Le juteux business des animaux de compagnie
Tantôt à poil, tantôt à plumes. Qu’elles miaulent, aboient, pépient ou caquètent, nos amies les bêtes sont de plus en plus nombreuses à occuper une place de choix dans les ménages. Elles sont aujourd’hui considérés comme de véritables membres de la famille… et donc traitées en conséquence.
Depuis quatre ans, le marché des animaux de compagnie a littéralement explosé. Evalué à 2,46 milliards en 2018, il est passé à 3,5 milliards d’euros en 2022, soit une croissance de 11% par an. Aujourd’hui, 52,8% des Belges possèdent un animal de compagnie contre 43% en 2018. Les poissons d’aquarium ou d’étang sont les plus nombreux (près de 7 millions en 2022 selon Comeos, la fédération belge du commerce) mais les vedettes des ménages restent bien sûr les chiens et les chats.
En Belgique, près d’1,4 million de ménages possède désormais au moins un chat et près d’un million au moins un chien. Statbel, l’office belge de statistique, estime que notre pays compte environ 2.052.218 chats (dont 62% seraient pucés) et 1.286.366 chiens. Et un propriétaire de chien dépense en moyenne 549 euros par an pour la nourriture (hors snacking et récompenses gourmandes) contre 453 euros pour un chat. “Ce sont sans aucun doute ces deux-là qui tirent la croissance”, analyse Peter de Mey, category manager chez Aveve, chaîne spécialisée dans le jardinage et les animaux de compagnie. Pour l’entreprise, ces derniers représentent environ 40% du chiffre d’affaires.
Rien qu’en nourriture, la valeur du marché belge de ces deux espèces a été estimée à 731 millions d’euros pour les chiens et 666 millions pour les chats en 2022. Deux segments qui enregistrent une croissance de 7% et 4% par an en moyenne. “Dans les deux cas, cette croissance est due en partie à l’inflation mais également à l’augmentation des dépenses des consommateurs”, observe Comeos. Les ménages sont aussi plus nombreux à posséder un chien, ce qui pousse le marché à la hausse – mais un peu moins de chats, du moins par ménage.
Le marché des animaux de compagnie a fortement bénéficié de la crise sanitaire. D’une part, parce que les consommateurs ont été nombreux a acquérir un tel animal durant cette période – 12% des ménages ont accueilli un nouveau compagnon en 2020, selon une étude menée par Ivox pour la Belgian Petfood Association. D’autre part, parce que les propriétaires étaient enclins à dépenser davantage pour leurs amis à quatre pattes, notamment dans des achats non essentiels comme les accessoires ou les jouets. “Ce sont d’ailleurs surtout les accessoires qui ont pâti de la reprise des activités, avec une baisse du chiffre d’affaires allant jusqu’à 20%”, explique Kathy Heungens, responsable des ventes de Mars Belgique, multinationale américaine qui possède des marques bien connues comme Pedigree, Whiskas, Royal Canin, Cesar et Sheba, et dont les ventes annuelles de produits destinés aux animaux dépassent les 20 milliards de dollars.
Hausse des coûts… et des dépenses
Cependant, la guerre en Ukraine a eu des conséquences sur le prix de l’alimentation. “Pour atténuer la pénurie d’approvisionnement énergétique en provenance de Russie, les raffineurs de carburant ont commencé à acheter des stocks de graisse, y compris de graisses animales, pour transformer le biodiesel en un mélange de produits”, ajoute Kathy Heungens. Or ces graisses constituent, en volume, le “quatrième plus grand ingrédient d’origine animale dans les aliments à destination des animaux de compagnie”. Conséquence? Le coût de production de ce secteur a grimpé.
D’après les chiffres partagés par Nielsen, les prix ont augmenté de 7,3%. “Heureusement, la catégorie des soins pour animaux de compagnie en général est, jusqu’à présent, plus inélastique aux prix que les autres segments de produits de grande consommation”, poursuit la responsable. Malgré des conditions de marché difficiles, les propriétaires ont donc continué à payer pour leurs animaux de compagnie, se souciant davantage de la santé globale et du bonheur de leurs amis à quatre pattes que de leur portefeuille.
