Zuhal Demir contre les prosumers wallons : “Le gouvernement wallon est allé mettre ses doigts où il ne fallait pas”
“Les Wallons ne me remercieront pas”. La ministre flamande de l’Energie a surpris tout le monde, la semaine dernière, en annonçant avoir déposé un recours contre les compteurs qui tournent à l’envers, au sud du pays. Pourquoi maintenant ? Et son recours a-t-il une chance d’aboutir ?
Zuhal Demir (N-VA) entend mettre fin aux compteurs wallons qui tournent à l’envers et dont les Flamands sont privés. Elle a déposé un recours au Conseil d’État pour faire annuler le décret wallon qui a introduit cette dérogation jusqu’à 2030, pour les anciennes installations, datant d’avant le 31 décembre 2023.
Pour bien comprendre, il faut revenir à l’origine du problème. En 2019, la Flandre vote un décret pour mettre fin au compteur qui tourne à l’envers. La Wallonie embraye l’année suivante, mais les deux Régions ont prévu une période transitoire différente : les propriétaires de panneaux photovoltaïques pourront continuer à bénéficier de leur compteur qui tourne à l’envers, via lequel ils reçoivent une compensation pour l’électricité inutilisée qu’ils produisent, durant 15 ans pour la Flandre et de 10 ans pour la Wallonie.
La gourmandise flamande sera sa punition : le régulateur flamand de l’énergie (VREG), rejoint par le régulateur fédéral (CREG) et le gouvernement fédéral, introduisent un recours contre le décret flamand auprès de la Cour constitutionnelle, qui leur donnera raison. Le décret flamand est annulé, prenant trop de libertés sur la période de transition, les tarifs et sur les taxes du réseau.
Une histoire de délais
Aujourd’hui, Zuhal Demir reproche au décret wallon d’avoir instauré une différence de traitement vis-à-vis de l’État fédéral. Son argument ? Les prosumers wallons paieront moins de TVA, car cette taxe est fixée par rapport à la consommation nette, déduite de l’électricité qui est réinjectée dans le réseau. “Une profonde injustice”, a regretté la ministre flamande de l’Énergie, la semaine dernière. Pour elle, ce n’est rien de moins qu’un “transfert de taxes au détriment de la Flandre”.
Les prosumers wallons sont-ils dès lors en danger ? Le décret wallon date de 2020. L’annulation du décret flamand de 2021. D’un point de vue juridique, le délai pour déposer un recours à la Cour constitutionnelle est largement dépassé, car il était de 6 mois.
Toutefois, la finalisation du décret wallon n’est intervenue que le 14 décembre dernier, quand l’arrêté a été publié au Moniteur belge. Zuhal Demir en a alors profité pour déposer son recours. Or, un arrêté se conteste devant le Conseil d’État dans un délai de 60 jours. D’après nos informations, le recours a été finalement déposé le 12 février et non pas le 4 mars, comme cela avait été indiqué, respectant ainsi le délai.
Le recours de Zuhal Demir a-t-il une chance d’aboutir ?
Le ministre wallon de l’Énergie, Philippe Henry (Ecolo), se dit en tout cas “confiant” de la solidité juridique de son décret. Au niveau de la période de transition, la Wallonie est couverte par une directive européenne qui autorise les compteurs qui tournent à l’envers jusqu’à 2030. En outre, le ministre wallon explique ce matin sur LN24 que le gouvernement “a mis en place la redevance prosumer, qui fait en sorte que les prosumers payent une contribution pour les frais de réseau”. En d’autres mots, les prosumers doivent, eux aussi, contribuer. Ils ne sont plus totalement indemnisés pour l’électricité qu’ils réinjectent dans le réseau, ce qui constituait une forme de discrimination par rapport à ceux qui ont installé un compteur communicant ou à ceux qui ne possèdent pas de panneaux.
Cette confiance, Régis François, de la puissante ASBL BeProsumer, ne la partage pas : “Mon expérience avec le gouvernement wallon me fait penser que les décrets wallons sont généralement très mal bétonnés. En ce compris les modifications de décret, fait un peu à la hâte.”
Le président de BeProsumer vise en particulier une mesure de l’arrêté de fin 2023, qui donne la possibilité de maintenir le compteur qui tourne à l’envers, même en cas de modification de l’installation photovoltaïque (remplacement d’un panneau défectueux, d’un onduleur ou l’ajout d’autres panneaux), après le 31 décembre 2023, pour peu qu’elle ne dépasse pas 1 kVA, la puissance électrique nette.
