Pierre Mottet face à Céline Tellier: “La réforme du permis d’environnement, c’est la priorité des entreprises ”

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Trends-Tendances a soumis la ministre wallonne de l’Environnement et le président de l’Union wallonne des entreprises à l’exercice de l’interview croisée. Bonne nouvelle, les deux se rejoignent largement sur les grands enjeux opposant parfois économie et écologie. Sujet 1: le permis d’environnement.

Le principe d’une économie circulaire et durable, tout le monde ou presque le salue. Mais du principe à la réalité, il y a parfois de belles levées de boucliers. Trends-Tendances y avait consacré un dossier en début d’année en interrogeant plusieurs entrepreneurs directement concernés. Nous tirons quelques leçons sur la confrontation des enjeux écologiques et économiques, en compagnie de la ministre wallonne Céline Tellier (Ecolo) et du président de l’UWE Pierre Mottet.

Ça tombe bien, tous deux sont globalement alignés sur les grands principes d’un projet de réforme qui allonge la durée des autorisations et prévoit un meilleur accompagnement des entreprises. Mais cela bloquerait au sein du gouvernement…

TRENDS-TENDANCES. Le principe d’une économie circulaire et durable, tout le monde ou presque le salue. Mais du principe à la réalité, il y a parfois de belles levées de boucliers. Dans une récente interview à Trends-Tendances, le patron du groupe Comet expliquait que pour construire une nouvelle unité de recyclage des métaux, il avait besoin de l’aval de… 19 instances régionales. N’est-ce pas un peu trop ?

CELINE TELLIER. Je connais bien le groupe Comet, ils développent une activité indispensable à l’économie circulaire dans notre région et nous la soutenons pour cela. Mais cette activité est impactante pour les riverains, nous devons aussi intégrer une série de considérations de protection de la santé et de l’environnement. C’est vrai que les procédures en matière de permis d’environnement sont relativement lourdes, même si, en termes de délais d’instruction des dossiers, nous sommes parmi les plus rapides d’Europe. Il y a moyen de simplifier ces procédures et c’est l’objet de la réforme actuellement sur la table du gouvernement.

PIERRE MOTTET. Historiquement, on a souvent opposé écologie et entreprises. Ce paradigme est aujourd’hui dépassé. Les entreprises reconnaissent qu’elles sont une partie du problème mais elles veulent surtout faire partie de la solution. Le groupe Comet est une parfaite illustration de ces entreprises qui apportent des réponses aux enjeux environnementaux.

Maintenant quand je vois qu’il faut six ans pour obtenir un permis pour une éolienne, c’est un frein insupportable à l’action en faveur du climat et je sens que cela génère une certaine frustration aussi du côté gouvernemental. Nous vivons dans une démocratie et le prix qu’on en paie, c’est peut-être une lenteur dans les processus de décision car il faut tenir compte de toutes les parties prenantes.

D’où l’intérêt peut-être de la réforme du permis d’environnement. Où en est exactement votre projet ?

C.T. Nous y travaillons depuis deux ans avec l’Union wallonne des entreprises, l’Union des villes et communes, le secteur environnemental, l’administration, les agriculteurs… Nous avons élaboré ensemble un diagnostic de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas dans les dispositions actuelles. Comment les faire évoluer ? Je pense que nous avons réussi collectivement à dessiner une réforme équilibrée, pour avoir à la fois une meilleure protection de l’environnement et plus de pragmatisme, de prévisibilité et de sécurité juridique pour les entreprises. Nous avons eu des premiers échanges au sein du gouvernement et force est de constater qu’il n’y pas encore d’accord politique à ce stade.

Céline Tellier © HATIM KAGHAT

Vous nous dites que tous les acteurs de terrain, des entreprises aux associations environnementales et aux agriculteurs parviennent à trouver un accord sur un texte mais pas trois partis politiques. J’ai un peu de mal à comprendre…

C.T Moi aussi ! J’espère qu’un tel travail ne finira pas à la poubelle parce que nous ne parvenons pas à nous accorder en gouvernement sur le dernier carat de la réforme.

P.M. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout mais, ici, l’UWE est globalement en soutien des grands principes qui sont sur la table. Il y a eu un rassemblement d’idées entre les entreprises, le monde associatif et la ministre de l’Environnement, j’espère que les autres partis au pouvoir ne viendront pas bloquer un projet sur lequel la ministre et les entreprises sont alignées. Un gouvernement, cela signifie prendre des décisions en commun et pas systématiquement s’opposer aux dossiers venant des autres

La problématique est fondamentale. Récemment, on a demandé à toutes les organisations patronales –FEB, Voka, BECI et l’UWE- de pointer une problématique à traiter en priorité, c’est celle des permis qui est ressorti, en particulier des permis relatifs aux énergies renouvelables. Ce n’est donc pas spécifique à la Wallonie. Mais si pour une fois nous pouvions passer devant les autres, ce serait très bien !

