Bcheck, “spin-off” de Luminus: sortir d’un grand groupe pour se lancer en mode start-up

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Une idée qui grandit dans le giron d’une entreprise avant d’en sortir pour voler de ses propres ailes, c’est l’histoire de bcheck. La start-up de surveillance prédictive de chaudières a récemment quitté Luminus, où elle avait vu le jour. Récit.

” Je me demande toujours ce que nous sommes : une spin-off ? Une spin-out ? Nous avons été des intrapreneurs et nous sommes à présent à 100% entrepreneurs, avec le saut dans le vide que cela implique “, considère Jacques Bolzer, CEO de bcheck.

A partir de quelques capteurs positionnés sur les tuyaux de la chaudière, le système développé par la start-up lit les données et formule une analyse prédictive garantissant le bon fonctionnement de l’installation. ” Une solution de monitoring accessible, universelle et facile à déployer, qui permet d’éviter les mauvaises surprises pour le confort et pour le portefeuille des clients, à la fois propriétaires, gestionnaires d’immeubles, mais aussi assureurs et installateurs “, explique celui qui est entré chez EDF Belgique en 2009, alors que l’entreprise française s’implantait en Belgique et avait la taille d’une start-up. ” Par la suite, l’entreprise française a racheté et fusionné avec Luminus et j’ai rejoint la division innovation. Là, nos discussions nous menaient toutes à la même conclusion : le point à améliorer, c’était le service autour de la réparation des chaudières. Les chaudières lâchent toujours en plein hiver, quand les sociétés de maintenance sont débordées. Dès janvier 2017, j’ai travaillé avec des collègues sur la mise en place du futur incubateur #Next au sein de Luminus, et sur les premiers projets qui y entreraient. Au cours d’un petit meeting destiné à présenter #Next et son premier projet, destiné à la maintenance prédictive des chaudières, nous avons été approchés par Eric Dirix, alors responsable de la salle d’impressions à Hasselt. Ce dernier nous est revenu la semaine suivante avec un prototype qu’il avait élaboré avec son fils durant le week-end. ” C’était le premier contact avec celui qui est devenu par la suite cofondateur de bcheck.

Un cadre de chez Luminus occupe encore un siège du conseil d’administration de bcheck, aux côtés de finance.brussels et des cofondateurs.

” Après avoir pu tester notre produit pendant six mois auprès de 200 clients pilotes et découvert que les chaudières se mettaient à nous livrer des informations, nous avons présenté nos premiers résultats devant notre conseil d’administration, qui nous a alors demandé comment nous envisagions la suite. Pour nous, c’était évident : à terme, nous devrions prendre notre indépendance par rapport à Luminus pour se donner les chances de démarrer “, estime Jacques Bolzer. Et ce pour plusieurs raisons. La première, c’est le marché : très vaste, il comporte beaucoup d’acteurs. Ensuite, il était important que bcheck se présente comme indépendant de tout groupe, sans étiquette. Enfin, nous sommes dans de l’innovation disruptive, loin des métiers traditionnels de Luminus.

L'équipe de bcheck. Eric Dirix, Pieter Dirix et Jacques Bolzer.
L’équipe de bcheck. Eric Dirix, Pieter Dirix et Jacques Bolzer.© PG

“Il fallait quitter Luminus, mais comment ?”

S’affranchir de la maison mère devait permettre à bcheck de lever des fonds, mais aussi de limiter le risque pour Luminus qui avait investi jusqu’à cette phase. ” En juillet 2018, nous avons présenté le projet au stade auquel il se trouvait, en toute transparence, au comité d’investissement de Luminus. Un mois après, l’entreprise donnait son feu vert pour que bcheck prenne son envol “, explique Jacques Bolzer à qui Luminus avait confié le rôle de CEO avec pour mission principale de trouver des clients payants, afin de démontrer que l’entreprise pourrait vivre en étant indépendante de la maison mère.

” Nous laisser partir n’était pas une décision facile à prendre et pour cela je tire mon chapeau à Grégoire Dallemagne. Il a favorisé l’innovation, là où beaucoup d’acteurs corporate auraient bloqué, détaille Jacques Bolzer. Entre la décision et le moment où nous sommes officiellement sortis de Luminus, neuf mois se sont écoulés. Certes, nous nous détournions un peu de notre core business, mais c’était nécessaire pour donner naissance à la structure de l’entreprise telle qu’elle est. Enfin, en mars 2019, bcheck a obtenu l’aval pour sortir de Luminus. Tout a été très vite, la start-up a pu boucler sa levée de fonds de 1,1 million d’euros auprès de finance.brussels et lancer l’industrialisation de son produit. ”

Désormais, bcheck évolue comme une entreprise tout à fait indépendante. Un cadre de chez Luminus occupe encore un siège du conseil d’administration, aux côtés de finance.brussels et des cofondateurs. ” Nous leur rapportons uniquement sur la rentabilité et les objectifs, comme tout administrateur lors du conseil d’administration. Jusqu’à présent, tout se passe de manière extrêmement saine. Luminus n’a jamais fait montre d’ingérence et nous jouissons d’une grande et vraie liberté. Nos clients nous demandent souvent quel est le rôle de Luminus, et nous pouvons répondre avec transparence “, détaille Jacques Bolzer.