“Aujourd’hui, on constate un véritable phénomène d’humanisation des animaux domestiques”, justifie Peter de Mey. Conséquence, le segment premium est celui qui connaît la plus forte croissance. “Le fait que les consommateurs restent sur de tels produits premium en période d’inflation illustre bien la considération toujours plus importante accordée aux animaux et à leur bien-être”, confirme-t-on chez l’enseigne spécialisée Tom&Co. Un effet que le concurrent Maxi Zoo observe également dans ses magasins. “Dans le non-alimentaire, les gens sont moins enclins à remplacer leur équipement, mais dans l’alimentaire, il y a une nette tendance à la ‘premiumisation’. L’animal de compagnie fait partie de la famille, on ne lésine pas là-dessus”, assure le leader européen des animaux de compagnie.
“Avec la crise, le super premium a tout de même tendance à ralentir en croissance et on observe un glissement vers les marques de distributeurs mais c’est le milieu de gamme qui en pâtit”, nuance Kathy Heungens, qui ajoute que les grands conditionnements sont également plus populaires car plus intéressants en matière de prix. “Les consommateurs mélangent aussi les segments, achetant par exemple l’alimentation sèche en premium mais les friandises dans un segment intermédiaire, pour économiser quelques euros.”
Personnalisation
En plus du premium, les chaînes spécialisées observent également une tendance à la personnalisation. “Les accessoires personnalisés comme les gamelles ou les colliers sont de plus en plus sollicités”, illustre Peter de Mey, qui note également un intérêt grandissant pour des services comme l’assurance… ou la photographie. Voyez Aveve qui propose de tirer le portrait de son fidèle compagnon dans ses magasins. “Auparavant, c’était souvent l’animal seul. Aujourd’hui, il est inclus dans le portrait de famille.”
L’humanisation ne concerne d’ailleurs pas seulement les chiens et les chats mais également les rongeurs ou d’autres espèces jusque-là adoptées pour des raisons essentiellement fonctionnelles. Le meilleur exemple? Les poules. Selon Comeos, 9,8% des familles wallonnes détenaient au moins une poule domestique en 2022. En 2018, ce chiffre s’élevait seulement à 7,2%. Toujours selon Comeos, cette augmentation est également observable à Bruxelles, où le nombre de famille possédant une poule domestique est passé de 1,8% à 6,9% sur la même période.
“Le profil de ces propriétaires a évolué”, note Peter de Mey. Autrefois, on achetait des poules d’abord pour leurs œufs ou parce qu’on les destinait à la consommation. “Mais aujourd’hui, cela semble impensable pour certaines familles, qui leur donnent carrément un nom”, ajoute le category manager qui rappelle qu’existent désormais du snacking pour poules ou des accessoires comme des balançoires ou des échelles. “Si on m’avait dit ça il y a quelques années, je ne l’aurais pas cru”, admet-il.
Tom&Co a également développé de nouveaux accessoires à destination de ces gallinacés, comme une tour d’alimentation ou des balles “en-cas” qu’on peut remplir de friandises. “Mais les consommateurs cherchent aussi de la nourriture adaptée, car les poules ont des besoins nutritionnels spécifiques quand elles pondent.”
“Cat care” en forte croissance
Plus largement, le développement de toutes ces gammes de snackings pour animaux de compagnie illlustre volontiers ces changements de comportement. “On donne des friandises à son chien pour différentes raisons, comme le dressage ou l’hygiène dentaire, remarque Kathy Heungens. Mais l’habitude de gâter son chat avec une friandise et d’ainsi approfondir sa relation avec lui n’est apparue qu’il y a quelques années.” Depuis trois ans, ce cat care & treats est ain7
t care, à comparer avec le dog care & treats, pourtant lui aussi toujours en croissance (+2,8%). “On observe toujours un effet d’up-trading dans la catégorie dog care & treats: les acheteurs de friandises pour chiens préfèrent donner à leur cher animal des bonbons à base de viande plus naturels et plus chers”, commente la responsable des ventes.
A l’instar des enseignes de la grande distribution, les chaînes spécialisées se lancent également dans le développement de leur propre marque. A ceci près que le positionnement prix n’est pas le critère principal. Aveve a par exemple développé sa marque Charlie’s choice, des croquettes pour chiens fabriquées à partir d’ingrédients frais et naturels de la plus haute valeur nutritionnelle. “On pense à développer l’équivalent pour chats”, confie Peter de Mey.
