Start-up : le pouvoir entre les mains des investisseurs ?

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Perte de revenus, frais fixes qui continuent de tourner, investisseurs qui se recentrent sur leurs participations et se montrent frileux, montants levés réduits et valorisations en berne. Le microcosme des start-up belges craint la crise : la majorité des jeunes pousses n’aurait pas plus de six mois de cash en réserve. Cette crise sonne-t-elle la fin de l’âge d’or des start-up belges ?

Incertitude. Voilà le terme le plus adéquat pour évoquer la situation économique actuelle. Et tout particulièrement dans l’univers des start-up. Comme toutes les PME, les start-up du numérique subissent la crise de plein fouet. Pas mal d’entre elles sont aujourd’hui à l’arrêt ou presque : les plateformes qui mettent en relation physique les internautes, les e-commerces non alimentaires ou des services aux PME, entre autres, tournent au ralenti.

Vu leur statut de jeunes pousses en croissance – voire en quête d’un modèle et sans disposer de vrais revenus -, les start-up comptent parmi les boîtes les plus fragiles, même si elles promettent une belle croissance. Il n’est pas rare qu’elles se construisent sur la base des levées de fonds auprès d’investisseurs avant de pouvoir vraiment tourner grâce à leur propre business. En début de semaine passée, l’écosystème belge des start-up s’est fédéré dans l’urgence pour lancer un appel au secours, très rapidement signé par plusieurs centaines de jeunes pousses. ” Nos start-up et scale-up doivent faire face à un challenge qui menace leur existence : un problème urgent de liquidités. Plus de la moitié des start-up ayant un runway d’environ six mois, les problèmes de liquidités impacteront très prochainement la compétitivité de nos start-up et scale-up, actives dans un environnement mondialisé en constante évolution. Cela pourrait mener à une dissolution quasi-totale de l’écosystème start-up belge “, pouvait-on lire dans leur argumentaire. Inquiétant.

Les bons projets, les plus solides, et les mieux dirigés, feront le dos rond et passeront au travers de la crise. ” Thibaut Claes (W.IN.G.)

Pourtant, même s’ils ont été des centaines à signer l’appel à l’aide au gouvernement ( lire l’encadré intitulé ” L’appel au secours des start-up “), très peu d’entrepreneurs de start-up sont prêts à témoigner de leurs difficultés. ” Le risque serait de faire fuir les clients et de refroidir les investisseurs, nous glisse l’un d’entre eux, pourtant très en vue. Cela précipiterait encore plus les activités vers le bas… ” Le sujet est touchy.

Par contre, quand on les interroge à découvert, la plupart font bonne figure. Sans doute parce que la crise ne les a pas encore obligés à aller puiser dans leurs réserves. Pour l’instant, ” on ne voit pas de gros drame parmi les boîtes que l’on a en portefeuille, avance Thibaut Claes, investment manager à W.IN.G by Digital Wallonia. Quelques-unes pourraient être plus en difficulté si le confinement et la crise durent un peu trop longtemps, mais généralement elles ont de quoi tenir quelques mois. Et toutes ne voient pas leur business totalement à l’arrêt. ”

Préparer l’après

C’est, par exemple, le cas de BePark, scale-up bruxelloise spécialisée dans la mise à disposition de places de parking. Son CEO et fondateur, Julien Vandeleene, reconnaît un léger tassement des besoins en parking, notamment dans le B to B, mais fort d’une levée de fonds à 3 millions d’euros en novembre 2019, il a décidé de ne mettre aucun membre de son équipe en chômage technique. Tous les départements continuent de fonctionner ” en remote ” : la finance et la compta facturent, l’IT continue à développer, le marketing gère les campagnes tandis que le support client est ” assailli de boulot “, glisse Julien Vandeleene. Quoi qu’il en soit, ” on a décidé de saisir l’opportunité d’avancer sur un certain nombre de projets pour être prêts au moment de la sortie de confinement “, précise le patron de BePark. ” Nous avons l’avantage d’être sur un modèle d’abonnement, ce qui nous permet de ne pas trop souffrir, pour autant que la situation ne dure pas trop longtemps. ”

