De petits centres de données belges bravent les géants américains

Un centre d'hébergement de LCL, qui en possède trois : à Bruxelles, Alost et Anvers. © RANKY VERDICKT

Les centres de données sont l’épine dorsale de notre économie numérique. Ils accueillent la plupart de nos sites internet, applis et services en ligne. Quelques centres belges parviennent à tirer leur épingle du jeu.

Des rangées de serveurs, semblables à des ordinateurs sans écrans, se succèdent à perte de vue. Ils se comptent par milliers et bourdonnent en permanence. Voici le coeur de notre économie numérique : des centres de données comme celui-ci, qui constituent la base de la plupart des services en ligne, ce qu’on appelle communément le cloud. Mais contrairement à ce qu’on croit souvent, les data centers ne sont pas le terrain de jeu exclusif de géants américains comme Amazon ou Google, même si ceux-ci dominent le marché mondial. Au niveau local, des acteurs plus petits se taillent une part du marché. En Belgique, ces entreprises doivent cependant faire face à de nombreux défis, comme le manque d’économies d’échelle, la concurrence étrangère et les prix de l’énergie en Belgique.

Frederik Poelman, cofondateur de la société d’hébergement Combell, est parfaitement au courant du rôle clé joué par les data centers dans notre monde numérique. Combell, qui fait tourner des sites internet, est probablement l’un des plus grands utilisateurs de centres de données en Belgique. ” Ils sont le point de départ de nos activités, affirme-t-il. Une panne de courant chez eux et notre réseau n’est plus accessible. ”

Des centres de données publics

” Pour nous permettre de servir tous nos clients, il nous faut un équipement énorme, installé dans un endroit sûr et climatisé. Un centre de données professionnel est vraiment un must pour nous “, poursuit Frederik Poelman. Combell compte principalement sur ce qu’on appelle des centres de données publics. Ouverts à tous, ce sont des sortes d'”hôtels” de serveurs. Le pays compte aussi des centres de données privés, comme ceux exploités par les opérateurs télécoms ou le centre de données de Google, établi non loin de Mons.

LCL est l’un des principaux fournisseurs de ce type d’hébergement de données en Belgique. L’entreprise en possède trois : à Bruxelles, Alost et Anvers. Une équipe de 23 collaborateurs opère sur les trois sites, pour un chiffre d’affaires annuel de 10 millions d’euros. LCL travaille pour une longue liste de clients, parmi lesquels Combell, mais aussi des institutions publiques, de grandes multinationales et des PME. ” Nous ne fournissons pas de services IT, précise Laurens van Reijen, managing director de la société. Mais nous pouvons donner des conseils. Comme la plupart des centres de données, nous n’hébergeons pas directement les sites web, mais les serveurs sur lesquels ils tournent. ”

D’après le managing director, la grande tendance aujourd’hui est l’économie d’échelle. ” Ce marché exige des investissements énormes. A Alost, par exemple, nous avons investi 15,5 millions d’euros en capacité supplémentaire pour nos clients. A terme, seuls les grands centres de données survivront. Les plus petits acteurs perdront de leur importance. Nous allons vers une consolidation du secteur. ”

” Cloud ” hybride

En attendant, les petits acteurs sont toujours là, et peuvent aussi faire de bonnes affaires. C’est ce que déclare Friso Haringsma, managing director de Datacenter United, une entreprise qui exploite deux centres de données et emploie huit personnes. ” Tout ce qui est numérique passe par un centre de données, entame Friso Haringsma. Dans les nôtres, vous trouverez tout, des serveurs de messageries et sites web aux solutions SaaS ( logiciel en tant que service, Ndlr). ”

Datacenter United surfe sur une tendance commerciale qui gagne en importance. ” Avant, chaque entreprise avait son serveur en ses murs, explique Friso Haringsma. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à le déplacer vers des centres de données externes. ” La quasi-totalité du secteur belge des data centers s’appuie sur cette tendance pour son expansion.