“Le gouvernement avait pourtant été mis au courant bien en avance des menaces de la Flandre”, regrette Régis François. “Ce sont maintenant 360.000 prosumers et un potentiel de 700.000 votants qui sont pris en otage.”
Il n’y aura pas de décision du Conseil d’État endéans les élections, mais si ce dossier devait refaire surface d’ici “un an ou deux, il fera imploser le gouvernement en place”, prédit déjà Régis François. D’ici là, ce recours flamand laisse “les prosumers wallons dans l’incertitude, mais aussi le marché des installateurs des panneaux photovoltaïques, qui ne font plus que 10% des chiffres qu’ils faisaient l’année dernière. Quant à la crédibilité du gouvernement wallon, elle prend un nouveau coup”.
Pourquoi maintenant ?
L’information concernant le recours de Zuhal Demir a fuité le même jour que la présentation des listes wallonnes de la N-VA. Politiquement, cette annonce ne pouvait donc pas plus mal tomber pour les nationalistes flamands. En tout cas, si on considère que ce désir d’extension au sud du pays soit partagé par tous, au sein de la N-VA.
Le timing étonne aussi Régis François. Très renseigné sur ce dossier, il y voit une potentielle réplique des nationalistes dans un autre dossier. “Je suis fâché contre le gouvernement wallon. Car il s’agit d’une mesure de rétorsion du gouvernement flamand. Le gouvernement wallon est allé mettre ses doigts là où il ne fallait pas, en tirant les premiers”. C’est-à-dire ? “Le gouvernement wallon a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle contre la volonté de la Flandre de mettre en place un tribunal administratif. Ce dernier doit raccourcir les délais dans l’octroi de permis d’urbanisme et d’environnement”, nous explique le président de BeProsumer. Autrement dit, pour mettre en place des projets plus rapidement, sans être bloqué par les procédures à rallonge des riverains.
“Il s’agit de la possibilité de contourner le Conseil d’Etat”, résumé Régis François. “Elio Di Rupo (PS) s’en est offusqué au Parlement wallon, car cela portait atteinte aux droits de la Wallonie, a-t-il dit”. Pourquoi ? “Parce que la Flandre veut accélérer le projet Ventilus, ce qui accélérait à son tour le projet de la boucle du Hainaut“, poursuit notre interlocuteur.
“Or, Elio Di Rupo et Philippe Henry veulent ralentir le projet au maximum, d’après mes informations. Car la Boucle du Hainaut passerait par certains bastions socialistes, comme Ath, et frôlerait La Louvière jusqu’à Courcelles”, explique le membre de BeProsumer. Les écologistes n’ont-ils pas intérêt à déployer le réseau rapidement ? “C’est une question environnementale. Ils veulent enterrer les lignes à haute tension, coûte que coûte.” Le tracé de la boucle du Hainaut fait d’ailleurs l’objet études d’incidences environnementales actuellement, menées par le bureau d’étude indépendant Stratec
Il reste à voir le rôle joué par le MR, qui forme une majorité avec le PS et Ecolo, et dont Willy Borsus (MR) n’est autre que le ministre de l’Aménagement du territoire. De nombreuses étapes doivent encore aboutir avant de voir le projet de tracé accepté. Ce n’est qu’à ce moment-là, qu’Elia, qui porte le projet, pourra introduire des demandes de permis précis, l’objectif étant d’aboutir à la mise en service du réseau électrique en 2030.
Le projet Ventilus reliera les puissantes installations éoliennes en Mer du Nord au territoire belge. Des lignes de haute tension capables de transporter l’équivalent en électricité de 6 centrales nucléaires. En mars dernier, le gouvernement flamand a approuvé le tracé des lignes, après de nombreuses discussions. Les éoliennes off shore seront reliées du port de Zeebruges au poste de transformation d’Avelgem. Le projet de la Boucle du Hainaut doit lui se connecter d’Avelgem jusqu’au poste de Courcelles. Mais au sud du pays, le tracé n’a toujours pas été déterminé et sera probablement reporté à la prochaine législature. Il provoque, évidemment, une levée de boucliers des populations locales qui ne veulent pas de la pollution visuelle, électro-magnétique et environnementale de lignes à haute tension d’une telle puissance. En Flandre, le tracé a par exemple provoqué 3.550 recours des riverains. Une partie du tracé sera finalement enterrée, mais des centaines d’habitations et entreprises resteront à proximité des lignes.
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