La scale-up française Alan révolutionne l’assurance santé
Alan, l’une des stars françaises du numérique, s’est installée il y a moins de deux ans en Belgique qu’elle considère comme l’un de ses marchés phares. Elle y propose une assurance santé 100% digitale mais aussi une couche de services santé numériques qui lui font prendre le chemin de l’app santé, graal de nombreux acteurs de la tech.
Arriver à plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, rien qu’en Belgique, d’ici trois ans, grâce à quelque 100.000 utilisateurs. L’ambition de la scale-up française Alan est grande. Et certains pourraient s’en étonner s’ils n’ont jamais entendu parler de cette jeune pousse spécialiste de l’assurance santé digitale. Mais Alan affiche un parcours qui laisse penser que l’ambition de Jean-Charles Samuelian, son cofondateur et CEO, n’est pas démesurée et qu’il ne s’agit pas que d’un slogan pour faire parler de soi. La scale-up compte en effet parmi les cinq entreprises d’assurtech (technologies appliquées à l’assurance) ayant levé le plus d’argent au monde. La firme, lancée voici six ans à peine, atteindrait déjà une valorisation proche de 3 milliards d’euros. Et elle est l’une des stars de la tech française les plus en vue du moment. On est déjà loin de la petite start-up du coin: Alan compte près de 600 employés répartis entre la France, la Belgique et l’Espagne, ses trois seuls marchés pour l’instant. Et son revenu annuel récurrent (le fameux “ARR” cher aux start-up du digital) atteindrait 220 millions d’euros aujourd’hui, en constante progression.
En Belgique, le marché de l’assurance santé pour PME est encore relativement sous-développé. Alan s’intègre dans cette évolution.
Kasper Peters (Deloitte)
Quand on a l’occasion de rencontrer Jean-Charles Samuelian, à l’allure jeune et relax, on l’écoute donc dévoiler son ambition belge avec un certain intérêt. Installé chez nous pour raisons personnelles, le CEO d’Alan croit par ailleurs fermement dans les possibilités offertes par la Belgique à son entreprise. Même s’il s’agit d’un petit pays, notre marché dispose d’une profondeur intéressante pour Alan, qui voit aussi dans l’approche multilingue une expérience intéressante. Et la “petite” équipe belge actuelle (40 personnes) parviendrait déjà à séduire de nombreuses sociétés, ces petites et moyennes entreprises allant jusque 800 à 1.000 personnes et qui sont ses “vrais” clients.
Le choix réfléchi des PME
Ce positionnement à destination des PME est relativement spécifique. “Beaucoup d’assurances ciblent aujourd’hui les grandes entreprises, observe Kasper Peters, partner responsable pour le secteur des assurances et des banques chez Deloitte. Mais en Belgique, le marché des PME est relativement sous-développé dans ce domaine. Ceci s’explique par leur volume d’employés relativement limité, et des niveaux de risque très variables.” Pourtant, offrir des avantages tels que des assurances santé à leurs employés intéresse aujourd’hui aussi les PME. “Les employés, notamment de la jeune génération, sont continuellement à la recherche de sens dans leur job mais cherchent aussi des employeurs qui prennent soin d’eux, enchaîne l’expert de chez Deloitte. Alan s’intègre dans cette évolution, offrant cette possibilité aux PME alors que c’est plus facile pour les grandes entreprises, dotées de plus de moyens.”
3 milliards
En euros, la valorisation estimée d’Alan, firme lancée voici six ans à peine.
Aujourd’hui, la scale-up compterait 18.000 entreprises clientes, réparties sur ses trois marchés. A ces entreprises, l’assurtech d’origine française propose une couverture santé connectée. Sa plateforme permet de contracter une assurance 100% digitale et dispose de systèmes de remboursement en ligne, ultra-rapides, avec de vraies promesses en matière d’expérience utilisateur. Ce sont les entreprises qui y souscrivent, au profit de leurs utilisateurs. “C’est une approche idéale, note un observateur. Car le risque pour une entreprise d’assurances est essentiellement d’attirer les mauvais utilisateurs. En s’adressant au B to B, Alan évolue dans un segment de membres censés être davantage instruits et plus enclins à la prévention. Sans compter qu’Alan compte parmi ses clients pas mal de start-up comme Cowboy, Qover, Pax Familia, etc. Le personnel de ces entreprises est jeune et constitue un public potentiellement moins risqué.”
Télémédecine et santé mentale
Mais pourquoi la Belgique? Si notre pays compte parmi les trois premiers marchés d’Alan, c’est parce qu’on y devine “une vraie attente d’innovation, insiste le CEO. C’est un marché sur lequel il y avait des rentes, mais peu de nouveaux entrants. Nous sommes convaincus de pouvoir réussir en travaillant sur la qualité et notre différentiation”.