Simon Alexandre,
Simon Alexandre, ” general manager ” de The Faktory ” Il est évident que les investisseurs se montreront bien plus sélectifs dans un contexte moins favorable. “© PG

Se préparer à la sortie de confinement, même si personne ne sait combien de temps cela durera, c’est aussi la stratégie de Listminut. Pour cette plateforme qui met en relation des internautes et des prestataires de service, l’activité est quasi à l’arrêt. Logique : très peu de services sont encore réalisés par l’intermédiaire de la plateforme pour le moment. ” Le but, aujourd’hui, souligne Jonathan Schockaert, CEO et cofondateur de Listminut, consiste à tout faire pour être prêts pour la reprise. Outre le chômage temporaire que l’on a dû mettre en place pour une bonne partie de l’équipe, nous avons évidemment décidé de mettre à l’arrêt toutes les campagnes d’acquisition de clients et de stopper les processus de recrutement. ” Pour le patron, la survie de Listminut à court terme n’est pas remise en question. Mais c’est aujourd’hui qu’il faut ” prendre les mesures adéquates et regarder sur le moyen et long terme, insiste-t-il. Sinon les conséquences pourraient être plus importantes. ”

” Il nous reste moins de deux mois ”

A ce titre, toutes les start-up ne sont pas logées à la même enseigne. Les start-up naissantes ou celles qui arrivaient à bout de leurs réserves de cash se trouvent dans des situations bien moins confortables. ” En tant qu’entrepreneur, j’ai vécu le krach de 1987, puis celui de 2000 et celui de 2008… Au vu de ce qui remonte de toutes nos start-up, ça va piquer fort, beaucoup plus fort. ” Ce tweet posté par Marc Simoncini, entrepreneur emblématique de la tech française (Meetic) et aujourd’hui investisseur, en dit long sur les craintes de la situation qui se dessine.

Pour ce CEO de start-up typiquement construite sur une vision d’hyper-croissance soutenue par du capital à risque, la crise du Covid-19 a d’ores et déjà été dramatique. ” Nous étions en processus de levée de fonds pour plusieurs millions d’euros, nous glisse-t-il tout en insistant pour ne pas être cité nommément afin de ne pas porter préjudice à son business. Tout était prêt pour signature début avril : terms sheets, négociation sur la valorisation, etc. Mais le venture capitalist (VC) principal a reporté son investissement dès l’arrivée de la crise. Résultat ? Il nous reste du cash jusque fin mai seulement… et une équipe de plus de 20 personnes. Du coup, nous reportons le lancement de notre produit et gelons l’ensemble des dépenses sauf les salaires, que tout le monde a accepté de baisser. Mon défi actuellement consiste à convaincre les business angels existants de continuer à nous soutenir. Si j’obtiens 20% des montants que l’on espérait lever, je serais content. Pour tenir quelques mois de plus et développer notre concept hyper prometteur. Mais à ce stade, je dirais qu’on a 50% de risque de ne pas y arriver. ”

Frank Maene, gestionnaire du fonds Volte Venture
Frank Maene, gestionnaire du fonds Volte Venture ” Les VC suivent généralement les tendances des marchés. Et comme ils descendent de 30 à 40%, cela se remarque aussi dans le créneau des start-up. “© C.C.

Un écrémage dans l’univers start-up ? C’est inévitable, nous glissent plusieurs observateurs, dont Pierre Hermant, le patron de Finance&Invest Brussels, également impliqué dans le groupe d’experts qui planchent pour le gouvernement sur les mesures économiques à prendre : ” L’écrémage qui, par nature, est toujours élevé dans l’univers start-up, aura effectivement lieu aussi en raison de la crise, glisse-t-il. Et il sera peut-être important dans cet écosystème. L’important, c’est évidemment de sauver les boîtes qui ont le plus haut potentiel. Nous sommes dans une situation de médecine de guerre où tout le monde ne pourra pas être sauvé. ”