Si c’était à refaire ?

” Si c’était à refaire, je choisirais exactement la même formule pour entreprendre, explique Jacques Bolzer. La manière dont Luminus a abordé ce cas peut être prise en exemple. Tout d’abord, nous avons disposé de moyens financiers, certes contrôlés, mais qui nous ont donné la capacité d’aller plus vite, tout en prenant moins de risques que si nous étions partis de zéro. Par ailleurs, le fait d’être intégré au programme Startit X de KBC, réservé aux entreprises qui veulent faire de l’innovation, nous a facilité l’accès à de nombreuses ressources. Par exemple, j’ai pu y trouver en un jour quelqu’un pour faire les premiers mock-up de l’application. Dans un environnement corporate, cela aurait pris plus de temps. Et puis, nous jouissions d’une grande liberté ainsi que d’un accompagnement pour la mise en oeuvre de notre idée. Notre conseil de direction comprenait un référent de chaque métier de l’entreprise (finance, trading, sales, IT, etc.), suffisamment expérimentés et seniors pour avoir des moyens de levier. Nous avons pu compter sur un solide réseau en interne. Si on avait été seuls, tout aurait pris beaucoup plus de temps. ”

Evidemment, ce ne fut pas facile tous les jours. ” Par exemple, comme toute entreprise qui démarre, on avance vers nos objectifs avec certaines incertitudes ; tout peut changer sur la route, confie Jacques Bolzer. Pourtant, en parallèle, on fait face à une attente de résultats de la part du corporate qui n’a pas forcément de vue sur tout le travail qu’on abat. Du coup, on se trouve souvent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête – ou du moins le sentiment d’en avoir une – car on se dit que, si on ne livre pas de résultats probants, le projet va être arrêté. C’est parfois frustrant : de l’intérieur, on a l’impression qu’on avance bien, alors que de l’extérieur on peut avoir l’impression qu’on patine. Parfois, quand je regarde en arrière je me dis ‘pourquoi n’a-t-on pas été plus vite pour ceci ou cela ? ‘ En réalité, vu que nous dépendions d’une structure corporate, nous devions rendre des comptes, demander du budget, etc. ”

Il y a en outre le challenge lié à la gestion des équipes : les profils recrutés ne sont pas toujours prêts pour l’entrepreneuriat. ” Pour certains, le ‘poids’ du corporate pèse sur les réflexes ; par exemple, quand ils ont une idée, ils ont tendance à abandonner la précédente pour s’y consacrer au lieu de tout explorer en parallèle. Ils étaient un peu perdus au départ et ont mis des mois à changer de philosophie. Pour d’autres, cela s’est fait tout seul “, analyse Jacques Bolzer.

” Une des différences entre le travail en milieu corporate et l’entrepreneuriat ou l’intrapreneuriat, c’est qu’on ne décroche jamais. Notre projet nous hante 100% du temps. En définitive, comme tous les entrepreneurs, on est sur des montagnes russes, on oscille entre la grosse satisfaction et les moments d’incertitude, on regarde le cash, on se dit ‘on brûle trop’, puis on a des ventes qui arrivent, etc. Bref, on est devenus de vrais entrepreneurs, avec les mêmes stress que les autres, sourit Jacques Bolzer. Pouvoir bénéficier de ce tremplin a été fantastique. ”

Challenges futurs

Le CEO de bcheck, qui estime n’avoir ” jamais été aussi heureux et épanoui que maintenant “, se concentre désormais sur les ventes. ” L’important à présent, c’est d’équiper un maximum de chaudières pour que, grâce à la prédictivité et la surveillance à distance, le gain environnemental soit significatif “, ambitionne l’entrepreneur dont les clients actuels et prospects sont en majorité les grosses sociétés de maintenance, les logements sociaux, etc. ” Tous nos partenaires du secteur de la maintenance pour les collectivités sont enthousiastes : des chaudières industrielles qui lâchent, c’est l’horreur ! Et pouvoir réduire ce risque en les rendant intelligentes grâce à un système simple, universel et pas cher, permettant une surveillance autonome en temps réel, c’est vraiment disruptif. ”

“D’employés à entrepreneurs en très peu de temps”

” Dans notre programme d’intrapreneuriat Start it X, nous immergeons littéralement les intrapreneurs dans un monde de start-up, commente Lode Uytterschaut, CEO de l’accélérateur Start it@KBC. Start it X aide les entreprises et les grandes organisations à innover “en faisant”. Le programme est souvent très confrontant pour les intrapreneurs qui sont encouragés et stimulés à penser complètement différemment, loin de la manière de travailler par projet du monde corporate. Dès le début, nous avons vu que l’équipe de bcheck avait une énorme volonté de transformer son innovation en entreprise. Ils sont passés d’employés à entrepreneurs en très peu de temps. Nous les avons mis au défi et coachés, accélérant leur validation marché, prototyping, vente, stratégie go to market et tactiques de funding. Ils ont vraiment traversé une transformation remarquable. ”

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