Pour se démarquer, la scale-up fondée par Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin propose par exemple une couche de différents services autour de son assurance. Elle a notamment développé “Alan Mind“, produit orienté sur le bien-être mental et qui donne accès à un programme personnalisé et des séances individuelles avec des coachs et des spécialistes. “Alan Clinic”, quant à lui, fonctionne comme un chat médical par le truchement duquel les utilisateurs peuvent discuter avec des généralistes et des spécialistes dans les domaines de la nutrition ou du sommeil, entre autres.
Nous ne devrions pas ouvrir de quatrième marché avant 2025. Nous ne voulons pas courir trop de lièvres à la fois.
Jean-Charles Samuelian, CEO d’Alan
En adjoignant ces services innovants à son assurance santé, Alan ajoute évidemment de la valeur à son produit de base. Surtout, la scale-up se rapproche du graal de nombreux acteurs du secteur: l’app santé. On sait combien beaucoup de disrupteurs ou d’entrepreneurs techs travaillent à introduire le digital dans la gestion de la santé des citoyens. Le numérique offre en effet aujourd’hui un nombre incalculable de possibilités à cette fin. Mais aucun acteur n’a, à ce jour, réussi à imposer une application centrale qui permettrait à chaque citoyen d’y concentrer toutes ses questions santé. Et d’aucuns craignent, aujourd’hui, que la toute-puissance des Gafam ne permette à ces dernières de l’emporter aussi sur ce terrain, délocalisant aux Etats-Unis la gestion de notre santé digitale. “Pour le moment, personne n’a encore gagné la bataille de l’app santé, observe Sébastien Deletaille, entrepeneur à l’origine de la start-up Rosa qui ambitionne aussi de devenir l’app santé de référence en Belgique. Plusieurs stratégies se dessinent pour y arriver. Certains comme Alan prennent le chemin de l’assurance. D’autres, comme Rosa, celui de la prise de rendez-vous médical… Si la destination est concurrente, l’approche ne l’est donc pas du tout. A ce stade, nous ne nous affrontons donc pas.”
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Encore longtemps “Petit Poucet”?
Pour Alan, ces services sont aussi une manière de se différencier de manière innovante par rapport à l’assurance traditionnelle, parfois jugée très en retard sur le terrain du numérique. “Dans le secteur de l’assurance, plus aucun vieux dinosaure n’ignore le digital, tempère toutefois Kasper Peters, de Deloitte. Plusieurs compagnies dites traditionnelles proposent déjà des services de prévention depuis quelques années, et d’autres la télémédecine. Certes, il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais le secteur a déjà fortement embrassé le numérique.” Est-ce à dire qu’Alan et ses quelque 20.000 utilisateurs belges n’ont pas encore les armes pour inquiéter les assureurs traditionnels? “J’imagine qu’aujourd’hui non, réagit Jean-Charles Samuelian: 20.000 membres, c’est encore petit. Mais en France où l’on compte désormais 300.000 utilisateurs, on est aussi passé à un moment par le stade des 20.000…”
Forte d’une récente levée de fonds à 183 millions d’euros, portant le total obtenu des investisseurs (Ontario Teachers’ Pension Plan, Teachers’ Venture Growth, Index, Temasek, DST Global, etc.) à 493 millions d’euros, Alan continue de miser sur une forte croissance. La scale-up compte engager 1.000 nouveaux collaborateurs dans les trois ans, dont 200 sur le marché belge. Objectif? Servir, à terme, quelque 3 millions de membres, contre 340.000 aujourd’hui.
Pourtant, si elle vise l’hyper-croissance, la triple licorne française ne rêve pas directement d’un développement par une internationalisation tous azimuts. Jusqu’en 2025, elle compte se “limiter” à des opérations en France, Belgique et Espagne. “Nous ne devrions pas ouvrir de quatrième marché avant 2025, insiste le CEO. Nous ne voulons pas courir trop de lièvres à la fois, nous préférons d’abord maîtriser correctement nos marchés actuels, et nous y installer très en profondeur.” Au risque de voir d’autres acteurs se lancer et préempter de futurs marchés? “Les barrières à l’entrée sont hautes pour de nouveaux acteurs, répond le jeune entrepreneur. Donc on pense qu’il y en aura peu. On préfère de toute façon rester patients et bien faire les choses, quitte à accélérer si besoin.” La scale-up vise par ailleurs une profitabilité d’ici 2025, pour les neuf ans de la firme. Cela lui impose dès lors une rigueur opérationnelle, l’incitant à éviter de multiples ouvertures onéreuses et risquées sur de nouveaux marchés.
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