Réduire drastiquement les dépenses

Pour l’instant, le mot d’ordre global est très clair : gérer la trésorerie. ” C’est bien connu, cash is king, réagit Simon Alexandre, general manager du fonds liégeois The Faktory. Il faut bien maîtriser les coûts, être prudent sur les dépenses et ne pas rouler aussi vite qu’avant la crise. ” Ce serait le moment d’être le plus capital efficient possible, soulignent les investisseurs professionnels. Comprenez : utiliser au mieux l’argent à disposition. ” Il faut évidemment travailler fortement sur les coûts, concède Mathieu de Lophem, aujourd’hui à la tête de Skipr, start-up dans le domaine de la mobilité et ancien dirigeant de Deliveroo en Belgique. Chez Skipr, cela se traduit par l’arrêt des activités marketing, par la mise au chômage temporaire partiel les équipes, la réduction de la rémunération du management, la renégociation des loyers, etc. Tous les leviers de réduction de coûts possibles ont été actionnés. ” Et d’admettre que sa jeune pousse dispose de réserves de cash pour tenir quelques mois, malgré une baisse de 80% de l’utilisation de sa plateforme de mobilité. ” Il n’y a pas péril en la demeure, mais je ne suis pas non plus dans une situation hyper confortable où je pourrais laisser tourner la boîte comme si rien ne se passait. ” Car il ne s’en cache pas : Skipr est en levée de fonds depuis quelques mois. Un processus qui a pris du retard mais qui devrait aboutir, ” dans les semaines qui viennent “. Les candidats investisseurs ne semblent pas refroidis et continueraient de montrer leur enthousiasme dans le projet de la start-up. Peut-être aussi rassurés par la présence du groupe D’Ieteren derrière Skipr.

Tornade sur le marché du ” funding ”

Pourtant, la crise sans précédent que l’on rencontre actuellement pourrait bien avoir l’effet d’une tornade sur le marché du financement des start-up. ” En quelques semaines, le marché du funding est passé du côté des entrepreneurs à celui des investisseurs “, observe Frank Maene, gestionnaire du fonds Volta Ventures. Comprenez qu’en peu de temps, les entrepreneurs ne sont plus en position de force lorsqu’ils viennent négocier avec les investisseurs. Ces derniers sont ” moins ouverts pour le moment à découvrir de nouveaux projets, admet Frank Maene. Beaucoup ont tendance à s’occuper de leur portefeuille existant pour soutenir les start-up dans lesquelles ils ont déjà investi. Sauf dans le cas des nouveaux fonds qui doivent encore prendre des parts dans des jeunes pousses “. Mais nul doute qu’ils se montreront plus frileux. ” Qu’il s’agisse des business angels ou des investisseurs pros qui alimentent les venture capitalists, on imagine que tous ont essuyé des déconvenues boursières, observe Thibaut Claes, investment manager pour le fonds W.IN.G. Et ils vont inévitablement se montrer plus prudents étant donné les nombreuses incertitudes. ”

Pierre Hermant, patron de Finance&Invest Brussels
Pierre Hermant, patron de Finance&Invest Brussels ” L’important, c’est évidemment de sauver les boîtes qui ont le plus haut potentiel. Nous sommes dans une situation de médecine de guerre où tout le monde ne pourra pas être sauvé. “© BELGAIMAGE

” Il est évident que tous les investisseurs se montreront bien plus sélectifs dans un contexte moins favorable tel qu’on l’attend dans les 18 ou 24 mois à venir, confirme Simon Alexandre, de The Faktory. Sur pas mal de dossiers en cours, il faut forcément réévaluer les business plans présentés, sur la base de leur secteur, des différentes hypothèses de marchés et les projections sur leurs clients qui, eux-mêmes, seront impactés par la crise. ”

Baisse des montants et des ” valos ”

