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Comment l’Europe peut reprendre son avenir technologique en main

Pourquoi le Google de demain ne serait-il pas européen ? Trois propositions pour que l’Europe reprenne son avenir technologique en main.

Avec nos smartphones, nos appareils connectés, nos ordinateurs, nous laissons derrière nous un nombre inimaginable de données. Ces informations personnelles et confidentielles nourrissent et font prospérer Google, Facebook et les géants de la technologie et sont devenues un enjeu majeur. Enjeu économique, enjeu politique, enjeu stratégique, civilisationnel, car c’est finalement notre vie privée, notre mode de vie et notre identité qui est menacée.

La reconnaissance faciale permet de nous identifier à notre insu, les données de géolocalisation transmises en permanence par notre smartphone permettent de nous suivre à la trace, les algorithmes et les systèmes d’intelligence artificielle prédisent nos choix, défient notre libre-arbitre, menacent notre système démocratique. Mais où est l’Europe dans cette grande mutation technologique ?

Les entreprises européennes ont été absentes lors de la première grande vague digitale, qui a vu l’émergence des grandes plateformes numériques aux Etats-Unis (les GAFA) et en Chine (les BATX). Et aujourd’hui, alors qu’une seconde vague se prépare, mettant en jeu l’intelligence artificielle, l’internet des objets, le big data et, dans un avenir plus ou moins proche, les ordinateurs quantiques, nous ne voyons toujours pas de géants européens émerger. Sommes-nous condamnés en Europe à être un continent vassal, qui ploie le genou devant un suzerain chinois ou américain ? Et comment assurer alors la protection de notre identité digitale à l’heure où les fuites et les piratages de données – enregistrées en Chine ou aux Etats-Unis, se multiplient.

Faudra-t-il recourir à la chirurgie faciale si, un jour, un pirate dérobe les données de reconnaissance faciale qui vous permettent d’avoir accès à votre compte bancaire et qui sont liées à votre passeport ? Alors que la Commission européenne vient de publier son livre blanc sur l’intelligence artificielle, voici trois propositions pour faire émerger, dans l’Union européenne, les Google, les Facebook, les Huawei de demain avec un modèle d’entreprise davantage respectueux de nos valeurs et de notre vie privée.

1. Constituer un intranet européen. Créer un réseau de secours au niveau européen en cas de gel, en raison d’une attaque ou d’une panne, de l’internet mondial est indispensable. Nous ne pouvons pas courir le risque d’une paralysie d’internet. La création d’un intranet européen est également une réponse à une question stratégique majeure : aujourd’hui, internet est de facto contrôlé par des acteurs Américains. On observe d’ailleurs que récemment, la Chine et la Russie ont créé chacune leur intranet afin de préserver leur indépendance. Si l’internet mondial est bloqué, toutes nos activités dans le domaine économique, social, de santé, de la défense, de la production d’énergie ou des transports, tous dépendants des données, seront bloqués et soumis aux dictats et aux aléas extérieurs à l’UE.

2. Répondre au défi que constitue la violation de notre vie privée. Les business models des géants du numérique (qui capturent nos données personnelles afin de vendre à des entreprises des services, notamment de la publicité) continuent de poser question. Malgré des règlements plus contraignants, nos données personnelles continuent d’être utilisées sans que nous en ayons conscience. A cela s’ajoutent les multiples défis posés par l’extension de la reconnaissance faciale comme système privilégié d’authentification. Plusieurs mesures sont indispensables pour conjurer ces dangers qui viennent menacer notre identité et notre liberté. L’Union européenne devrait rendre obligatoire le partage des données en faveur de l’UE par les géants technologiques étrangers, lorsqu’ils accèdent aux consommateurs de l’UE. Ces géants du numériques devraient également être obligés de rendre anonymes, lorsqu’ils les exportent, les données provenant de consommateurs européens. Et afin de réduire les risques de vol d’identité, un système plus contraignant d’identification, , devrait être mis en place. Un fonds d’assurance, financé par l’industrie du net et destiné à indemniser les victimes de ces vols d’identité numérique, devrait également être constitué au niveau européen.

3. Mettre en place une série de programmes destinés à soutenir l’industrie digitale européenne. On a souvent critiqué l’absence de géants du numérique d’origine européenne. Un ensemble de programmes européens pourrait aider à combler ce retard. Ces programmes devraient soutenir la R&D, favoriser l’échange de chercheurs, aider à la constitution de “hubs” dans les régions les plus propices à développer ce type d’industries et orienter les investisseurs vers ces nouveaux projets européens…

Pour l’Europe, l’enjeu de se positionner sur ces sujets est crucial. Certes, l’UE est déjà entrée dans le jeu en mettant en place des réglementations, comme le RGPD, qui renforcent notre vie privée. Mais ce n’est pas suffisant. L’UE doit être à la pointe d’un autre modèle économique qui ne soit plus basé sur la dissémination et la monétisation de nos données personnelles par des géants technologiques très peu soucieux de garder notre anonymat. Ce nouveau modèle sera seul le gage de la capacité à être concurrentiels dans un monde qui court vers la digitalisation massive avec l’adoption de la 5G, de l’Internet des Objets, et de l’Intelligence Artificielle en général. Et il sera surtout le seul gage de notre liberté future.

Pierre Pozzi Belforti

Investisseur en Venture Capital à la Silicon Valley

Professeur invité, Executive Mastère Digital Humanities, Sciences Po Paris

Professeur invité, Inside Venture Capital et Membre du Jury “Start-Ups XHEC” auprès de HEC Paris

Professeur, Executive Program Solvay Business School Bruxelles

Email : pprb@worldstoneventures.com

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