La chronique du Dr Sales: l’illusion de l’objection
L’objection client n’existe pas. C’est nous, commerciaux, vendeurs, qui qualifions par ce terme ce que nous interprétons comme une résistance, une défiance, une opposition.
Je n’ai jamais entendu un client dire lui-même “j’ai une objection !”. En l’appelant de la sorte, nous exprimons toute la frustration que cette allégation provoque, toute la puissance de ce sentiment de rejet, de mise en échec que nous ressentons alors que nous souhaitons, plus que tout, faire aboutir cette vente dans laquelle nous nous sommes investis. En d’autres termes, le mot “objection” révèle que nous n’envisageons la vente que par notre propre prisme, par notre seule perception. C’est notre ego blessé qui se plaint.
Mus par ces émotions négatives, nous avons la fâcheuse manie de quitter, sans même nous en rendre compte, le terrain de la coopération pour passer dans l’opposition en nous enferrant dans trois postures classiques : la justification, l’inquisition ou la réfutation.
La justification nous conduit à argumenter pour légitimer notre position que nous estimons incomprise ou attaquée. Nous voilà en train de répondre “mais c’est le prix de la qualité” ou encore “mais c’est parce que nous proposons un meilleur service” suivi d’une tentative désespérée de faire valoir tous les éléments soutenant cette affirmation. Ce faisant nous battons en brèche ce que notre client tente de nous dire. Nous entrons dans le jeu du “tort ou raison” avec l’envie d’en sortir gagnant, obligeant l’acheteur à devoir contre-argumenter à son tour avec encore plus de force et créant une crispation qui mène inexorablement à la rupture. Comme me le disait un de mes confrères “une justification, c’est une explication que je n’ai pas demandée”.
Se justifier
L’inquisition, bien que fondée sur une meilleure intention, n’est pas pour autant une stratégie plus efficace. Elle consiste à répondre à l’objection du client par une question, plutôt que par une affirmation. Hélas, la question, souvent amenée trop brutalement, sans nuance, laisse percevoir toute l’amertume du commercial qui la pose et place immédiatement le client devant l’obligation morale de se défendre. Je ne compte plus le nombre de formations et de manuels qui engagent les commerciaux à demander au client “par rapport à quoi” ils estiment que les prix pratiqués sont élevés, ou “à quoi” ils pensent devoir réfléchir. Bien entendu, parvenir à comprendre les enjeux de la réflexion ou les points de comparaison d’un client est absolument crucial. Mais la façon de poser la question en fait disparaître tout le bien-fondé, cristallise l’antagonisme des positions de chaque partie et fait à nouveau tourner l’échange au débat d’opinion voire au pugilat.
La réfutation consiste, quand a-t-elle, à démonter les fondements de la supposée objection du client en contestant sa validité, démontrant, par exemple, qu’acheter à bas prix est une erreur à long terme ou que, toute l’information ayant déjà été communiquée, il ne sert à rien de réfléchir davantage. Vous trouverez des chapitres entiers sur des techniques, parfois brillantes de virtuosité, pour “retourner” le client. Et je sais, pour les enseigner moi-même, que les commerciaux en sont particulièrement friands, tant elles leur donnent, sur le moment, l’impression d’enfin posséder la botte secrète pour déjouer ces objections. Mais si ces astuces peuvent faire de vous des débatteurs politiques redoutables, elles vous condamnent à nouveau à une posture d’opposition visant à imposer la pertinence et la sagacité de votre réponse face à la résistance de votre client. Passée la sidération, dans les faits, les clients pris de court et démunis vivent généralement cette situation comme particulièrement inconfortable, ce qui les conduira probablement à ne pas vouloir conclure l’affaire. Avoir raison seul ne sert pas à grand-chose en commerce.
Raison à tout prix ?
Nous devons nous départir de cette idée très scolaire qu’il nous faut avoir raison à tout prix, que nous sommes dépositaires et gardien du “juste”. Nous interprétons négativement les comportements qui semblent aller à l’opposé de notre envie de conclure, de vendre. Nous devons comprendre qu’en réalité, l’intention du client n’est pas de nous barrer la route. Continuer à y voir une objection nous fait rentrer systématiquement dans l’arène de l’opposition. Décider d’y lire l’expression d’une préoccupation nous permet de nous reconnecter à une empathie suffisante pour pouvoir aider à la dissoudre. C’est précisément cela que notre client attend de nous. Il ne veut pas avoir raison ou rentrer dans un débat d’opinion. Il veut résoudre un problème, entériner un changement, réussir un challenge et il espère que nous l’aidions en coopérant plutôt qu’en jugeant. Vendre ce n’est pas avoir raison contre l’autre, c’est permettre à l’autre de continuer à avoir raison tout en avançant ensemble dans son projet. En ce sens il nous faut apprendre à mieux gérer ces soi-disant “objections” qui ne sont pour la plupart que des préoccupations mal interprétées. Je vous propose trois étapes : SEA, à savoir sécuriser, exprimer et aligner.
Nous devons nous départir de cette idée très scolaire qu’il nous faut avoir raison à tout prix.
Sécuriser la relation : Un client n’est jamais à l’aise lui-même à l’idée de nous annoncer qu’il trouve, par exemple, notre prix élevé. D’un autre coté, accepter de payer ce prix le met également dans une situation inconfortable de perte. Nous pouvons accueillir cette expression sans la juger, la justifier ou la contrer en lui disant simplement que la question qu’il pose au sujet du prix et de la valeur est importante et qu’il est totalement normal que vous en discutiez ensemble. Ainsi, sans pour autant rentrer dans le débat immédiatement, vous lui démontrez simplement votre envie de coopérer
Exprimer les motivations : Une fois la confiance rétablie et la tension apaisée, une nouvelle découverte s’impose. Invitez votre client à développer son point de vue et ses ressentis par des phrases comme “expliquez-moi ce que vous entendez par cher” , “dites-moi en quoi le prix est un problème pour vous” et écoutez religieusement et sans juger, ni tenter d’argumenter. Vous cherchez à faire s’exprimer, à la racine des motivations, les émotions réelles qui les nourrissent. Peur de mal investir, peur de perdre de l’argent, peur de se restreindre sur d’autres achats en dépassant son budget, peur du jugement des autres ?
Aligner les intentions : Une fois saisies et reformulées les émotions et les intentions, vous pouvez alors prouver au client avec douceur et efficacité que votre solution s’inscrit dans le même objectif en commençant par rappeler que votre intention personnelle est avant tout de lui permettre de prendre la meilleure décision dans son intérêt. Pour vous y aider, prenez l’habitude de remplacer dans votre langage le désastreux mot “mais” par “justement” ou “précisément” comme : “C’est précisément parce que nous voulons respecter le budget de nos clients que nous vous proposons des produits d’une qualité supérieure qui vous éviteront de devoir les remplacer trop vite.”
Le commerce est une activité collaborative dans laquelle personne ne gagne ni ne perd jamais seul. Tâchons de nous rappeler, au moment où un client semble vouloir (nous ?) résister, que nous vendons pour lui, pas contre lui.
Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.
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