Vendre, c’est apprendre à conter et à faire vivre à son client une “aventure dont il est le héros”

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La vente n’existe pas. Seul l’achat existe. Et l’achat lui-même n’est pas une fin en soi mais bien un moyen choisi par un client pour réaliser quelque chose de plus grand : une transformation, un changement, un projet, une quête !

Personne n’achète une formation, mais plutôt un moyen d’augmenter le dynamisme commercial d’une équipe et obtenir des résultats supérieurs à ce qu’ils sont aujour­d’hui. Personne n’achète un ordinateur, mais bien une capacité de travailler ou de se divertir avec plus d’effi­cacité, de rapi­dité que celles proposées par son outil actuel. Personne n’achète un logiciel de mainte­nance de machines-outils, mais une solution pour éviter des pannes récurrentes et de coûteux arrêts de production tout en utilisant mieux les ressources des équipes d’intervention.

Si on comprend que l’achat fait pleinement partie de ce “trajet” de transformation du client, le rôle du vendeur se redéfinit alors comme celui qui l’accompagne dans sa réalisation, au-delà de la transaction. En d’autres termes, notre client vit une “aventure dont il est le héros” et nous, vendeurs, commerciaux, sommes à la fois ses ressources, ses alliés et parfois ses mentors dans ce parcours.

Ce constat n’est pas une simple métaphore. Il recèle une des plus puissantes techniques de vente : le storytelling, la mise en drame, soit le travail de la tension que ressent le client entre d’une part sa douleur actuelle, la profondeur de la crise qu’il vit, de l’autre les dangers terribles auxquels il s’apprête à faire face, si il échoue dans son aventure et le “happy end” qui l’attend au bout de son parcours, si toutefois il prend les bonnes décisions.

Cette capacité de super narrateur, à la fois scénariste, dramaturge et acteur de second plan (le client restant toujours le héros princi­pal de son histoire) distingue les excellents vendeurs. Nous tenons aujourd’hui pour acquis que nos émotions guident inconsciemment nos décisions. Dès lors, notre capacité à activer, traduire et révéler ces émotions est déterminante. Les meilleurs commerciaux savent tendre l’arc narratif du client entre la crise et sa résolution, en se présentant, au passage, comme le meilleur allié dans cette quête.

Concrètement, comment s’y prennent-ils ?

Tout d’abord ils parviennent à faire s’exprimer les douleurs qui fondent les besoins au lieu de se contenter d’entendre la demande. Un client qui s’engage dans un achat significatif cherche à changer quelque chose, très souvent mu par le désir de faire cesser une insatisfaction. Trop prompts à proposer des solutions pertinentes et qualitatives, de nombreux vendeurs passent à côté de l’occasion d’amener le client à mettre des mots sur la situation qu’il vit, la lui faire exprimer puis reprendre verbalement son ressenti en termes forts.

Pour y parvenir on peut s’inspirer de la méthode SPIN : situation – problem – implication – need payoff (*). Par exemple, lorsqu’un client affirme “Je voudrais gagner du temps et de l’efficacité avec un CRM”, la plupart des commerciaux sauteront sur cette demande en affirmant la supériorité de leur produit. Mais en invitant d’abord le client à mieux décrire sa situation actuelle (“Je n’ai pas d’outil, je bricole avec Excell et des programmes gratuits, rien n’est centralisé”), puis en l’amenant à exprimer les problèmes que cette situation génère (“Ah, je manque d’organisation, de réactivité, je perds un temps fou à retrouver et suivre les opportunités et j’en rate plein !”), pour ensuite explorer avec lui les implications de ces problèmes (“Cela représente non seulement une perte sèche en chiffre d’affaires mais aussi une mauvaise utilisation de mon temps et un stress permanent”) et enfin reformuler le réel besoin de récompense (“Si je vous entends bien, vous souhaitez en fait récupérer de la sérénité, tant dans les usages au quotidien que dans la santé financière de votre entreprise tout en arrêtant de vous fustiger parce que vous perdez de belles opportunités ?”). Les commerciaux les plus habiles amèneront d’ailleurs le client à traduire lui-même en enjeux financiers les pertes de temps et d’occasions.

En fin de conte, un bon vendeur ne raconte pas d’histoire, il s’y immerge totalement et la vit pleinement jusqu’au bout avec son héros, le client.

Les super narrateurs n’ont pas peur du poids des mots dont ils ont instinctivement saisi tout le pouvoir.

User des mots

Ils savent jongler avec les temps de l’histoire. Ils évaluent l’importance du présent en posant des questions stratégiques sur le momentum, soit les raisons qui poussent le client à rechercher activement une solution aujourd’hui plutôt qu’hier ou demain, bien conscients que c’est la probable amplification actuelle de ses douleurs qui l’amènent à vouloir agir. Ils parviennent aussi à faire voyager le client dans le temps, en l’aidant à imaginer à quoi ressemblerait le “futur idéal” une fois ses souhaits réalisés, pour qu’il puisse de s’y projeter, activant ses émotions liées au désir, tout en lui permettant également d’entra­percevoir à quel avenir difficile il s’exposerait en subissant les conséquences néfastes de l’inaction ou d’une mauvaise décision, comme par exemple choix d’une solution trop bon marché

Surtout, à chacune de ces occasions, ils n’ont pas peur du poids des mots dont ils ont instinctivement saisi tout le pouvoir ! Ils pratiquent en permanence l’étiquetage en formulant en termes puissants les émotions vécues par le client à l’évocation de ses problématiques, de ses désirs de changement et de ses pro­pres peurs. En les mettant graduellement en images, ils lui permet­tent de s’associer consciemment à elles et de se les approprier pleinement. Ainsi, dans le même exemple, le commercial qualifiera de “véritable enfer quotidien” la situation subie par son client, puis lui s’engagera à lui faire vivre “un énorme soulagement par la reprise de contrôle salvatrice de son activité et son pilotage en toute sérénité vers son succès”. Notre cerveau de Sapiens, irrémédiablement façonné par des dizaines de millénaires de transmission orale est friand d’images fortes, de métaphores percutantes et d’analogies limpides qui l’émeuvent et le stimulent.

Il est donc crucial pour un excel­lent vendeur de savoir manier la magie des mots, du storytelling, du cinéma mental, en tirant l’élastique émotionnel de ses trames et de ses drames pour créer de l’impact, des prises de conscience et une décision chez son client.

Implication et motivation

Ce faisant, nous rendons d’abord service au client, car c’est par l’activation de ces émotions qu’il va se mettre en action et réaliser que nous sommes, comme lui, totalement impliqués et motivés par l’atteinte de son résultat final et pas simplement par la conclusion d’un deal.

Mais nous tirons nous-même, vendeurs, commerciaux, conseillers clients, un bénéfice collectif majeur à cultiver cette posture narrative et à participer ainsi aux “quêtes” et aux “aventures” de nos clients ! Parce qu’il s’agit là du meilleur moyen de raviver en nous-même la conviction fondamentale que ce que nous faisons est bon et utile, en nous associant dans le concret et le quotidien à notre véritable mission d’aide, d’accompagnement et de réalisation d’une réelle transformation, au lieu de nous laisser nous enfermer dans notre propre cliché de vendeur transactionnel uniquement intéressé par un objectif de chiffre et une commission.

(*) “SPIN Selling” de Neil Rackham.

Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.

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