La tendance consistant à fournir des aliments naturels et de haute qualité aux animaux de compagnie est en effet à la hausse. De nombreux propriétaires d’animaux recherchent davantage des produits contenant des ingrédients réels, entiers et peu transformés. Les propositions sans céréales, de même que les produits bios et végétaux, gagnent aussi du terrain. “Nous voyons apparaître un nouveau segment en entrée de gamme premium que nous appelons le bridging, explique-t-on chez Tom&Co. Il offre une alternative sur un positionnement goût, santé ou grain free.”
“Ces propositions biologiques végétales restent cependant relativement modestes au regard du marché total”, nuance Kathy Heungens. Ce qui n’empêche pas Mars d’aussi innover en la matière. L’entreprise a notamment lancé Catsan Natural, alternative biodégradable à la litière, et Sheba Natural, une proposition sans céréales avec des ingrédients naturels.
Des acteurs qui travaillent aussi à la durabilité. Les produits Mars Pet Nutrition ont par exemple atteint l’objectif de 100% de poisson issu d’une pêche durable. L’entreprise a en outre fait savoir qu’elle souhaitait réduire de moitié ses émissions de carbone – soit environ 15 millions de tonnes – d’ici à 2030, afin de parvenir plus rapidement à des émissions nettes nulles en 2050. Certains producteurs proposent également des insectes dans leur assortiment, en raison de leur plus faible impact carbone. Voyez aussi la démarche de Maxi Zoo, qui mise sur des produits en vrac, non emballés, pour limiter les déchets.
Boom de l’e-commerce
Autre tendance: la progression des ventes en ligne. D’après Comeos, 45% des propriétaires d’animaux de compagnie achètent de la nourriture et des articles connexes sur le net. En 2018, ce pourcentage n’était que de 28%. Plus fort encore: 17% des propriétaires d’animaux de compagnie se procurent cette nourriture exclusivement en ligne. La raison de la forte croissance de ces ventes en ligne réside dans le fait que les aliments pour animaux de compagnie sont souvent achetés en grandes quantités et, dans une large mesure, planifiés à l’avance.
“Autre facteur: la présence croissante, au sein de cette clientèle, de jeunes consommateurs naturellement plus enclins à commander en ligne que les générations précédentes”, ajoute Kathy Heungens. Ce recourt à l’e-commerce se fait principalement au détriment des enseignes de la grande distribution (moins 10% de taux de pénétration). Mais les enseignes spécialisées qui disposent d’une plateforme en ligne continuent de gagner des parts de marché.
Certaines d’entre elles ont même décidé de se développer uniquement en ligne. C’est le cas de PharmatPets, plateforme en ligne dirigée par Sven De Waele, ancien co-CEO de Fun (enseigne flamande spécialisée dans les jouets), et sa femme Valerie Vanderlinden, vétérinaire. Après quatre ans d’activité, l’entreprise a atteint 40 millions de chiffre d’affaires et est présente en Belgique, en France et aux Pays-Bas. Dès le début, la plateforme s’est différenciée de ses concurrents par son positionnement santé. “Les produits proposés sont des marques conseillées par les vétérinaires”, assure Sven De Waele qui traite plus de 15.000 colis par jour.
Le business model fonctionne par abonnement. L’objectif principal est d’accroître la fidélité et la rétention des clients. “C’est une stratégie qui fonctionne puisque les abonnés effectuent leurs achats deux fois plus souvent que les non-abonnés”, précise les fondateurs qui réalisent 40% du chiffre d’affaires grâce à cette formule. PharmaPets compte aujourd’hui plus de 10.000 membres.
La plateforme a également développé le segment de l’e-health. “On propose une offre personnalisée grâce à notre équipe de vétérinaires qui fournit des conseils de santé, une alimentation appropriée et des produits de soins adéquats”, poursuit le CEO de PharmaPets.
La santé, d’ailleurs, est un axe important de développement de ce secteur, aussi bien pour les producteurs que pour les retailers. “De plus en plus de consommateurs privilégient les marques recommandées par leurs vétérinaires”, note la responsable de Mars.
Humanisation, personnalisation, santé, services: l’ensemble des tendances évoquées ci-dessus expliquent sans détour les raisons pour lesquelles le secteur des animaux de compagnie se montre nettement plus résistant aux crises que la plupart des autres biens de consommation. Un secteur, désormais, très loin du marché de niche…
45%
des propriétaires d’animaux de compagnie achètent de la nourriture et des articles connexes en ligne.
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