Washington parie sur les stablecoins pour financer sa dette, Bruxelles s’accroche à l’euro numérique

Dollar vs euro © GettyImages
Baptiste Lambert

Washington fonce, Bruxelles tergiverse. Tandis que les États-Unis intègrent les stablecoins dans leur stratégie de financement public, l’Europe s’accroche à son projet d’euro numérique. Deux visions opposées d’une même révolution monétaire, dans un contexte de rivalité croissante entre le dollar et l’euro.

Avec l’adoption du Genius Act, le Congrès américain a ouvert la voie à un marché régulé des stablecoins, évalué à 288 milliards de dollars. Ces actifs numériques, adossés à des bons du Trésor, sont désormais vus comme un outil central pour absorber la dette publique américaine. Scott Bessent, secrétaire au Trésor, a clairement affiché ses intentions : les stablecoins “seront un canal croissant pour absorber les émissions de dette américaine à court terme”.

Les chiffres sont révélateurs : le marché pourrait dépasser les 2.000 milliards de dollars dans les années à venir. Et les grandes banques s’y engouffrent. JPMorgan, Citi ou encore Bank of America prévoient déjà leurs propres stablecoins ou solutions de paiement numériques. Le message de l’administration Trump est limpide : crypto et dette publique peuvent faire bon ménage, tant que l’État garde la main sur les règles du jeu.

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Francfort à contretemps ?

En Europe, le ton est tout autre. Pour la BCE, cette montée en puissance des stablecoins – en particulier ceux adossés au dollar – constitue une menace directe. Christine Lagarde alerte sur le risque de voir l’épargne européenne migrer vers des actifs libellés en devises étrangères. Piero Cipollone, économiste et membre du directoire de la BCE parle même de “danger pour la stabilité financière et l’autonomie stratégique de l’Europe”.

La réponse de la BCE ? Accélérer le déploiement de l’euro numérique. Un projet de monnaie digitale publique (CBDC), plafonnée à 3.000 euros par portefeuille pour les particuliers, que Francfort veut rendre opérationnel d’ici 2027, également pour les entreprises. L’objectif : éviter une “dollarisation” numérique insidieuse et redonner au citoyen un accès direct à la monnaie de la banque centrale, à l’heure où le cash disparait progressivement.

Le but serait de prendre une décision pour le mois d’octobre.

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Dans ce contexte, plusieurs économistes tirent la sonnette d’alarme. Bruno Colmant parle d’une “occasion manquée” et d’un risque de marginalisation monétaire. Le député Christophe De Beukelaer, qui s’intéresse depuis longtemps aux technologies blockchain, accuse la BCE de bloquer l’émergence de stablecoins en euros par pure idéologie. “Plutôt que d’ouvrir le jeu, elle invente un euro numérique inutile, coûteux et dangereux”.

Les CBDC renferment un pouvoir de contrôle total sur les monnaies et les transactions. Ce qui en fait un outil dangereux démocratiquement, appuie le député. Ce n’est pas un hasard, dit-il, si la Chine a privilégié ce modèle-là et est la plus avancée dans son projet.

Francfort se réveille… à moitié

L’Union européenne a récemment accéléré sa feuille de route, mais a décidé d’ouvrir quelque peu le jeu. Selon le Financial Times, la Commission envisage désormais de déployer cette monnaie digitale sur une blockchain ouverte comme Ethereum ou Solana, rompant ainsi avec l’approche centralisée initialement prévue. Objectif : répondre aux préoccupations croissantes sur la confidentialité et rattraper le retard face à l’offensive américaine.

Ce revirement témoigne d’une prise de conscience : la domination croissante des stablecoins en dollars pourrait affaiblir l’euro dans les paiements transfrontaliers. “L’Europe ne peut pas se permettre de dépendre excessivement des solutions de paiement étrangères”, a averti Piero Cipollone. Il n’est toutefois, à ce stade, pas prévu de déployer le tapis rouge pour les stablecoins émis par des acteurs privés, comme aux États-Unis.

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Une bataille monétaire

Au fond, ce choc entre stablecoins et euro numérique dépasse les débats techniques. Il cristallise deux philosophies monétaires. D’un côté, les États-Unis misent sur l’agilité du privé pour renforcer leur hégémonie et financer leur dette. De l’autre, l’Union européenne tente de préserver son modèle régulé, au risque d’être distancée.

Reste à savoir si l’euro numérique, quelle que soit sa forme, suffira à freiner l’essor des stablecoins en dollars.

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