Dans cette course, les géants américains du cloud comme Amazon, Microsoft et Google font bien sûr concurrence aux acteurs locaux. Mais Friso Haringsma ne s’en inquiète pas : ” Les grands acteurs élargissent le marché. C’est aussi grâce à eux que les entreprises commencent à réfléchir à la gestion de leurs données et à envisager le cloud. Or, quand elles franchissent le pas, ces entreprises ne se tournent pas forcément vers les géants américains. Car l’avantage d’un centre local, c’est que vous savez où sont vos données. On assiste même aujourd’hui à la croissance d’un cloud hybride : les entreprises placent une partie de leurs données sur le cloud public des grands acteurs et confient leurs systèmes sensibles aux centres de données locaux “.

De petits centres de données belges bravent les géants américains
© FRANKY VERDICKT

Double service

Unix-Solutions fait partie de ces acteurs de moindre envergure qui affichent une belle croissance. Avec ses neuf collaborateurs, l’entreprise gère deux centres de données, à Zaventem et Louvain. Steven Bens, ancien employé du réseau social belge Netlog, est son fondateur. ” Adolescent, je bricolais sur des serveurs et des réseaux, pour le plaisir, raconte-t-il. J’ai beaucoup appris sur le tas. A 19 ans, je lançais Unix-Solutions en tant qu’indépendant complémentaire, tout en travaillant pour Netlog comme administrateur système et réseau. Cette expérience m’a beaucoup appris. Dans les pics d’activité, nous gérions plus de 2.000 serveurs. ”

Steven Bens a finalement quitté Netlog pour se consacrer entièrement à Unix-Solutions. Contrairement à LCL et Datacenter United, l’entreprise propose aussi bien des services que de l’hébergement. Vous pouvez placer votre serveur chez Unix-Solutions, mais vous pouvez également leur confier directement l’hébergement de votre site. ” Pour un petit acteur comme nous, le fait de gérer à la fois l’infrastructure des centres de données, le cloud et l’hébergement, est assez exceptionnel, explique son patron. Cela nous rend très flexibles. Nous offrons tout, de A à Z, en gestion propre. Nos clients ont un seul point de contact pour toute question ou problème. Puisque nous proposons tout nous-mêmes, nous éliminons les parties de ping-pong entre différents fournisseurs. ”

Prix de l’énergie

Reste que dans notre pays, le secteur des data centers doit pourtant faire face à des défis bien spécifiques. Le consultant Peter Witsenburg, cofondateur de la communauté Belgium Cloud, explique : ” La Belgique est plutôt un mauvais élève comparée à ses voisins. Nous comptons environ 36 centres de données publics, les Pays-Bas en ont 200. Même le Luxembourg, qui est beaucoup plus petit, en possède déjà 16 “.

Cet écart s’explique par des facteurs tels que la présence de noeuds internet où convergent de grandes quantités de câbles de fibre optique. Amsterdam est la destination finale d’un certain nombre de câbles internet sous-marins, ce qui en fait un emplacement idéal pour des centres de données. Mais c’est aussi une question de politique. ” Notre énergie est trop coûteuse et incertaine, explique Peter Witsenburg. L’électricité représente un coût gigantesque pour les centres de données. En raison de multiples taxes, le prix de l’énergie est très élevé en Belgique. En hiver, plusieurs blackouts énergétiques ont également été annoncés, ce qui est très mauvais pour les centres de données. Cela signifie qu’ils doivent en permanence prévoir leur propre énergie, un investissement élevé qui rapporte peu. ”

Voilà pourquoi les centres de données belges essaient d’être le plus efficaces possibles sur le plan énergétique, en misant aussi sur le développement durable. ” A Zaventem, nous collaborons avec la commune à l’aménagement d’un nouveau réseau de chauffage dans notre parc industriel, confie Steven Bens. Nous faisons office de chaudière pour les entreprises et bâtiments voisins en les chauffant avec notre chaleur excédentaire plutôt que de la rejeter dans l’air. Nous voulons également investir dans d’autres technologies, installer, par exemple, des panneaux solaires sur nos centres de données. Nous étudions encore d’autres options durables mais pour le moment, elles ne fournissent pas suffisamment d’énergie. ”

Malgré ces défis, même Peter Witsenburg se montre positif quant à l’avenir, tout en restant prudent : ” On constate une tendance à placer davantage d’applications dans le cloud. Je prévois une croissance régulière, mais il ne faut pas non plus espérer le double ou le triple “. ” Notre secteur enregistre chaque année une croissance de 10% dans le monde, déclare Laurens van Reijen. Peu de secteurs peuvent se targuer d’une telle performance. ”

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