L’inévitable retour des mines en Wallonie

En Belgique, l’industrie minière souffre d’une image désastreuse, liée à des souvenirs de catastrophes, de pollution, de souffrance ouvrière. © Getty Images
Baptiste Lambert

Face aux ambitions de l’Union européenne, à la dépendance envers la Chine et aux tensions géopolitiques, la Belgique – et en particulier la Wallonie – se retrouve au pied du mur. Relancer l’exploitation minière, un sujet que l’on croyait relégué aux archives industrielles, redevient un enjeu brûlant. C’est non seulement une obligation stratégique, mais aussi un défi. Celui de l’acceptation sociétale.

C’est une sortie médiatique qui est un peu venue de nulle part. Interrogé sur la nécessité de forer en Wallonie, à la recherche de “terres rares”, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, s’est dit “extrêmement pour”, dans la matinale de Bel-RTL. “Nous, Européens, avons été très courageux, on a refourgué ça à la Chine qui, aujourd’hui, exploite ses ressources de façon totalement indigne sur le plan environnemental, mais aujourd’hui, on est totalement dépendants de la Chine pour tous nos composants électroniques”, a asséné le libéral.

Il est vrai que face aux menaces douanières de l’administration Trump, Pékin a annoncé restreindre ses exportations de “terres rares” tous azimuts, soulignant, s’il le fallait encore, la mainmise de la Chine sur 90% de leur production ou traitement.

L’obligation européenne

Passons la confusion très répandue entre “terres rares”, minéraux et métaux critiques. En mars 2023, l’Union européenne adoptait le Critical Raw Materials Act (CRM Act), véritable électrochoc dans un contexte de tensions mondiales. L’objectif affiché étant de sécuriser, d’ici 2030, 10 % de la production annuelle mondiale de matériaux critiques sur le sol européen.

L’UE a listé 34 matières premières critiques, dont les “terres rares” font partie, aux côtés du nickel, du graphite, du lithium, du cobalt, ou encore, plus récemment, du cuivre. Ces matières premières ne sont, en réalité, pas rares, mais la prochaine révolution industrielle, celle de l’électron, en requiert d’immenses quantités. Le plan européen impose à chaque État membre de recenser ses ressources et de faciliter les permis d’exploration et d’exploitation. Une compétence qui est toutefois régionalisée chez nous.

Alors, à la question de savoir si l’idée de forer en Wallonie est complètement farfelue, nos trois interlocuteurs, grands spécialistes des sous-sols belges, sont unanimes : pas du tout ! “Ce n’est pas une réflexion saugrenue de penser à une autonomie minimale dans le domaine des matières premières”, tranche le géologue éric Pirard, enseignant à l’ULiège. “C’est même une obligation vis-à-vis de l’Europe”, ajoute Sophie Decrée, géologue au sein du service géologique de Belgique, rappelant que le CRM Act a force de loi. Fin mars, la Commission européenne a d’ailleurs identifié 47 projets pour réduire notre dépendance aux matériaux critiques, dont deux se situent en Belgique.

Par contre, les ambitions et surtout le délai européens semblent totalement hors de portée. Entre les autorisations, l’exploration et l’exploitation d’un gisement, il faut 10 à 15 ans, voire plus. “Le timing des décideurs politiques n’est pas celui des professionnels de l’extraction”, souligne Johan Yans, docteur en sciences de la Terre et professeur ordinaire à l’UNamur. “C’est un peu mettre la charrue avant les bœufs, confirme éric Pirard, mais ce n’est pas grave, le message est là.” Les spécialistes se font enfin entendre après avoir crié dans le vide pendant plus de 20 ans.

La méconnaissance des sous-sols

Si la Belgique possède un passé minier important, notamment dans le zinc, le plomb ou le charbon, elle n’a quasiment rien investi depuis 30 ans dans la cartographie de ses ressources profondes. Résultat : le pays avance aujourd’hui dans le brouillard.

