Intelligence artificielle : l’Europe creuse son retard

C’est sur des modèles tels qu’OpenAI que les petits acteurs belges s’appuyent principalement, les rendant potentiellement fragiles. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Faute d’outils de gouvernance et de coordination entre les institutions de l’Union et les États membres, la politique de déploiement de l’IA est inefficace.

Des investissements dans l’IA, massifs et ciblés, sont un facteur décisif qui déterminera la vigueur de la croissance économique de l’UE dans les années à venir. Dans la course à l’IA, il y a fort à parier que le gagnant raflera toute la mise. Si l’UE veut gagner son pari, la Commission européenne et les États membres doivent unir leurs forces de manière plus efficace, accélérer la cadence et libérer le potentiel de l’Union pour réussir cette révolution technologique majeure qui est en cours. » Ce rappel a été lancé par Mihails Kozlovs, de la Cour des Comptes européenne et responsable d’un audit sur l’IA.

Un audit qui pointe déjà le retard européen. L’Union a certes été la première à réglementer, fixant les règles générales pour l’utilisation de la technologie, mais elle n’a pas du tout été aussi rapide et efficace dans la mise en œuvre des investissements nécessaires pour faire jeu égal avec la Chine et les Etats-Unis et rester dans la course.

Des dizaines de milliards d’euros de retard

La Cour des Comptes estime que « sur le plan de l’investissement global dans le domaine de l’IA, l’écart entre les États-Unis et l’UE a plus que doublé entre 2018 et 2020 », ajoutant que « pour l’UE, la course mondiale aux investissements dans l’IA est pavée d’obstacles. Depuis 2015, les investissements en capital-risque sont inférieurs à ceux des États-Unis et de la Chine, les deux autres régions du monde à la pointe dans ce secteur. » Les chiffres ne sont pas tout récents, mais donnent la mesure des retards accumulés en Europe : alors qu’ils avaient déjà mobilisé plus de dix milliards par an en 2016 et 2017, entre 2018 et 2020, les Etats-Unis ont investi plus de 44 milliards d’euros dans l’IA. Face à cela, les 27 Etats membres n’ont mobilisé que 22 milliards. Et il est à craindre que ce fossé ne se soit creusé encore depuis.

Les plans pour l’IA adoptés en 2018 et en 2021 par la Commission européenne sont complets et globalement conformes aux bonnes pratiques internationales. Mais plus de cinq ans après le premier plan, le cadre européen de coordination et de réglementation des investissements de l’UE dans l’IA est encore en chantier et la coordination de la Commission avec les États membres n’a eu que « peu d’effets ». Il manque un système de suivi pour piloter les investissements dans l’IA, et l’Union souffre « d’une absence totale de vue d’ensemble à l’échelle européenne ».

Par ailleurs, les infrastructures financées par l’UE – installations d’essai, espaces de données ou plateforme d’IA à la demande – ont tardé à démarrer. Les plans pour l’IA n’ont jusqu’à présent donné lieu qu’à un modeste soutien européen en capital (comme des financements en capitaux propres) aux innovateurs, souligne la Cour, qui ajoute que les mesures prises récemment par l’UE pour bâtir un marché unique des données n’en sont encore qu’à leurs débuts et ne permettent pas, pour l’instant, de stimuler les investissements dans l’IA.

Cinq recommandations

La Cour des Comptes, face à ce constat, émet donc cinq recommandations, destinées à la Commission européenne :

  • réévaluer l’objectif d’investissement de l’UE en faveur de l’IA et convenir avec les États membres des modalités de leur contribution;
  • évaluer le besoin d’un instrument de soutien en capital financé par l’UE axé sur les PME innovantes dans le domaine de l’IA;
  • veiller à ce que les infrastructures d’IA financées par l’UE fonctionnent de manière coordonnée;
  • marquer les dépenses en faveur de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’IA dans l’ensemble du budget de l’UE, définir des objectifs et des indicateurs de performance et suivre régulièrement les progrès réalisés;
  • et intensifier l’action de soutien de la Commission à l’exploitation des résultats de la recherche dans le domaine de l’IA financée par l’UE.
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