurs de réalité virtuelle en 2022. Il faut donc reconnaître à ce concept technologique une capacité à générer un bruit médiatique inversement proportionnel à son actuelle réalité commerciale…

“Des embryons de métavers et métavers pullulent mais pour l’adoption de masse, il faudrait que les dispositifs et interfaces soient plus pratiques, abordables et acceptés socialement”, épinglait Nicolas van Zeebroeck, professeur de digital economics & strategy à la Solvay Brussels School, lui aussi auditionné dernièrement par les parlementaires. “Nous allons vers une adoption plutôt partielle et progressive de ces différentes technologies.”

Nicolas Van Zeebroek (Solvay Brussels School) © PG

A nous, donc, de faire la part des choses entre l’intensification progressive de nos usages numériques – qui est un fait – et la stratégie marketing qui brandit les métavers comme prochaine étape révolutionnaire du développement de l’internet. “Ce marketing est entretenu nécessairement par les entreprises qui ont tout à y gagner: les Big Tech, les consultants ou les agences de pub. Avec toujours le risque que l’on surestime grandement la prospérité et le succès à court terme et qu’on se trompe qualitativement sur les effets à long terme”, a nuancé Nicolas van Zeebroeck.

Pour nourrir l’imaginaire des députés fédéraux, le professeur de la Solvay Brussels School a trouvé une illustration parlante: “le métavers, j’aime le voir comme un concept car, la voiture du futur que vous ne verrez jamais sur les routes. Elle est seulement là pour nous réfléchir à ce que pourrait être demain”. Le métavers serait ainsi un concept web, une vision de ce à quoi pourrait ressembler l’internet de demain.

Concédons que personne ne mesure encore avec exactitude la volonté des citoyens, des consommateurs, des entreprises, d’embarquer dans des vies virtuelles plutôt que physiques. A quel point un appétit social véritable se fait-il ressentir pour des expériences entièrement virtualisées? “Il s’agirait finalement d’une déconnexion du monde réel, ce que le métavers nous promet, a nuancé Nicolas van Zeebroeck. Pour la possession, les achats dans un marché virtuel ou avec des objets virtuels, est-ce que les formats sont suffisamment matures pour permettre cette adoption massive? Tout ça n’est pas certain.”

“On pourrait effectivement se retrouver un jour face au métavers sans trop s’en rendre compte.”

En revanche, le professeur d’économie numérique remarque que prises individuellement, les briques technologiques qui soutiennent ces métavers possèdent un potentiel énorme: “Elles vont être adoptées chacune à leur rythme et dans différents types de cas d’usages. Ce qui fait qu’un jour, on pourrait effectivement se retrouver face au métavers sans trop s’en rendre compte, comme la grenouille plongée dans une eau tiède qui ne remarque pas que la température augmente avant qu’elle soit cuite”.

Thierry Dutoit (UMons) © PG

Ainsi, Thierry Dutoit, ingénieur civil électricien et responsable du laboratoire Information, Signal, et Intelligence Artificielle (ISIA Lab) de la faculté polytechnique de l’UMons, a pris l’exemple de Roblox pour indiquer comment le progrès se poursuit aujourd’hui, entre les mains des utilisateurs. Roblox n’est pas un jeu mais une plateforme de développement de jeux, laissant ses membres créer leurs propres aventures. Résultat: 10 millions de créateurs aujourd’hui, et certains jeux comptent des centaines de millions d’utilisateurs.

“Les jeunes s’y retrouvent pour discuter et créer des objets numériques. Pour élargir au divertissement et à la culture, dans le jeu vidéo Horizon Worlds de Meta, une application permet à n’importe qui de projeter des films dans un cinéma virtuel pour les avatars d’utilisateurs réels”, a évoqué Thierry Dutoit, avant d’aborder le concert de Jean-Michel Jarre aux 600.000 spectateurs virtuels. “Cela m’horrifie en tant que musicien, mais quelle prouesse de réunir autant de personnes en un seul espace!”

Merci ChatGPT

Reste que les métavers constituent une avancée technologique qui n’a pas (encore) causé la disruption tant annoncée par certaines multinationales, a poursuivi Thierry Dutoit. “Contrairement à ce qui était rêvé par Facebook devenu Meta et ce qui était rebattu dans les médias, le métavers est un petit peu en retard, au frigo. Il faut dire que l’immersivité maximale, via un casque de réalité virtuelle, peu de personnes peuvent se la permettre: ces appareils sont encore assez coûteux et les raisons de les utiliser peu nombreuses. Mais la technologie des métavers n’est pas morte. Car le retour en force de l’intelligence artificielle (IA), mêlée à la réalité augmentée, va la relancer.”

Pourquoi ce come-back grâce à une combinaison avec l’IA? Depuis toujours, métavers et jeux vidéo ont été liés aux technologies de l’IA. Grâce à cette intelligence automatisée, on peut animer des agents conversationnels en 3D et peupler d’avatars informatiques les mondes virtuels. Or aujourd’hui, l’IA se veut rutilante, omniprésente, entre algorithmes réseaux de neurones profonds, accès à d’énormes quantités de données et puis accès à des calculateurs extrêmement rapides justement développés pour les jeux vidéo.

“Aujourd’hui, pour créer des espaces dans le métavers, des univers en 3D photoréalistes, il y a des logiciels tels que le moteur Unreal, illustre Thierry Dutoit. Avant, il fallait être programmateur. Mais avec une IA comme ChatGPT qui sait écrire des lignes de code, une personne sans compétence en programmation pourrait spécifier en texte le contenu d’univers virtuels en 3D. Cela ouvre pas mal de perspectives.”

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