C.T. Effectivement, nous n’allons pas encore assez vite pour l’octroi des permis éoliens. Ma politique en la matière est de conjuguer les enjeux de développement énergétique et de préservation de la biodiversité ainsi que des autres incidences environnementales. Je pense que nous pouvons agir avec pragmatisme sur la compatibilité entre les fonctions. Je prends l’exemple du téléscope Einstein (un investissement européen de 2 milliards d’euros pour l’installation d’un téléscope souterrain qui étudierait les confins de l’univers, Ndlr), qui pourrait être localisé en région liégeoise. C’est un projet majeur pour la recherche mais nous n’allons pas mettre sous cloche tout un pan de développement de l’économie liégeoise pour le cas où nous aurions, peut-être, ce téléscope en 2040. Nous étudions les compatibilités techniques avec des projets éoliens, de géothermie, de carrières, etc. Nous avons même l’engagement du secteur éolien à démanteler les mâts si l’incompatibilité était avérée. Je constate que l’administration de l’Aménagement du territoire (qui relève des compétences du ministre Willy Borsus, Ndlr) a pris le paradigme inverse et bloque tous les projets dans la région dans l’attente d’une décision sur ce téléscope en 2025 ou 2026. Je le déplore car il y a parfaitement moyen de concilier les enjeux.

Une administration bloque les projets, dites-vous. Arbitrer entre des enjeux tous importants –ici entre économie, recherche et environnement- n’est-ce pas le rôle du politique ?

C.T. C’est en tout cas mon approche. C’est vrai que nous demandons beaucoup d’avis à des instances qui regardent chacune le permis avec leur propre angle de vue. Ensuite, nous devons faire la balance et, dans certains cas, accorder un permis malgré un avis négatif de l’une ou l’autre administration. Je pense effectivement que cette recherche d’équilibre entre les intérêts et les points de vue, c’est le rôle du politique.

Pierre Mottet © HATIM KAGHAT

P.M. C’est également ce que nous souhaitons, certainement quand l’intérêt public est en jeu. Avoir l’électricité produite en mer du nord bloquée parce qu’on n’avance pas sur la boucle du Hainaut, c’est quand même compliqué à entendre. Bien entendu, des gens sont impactés et il est légitime qu’ils puissent faire valoir leurs droits. Mais ça ne peut pas se retrouver encommissionné au Conseil d’Etat pendant 25 ans ! Et quand on pense avoir vu poindre un déblocage, on entend aussitôt des voix dissonantes très haut placées au gouvernement. Il faut arriver à un politique qui a le courage de prendre des arbitrages.

A côté des dispositions légales et des arbitrages nécessaires, il y a toute une culture prégnante au sein de l’administration. L’UWE plaide pour un plus grand souci du citoyen, de l’entreprise. Non pas au-delà des règles bien entendu, mais avec un état d’esprit vraiment au service d’une communauté. Si je veux un meilleur futur, cela s’appuie sur des entreprises qui créent de la valeur, dans le respect de règles de bien-être et de qualité de l’environnement.

“L’idée de la réforme est d’octroyer un permis non pas pour vingt ans mais pour la durée de l’exploitation.”

C.T. La réforme du permis d’environnement va dans ce sens, elle invite l’administration à davantage accompagner les entreprises, les aider à répondre aux exigences environnementales.

Aujourd’hui, les permis sont valables vingt ans et dorment parfois dans des tiroirs entre deux échéances. La réforme prévoit un monitoring régulier, pour responsabiliser l’exploitant sur les risques environnementaux mais en lui donnant les outils pour maîtriser ces risques. Il y aura une check-list vulgarisée de ce qui est attendu de l’exploitant, pour éclairer le langage parfois technique et complexe des permis d’environnement.

Revers de la médaille : au lieu d’être « tranquille » pendant vingt ans, l’entreprise devra régulièrement mettre à jour son dossier et ses données…

C.T. Aujourd’hui déjà, un exploitant doit pouvoir démontrer chaque jour qu’il respecte les conditions de son permis. L’idée de la réforme est d’octroyer un permis non pas pour vingt ans mais pour la durée de l’exploitation. Elle apporte une sécurité juridique. Il ne faudra plus recommencer le processus tous les vingt ans. En revanche, il y aura un monitoring et une mise à jour des conditions de ce permis. Celles-ci seront adaptées, pas tous les ans rassurez-vous, en fonction de l’évolution des technologies, des normes et aussi de la société. L’administration va accompagner l’entreprise dans les réponses à ces adaptations du permis.