“Si vous me demandez ce qu’on sait du sous-sol belge sous 100 mètres, j’aurais tendance à vous dire : zéro”, avoue Sophie Decrée, pourtant autrice du Critical Raw Materials Atlas of Belgium, un état des lieux des connaissances du sous-sol belge. Des données existent, grâce à l’abnégation de chercheurs de l’UGent, de l’ULiège et de l’UMons, qui ont maintenu la flamme malgré le désintérêt politique. Mais ce travail reste partiel. “Contrairement à d’autres pays, on n’a pas investi dans un programme d’exploration continu”, déplore l’experte. La Belgique est très en retard. Explorer ne signifie pas forcément exploiter. Mais ne pas explorer revient à se priver d’outils pour décider en connaissance de cause, comme le souligne éric Pirard : “On se doit simplement, en bon père de famille, regarder ce qu’on a dans le sous-sol.”

Un gros potentiel

Malgré ce déficit de connaissance, plusieurs zones d’intérêt géologique sont déjà identifiées, notamment en Wallonie. Le potentiel est réel, parfois même stratégique. Le gisement de phosphate sous Mons est emblématique. “Il s’agit du deuxième gisement de phosphate sédimentaire européen”, explique Sophie Decrée. Il est malheureusement situé à faible profondeur sous une zone urbaine dense, ce qui complique toute exploitation.

Le plomb et le zinc, historiquement exploités à Plombières ou La Calamine, rappelle Johan Yans, pourraient redevenir pertinents. S’ils ne figurent toujours pas sur la liste des métaux critiques, ils sont associés à des métaux stratégiques comme le germanium, le gallium ou l’indium, utilisés dans l’optique infrarouge, l’électronique ou la fibre optique. Des métaux bien utiles pour les industries de la défense ou de la transition énergétique. “Le germanium est un coproduit. Il n’y a pas de mine où on en trouve, précise éric Pirard. Mais il s’extrait lors du traitement du zinc, ce qui réactive l’intérêt pour les anciennes zones minières.”

Le massif du Brabant, plus au nord-ouest de la Belgique, recèle des indices d’arsenic, de cuivre et de métalloïdes critiques. Plusieurs recoupements d’anomalies géophysiques et géochimiques y ont été détectés, indique Sophie Decrée. De même, dans le massif de Stavelot, on retrouve des traces de manganèse, de lithium et de cuivre dans des formations anciennes. Une exploitation serait toutefois rendue impossible, si le projet du téléscope Einstein devait voir le jour dans l’est de la Belgique, met en garde Johan Yans. Et cela en raison des interférences avec les ondes gravitationnelles. Tout est une question de choix.

En fait, ces données forment un faisceau d’indices vers des gisements potentiels beaucoup plus importants. Elles doivent bien sûr être croisées, vérifiées, et intégrées dans un programme d’exploration ambitieux. “On connaît des occurrences, mais il faut absolument faire de l’exploration”, insiste Sophie Decrée. Car au-delà du gisement lui-même, c’est la capacité à en comprendre la géologie, la faisabilité technique, économique, et l’impact environnemental qui rendra l’exploitation possible.

L’acceptation sociétale

En Belgique, l’industrie minière souffre d’une image désastreuse. Liée à des souvenirs de catastrophes, de pollution, de souffrance ouvrière, elle suscite un rejet quasi viscéral. Les gens font déjà des recours pour une éolienne, alors imaginez une mine. C’est le phénomène désormais bien connu NIMBY, not in my backyard. Pourtant, pour ce qui est de l’exploitation minière, les choses ont bien changé, notamment d’un point de vue technologique. “Il y a une sorte de dissonance cognitive : votre vie a changé depuis 20 ans, mais vous pensez que les mines n’ont pas changé, analyse Johan Yans. Ce n’est plus Germinal : grâce à la robotisation, l’extraction peut désormais se faire à distance, avec une précision accrue et des risques humains réduits. Tous les robots sont contrôlés depuis la surface.”

De plus, l’exploitation souterraine, quasi invisible en surface, est à présent privilégiée dans les zones densément peuplées comme la Wallonie, abonde Sophie Decrée. Des expériences existent, même dans des zones Natura 2000 ou classées Unesco, preuve que la compatibilité environnementale est envisageable. Sans oublier que “les codes miniers intègrent beaucoup d’obligations et de remises en état des sites”, ajoute éric Pirard.