Résultat pour les boîtes techs actuellement en levée de fonds ? ” On observe déjà, non seulement une baisse des possibilités de montants levés mais aussi une sérieuse correction sur les valorisations, constate un expert du secteur, pouvant aller jusqu’à 50% de diminution. ” Surtout du côté des investisseurs privés. ” Les VC suivent généralement les tendances des marchés, reconnaît Frank Maene. Et comme ils descendent de 30 à 40 %, cela se remarque aussi dans le créneau des start-up. ” Ce qui s’explique mathématiquement également. ” Une valorisation de start-up s’effectue souvent sur la base du chiffre d’affaires actuel de la boîte et des perspectives de croissance à court terme, explique Thibaut Claes. Comme dans l’immédiat les perspectives ne sont pas franchement bonnes et que la visibilité sur la plus longue durée n’est pas très claire non plus, les investisseurs – privés surtout – vont limiter leurs risques, tant en diminuant les montants investis qu’en faisant baisser la valorisation. ” Ce qui, du reste, serait déjà en train d’arriver, nous glissent pas mal de connaisseurs du sujet.

Nul doute que l’avenir proche s’annonce compliqué pour pas mal de projets de start-up du numérique car même si le gouvernement prend des mesures de soutien spécifique, toutes les jeunes pousses et tous les projets ne seront pas sauvés. Entre les start-up les plus faibles (ou les plus risquées) qui rendront les armes et celles qui ne parviendront pas à passer à la vitesse supérieure faute de levées de fonds, le marché risque bien de subir la crise de plein fouet. ” Cela mettra, c’est vrai, sur le carreau pas mal de start-up dont certaines qui ont profité de l’effet de mode de l’investissement dans le secteur digital, analyse Thibaut Claes. Mais les bons projets, les plus solides et les mieux dirigés, feront le dos rond et passeront au travers de la crise. ” Cette dernière permettra, du reste, de révéler le talent d’un certain nombre d’entrepreneurs. ” La crise demande de l’agilité et permet à certaines boîtes et certains fondateurs de se distinguer grâce à leur manière de réagir, de saisir des opportunités de faire mieux et de se transformer “, insiste Pierre Hermant. Ces start-up et entrepreneurs auront eu les moyens de mettre à profit la période de confinement pour avancer sur leurs développements, pour évoluer et pour se préparer à l’après-crise… Car, comme le souligne Frank Maene, ” les meilleurs jours vont revenir, tout comme après la bulle d’Internet et après 2008… ”

L’appel au secours des start-up

” Lorsqu’une start-up/scale-up parvient à sécuriser 25% de ses besoins financiers, nous demandons au gouvernement de compléter la différence en offrant des garanties de prêts cautionnés par le gouvernement pour les 75% restants. ” La demande de l’écosystème start-up lancée au gouvernement en pleine crise Covid-19 est gourmande… et fait parfois grincer des dents. ” Les entrepreneurs en démarrage et leurs investisseurs en mode capital-risque risquent désormais de se faire une réputation d’égoïstes en défendant les vertus du capitalisme quand les temps sont favorables, mais en appelant à des ‘sauvetages socialistes’ quand le vent tourne et que leur chiffre d’affaires prévu est retardé (comme pour la plupart des autres entreprises) “, avait directement écrit Toon Vanagt, entrepreneur de start-up chevronné et figure bien connue de l’écosystème start-up. Mais parmi les instigateurs de l’appel ayant réuni un millier d’entrepreneurs (quasi tous de la tech), on insiste sur la ” situation exceptionnelle et la nécessité d’apporter une réponse forte dans un temps super court “. Et de souligner que la France, l’Allemagne et de nombreux autres pays voisins ont pris des mesures lourdes de soutien à leurs écosystèmes techs. ” Au niveau international, on risque d’arriver à une distorsion entre une start-up belge non soutenue et des concurrents européens soutenus par leur gouvernement, glisse un entrepreneur qui veut rester anonyme. Et surtout, je pense qu’il faut intervenir pour sauver un écosystème que l’on construit, y compris avec de l’argent public depuis de longues années, plus que des entreprises individuelles. Ce n’est que lorsque les start-up sont devenues des scale-up qu’elles génèrent de la valeur et de l’emploi. ” Au moment d’écrire ces lignes, la réponse politique à cet appel n’avait pas encore été faite.

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