Autre élément important : il s’agira d’un permis coordonné, pour l’ensemble des activités d’une entreprise. Il n’y aura plus ces annexes, ces 2e ou 3e permis pour de nouvelles activités, avec parfois des temporalités différentes. Ce permis coordonné sera en outre numérisé. C’est, je pense, une belle avancée en termes de simplification administrative.

P.M. Au fond, cela va vraiment être un question d’état d’esprit. Il y a des entreprises qui découvrent, au bout de vingt ans, lors du renouvellement de leur permis, que la législation a changé. Elles n’ont rien vu venir et se retrouvent soudain sans permis d’exploiter, de bonne foi si je puis dire. Car, honnêtement, qui connait toute la législation que nous sommes censés connaître ?

Si nous vivons avec une administration qui se dit que les entreprises ou les citoyens sont des fraudeurs qu’il faut coincer, alors le nouveau système sera une catastrophe. En revanche, si l’administration se dit « maintenant que nous avons un monitoring régulier, nous allons nous assurer que les gens intègrent bien les changements législatifs, nous allons les aider à le faire », je serai très content. Tout comme les 98% d’entreprises qui tentent déjà de respecter les règles. Et l’on pourra même alors renforcer les moyens pour sanctionner les 2% de fraudeurs, mais sans chasse aux sorcières. Nous tenons le même discours face à la fraude environnementale que face à la fraude fiscale ou sociale.

C.T. Je partage cette philosophie, qui doit aller dans les deux sens. L’administration doit aider les exploitants à respecter les conditions de son permis, en vulgarisant, en expliquant, en accompagnant. Mais il faut aussi responsabiliser les exploitants, et l’UWE nous y aide d’ailleurs en informant ses membres sur une législation environnementale qui reste très complexe. Nous devons sanctionner les cowboys.

Quand le citoyen, à qui on demande des efforts, voit des entreprises, heureusement peu nombreuses, polluer en toute impunité, c’est délétère pour l’image de l’action publique et des entreprises en général. C’est pour cela que nous avons renforcé les sanctions et nous avons mis en place une stratégie de contrôle avec l’administration, basée sur les risques. Le service des plaintes et celui des contrôles sont désormais bien articulés. Là où il y a plus de plaintes de riverains, il y aura aussi plus de contrôles.

Au risque de renforcer encore l’effet Nimby. N’est-il pas là, dans cet effet Nimby, le principal frein à la réindustrialisation de la Wallonie ?

“Le bien commun, c’est quand même qu’on ait un jour des énergies propres dans ce pays.”

P.M. Le citoyen a évidemment le droit de défendre ses intérêts, son bien-être, son environnement. Mais si on peut chaque fois relancer un recours qui, vu l’arriéré judiciaire, bloque tout pendant deux ou trois ans, c’est du pain bénit pour les opposants. On dit « les riverains » mais il suffit d’un riverain pour bloquer un champ éolien.

Le bien commun, c’est quand même qu’on ait un jour des énergies propres dans ce pays, évidemment en indemnisant correctement celles et ceux qui sont impactés. C’est de la justice climatique et de sécheresses en inondations, nous en voyons tous la nécessité.

C.T. La première chose à faire, c’est l’information la plus complète et la plus transparente pour les citoyens. Nous avons un système de participation bien développé avec les réunions d’information, les études d’incidence, les enquêtes publiques qui informent les citoyens sur les risques en lien avec le développement d’une activité économique. Mais il y a pas mal de désinformation aussi, de transformation des informations, à des fins pas toujours très glorieuses.

Je reviens sur le dossier de la Boucle du Hainaut qui a des impacts potentiels importants sur la santé et sur le cadre de vie. Nous devons fixer des conditions strictes pour protéger les riverains mais ce dossier doit aboutir, car il faut desservir les entreprises hainuyères avec l’électricité produite en mer du nord.

Céline Tellier

· 38 ans, docteure en Sciences politiques (ULB)

· Rejoint Inter-Environnement Wallonie (Canopea désormais) en 2010.

· Désignée ministre wallonne de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal en 2019. C’est sa première expérience politique.

Pierre Mottet

· 61 ans, ingénieur commercial (UCLouvain)

· CEO d’IBA de 1996 à 2012. Il préside depuis le conseil d’administration de l’entreprise

· Manager de l’Année 1997 (avec Yves Jongen, cofondateur d’IBA)

· Président de l’UWE depuis 2021

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