L’impact environnemental d’une mine ne peut évidemment être nié. Ce n’est pas le propos. “Mais je préfère que ça se fasse chez nous. Ce sera l’occasion de démontrer ce qu’on peut faire”, confie le spécialiste des ressources minérales à l’ULiège. Exploiter localement, dans des conditions encadrées, permettrait de réduire la dépendance à des pays où les normes environnementales et sociales sont souvent déplorables.

“Ce qu’on ne veut pas voir chez nous, on ne peut plus l’imposer ailleurs” – Sophie Decrée, géologue (service géologique de Belgique)

Enfin, toute activité humaine a un impact. “Si je voulais être un peu provocateur, je dirais qu’en agriculture, pour une certaine valeur produite, l’impact environnemental est souvent beaucoup plus grand parce que l’agriculture, c’est en surface, sur la biosphère. La mine, elle part à la verticale, en profondeur, ce qui en général dérange moins”, ajoute l’expert. Mais une acceptation sociétale convaincante suppose une transparence totale, une concertation en amont et une pédagogie renouvelée. “Ce qu’on ne veut pas voir chez nous, on ne peut plus l’imposer ailleurs”, résume Sophie Decrée. Or, “on extrait 106 milliards de tonnes par an à travers le monde, rappelle Johan Yans. Cela équivaut à une piscine olympique toutes les trois secondes.” La mine du 21e siècle devra aussi être un projet de société.

© naturalscience.be / geological survey of belgium

La nécessité d’investir

Tout cela ne pourra se faire sans investissements massifs. L’exploration minière coûtera des millions d’euros rien qu’en Wallonie, sans garantie de débouché à court terme. “Il faut investir massivement. On n’a plus rien fait pendant des dizaines d’années”, tacle Sophie Decrée.

Mais le monde politique ne semble pas encore avoir pris la mesure des défis qui nous attendent. Les financements scientifiques peinent à arriver. Sous la précédente législature, Céline Tellier (Ecolo), la ministre de l’Environnement, a fait adopter un nouveau Code wallon des ressources du sous-sol. Il encadre la protection des sous-sols et inscrit le principe de “gestion parcimonieuse”. Selon Johan Yans, “ce cadre n’est ni plus favorable ni moins favorable, mais il signale des limites”, comme le fracking, la fracturation de la roche pour obtenir, par exemple, du gaz de schiste. Il dépoussière aussi une législation “qui date d’un siècle”, ajoute le professeur.

Pour ce qui est l’exploitation des sols, c’est l’actuel ministre du Territoire, François Desquesnes (Engagés) qui est en charge des matières premières. Son cabinet nous indique que le nouveau code fait déjà l’objet d’un recours introduit par une ASBL citoyenne devant la Cour constitutionnelle. En sus, plus aucun projet d’investigation géophysique n’a eu lieu depuis 2017 et celui de la société Walzinc. Et plus aucune demande d’autorisation de forage à visée minière n’a été déposée depuis le début des années 1990. Bref, l’exploration minière est au point mort en Wallonie et bien loin des obligations européennes.

“On veut retourner sur la Lune et aller sur Mars, alors qu’on ne sait même pas ce qu’il y a à 300 mètres sous nos pieds” – Eric Pirard (ULiège)

Explorer, ce n’est pas (encore) exploiter. Mais refuser de savoir ce que contient notre sous-sol, c’est renoncer à maîtriser notre avenir et notre souveraineté, résument les trois experts. Dans un monde en recomposition rapide, la relance minière en Wallonie n’est finalement ni un caprice ni une régression. C’est un choix de raison, pourvu qu’il soit accompagné d’intelligence, de technologie… et de courage politique. Tout est une question de priorités. “On veut retourner sur la Lune et aller sur Mars, alors qu’on ne sait même pas ce qu’il y a à 300 mètres sous nos pieds”, conclut éric Pirard.

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