Le chantier du siècle à Liège et les entreprises des quartiers concernés

Liège vue du ciel
© Getty Images
Pascal Flisch RESEARCH & DEVELOPMENT MANAGER - Trends Business Information

De manière générale et même internationale, depuis 2020, le monde des entreprises est mis à rude épreuve. La pandémie et la crise en Ukraine ont laissé des traces et induit des changements de comportement durables du consommateur.

En 2023, les plus gros défis viennent principalement des hausses de coûts salariaux et des taux d’intérêts. Il découle de tout cela un problème global de pouvoir d’achat dégradé, ce qui n’est pas favorable aux entreprises. Enfin, les obligations de verdissement accéléré de l’économie vont de plus en plus se faire sentir dans les années à venir.

Le contexte local

Un chantier colossal, qui s’étend sur plusieurs quartiers et plusieurs années a inévitablement un impact important sur la vie locale d’une ville. Celui du tram à Liège a commencé en 2019 et prend tout doucement l’allure d’un monstre sans fin. Il génère de plus en plus de réactions acerbes et désabusées de la population locale et des navetteurs qui tentent malgré tout de circuler en voiture.

Mais quel est jusqu’ici son impact sur la vie des entreprises locales ?

Les quartiers impactés

Pour cette petite analyse, nous nous nous focaliserons sur les quartiers INS suivants :

BONNE-NOUVELLE, CAMPAGNE-DE-SCLESSIN, CATHEDRALE, CORONMEUSE-MORINVAL, DARCHIS, DROIXHE, FERONSTREE, FRAGNEE, HALLE DES FOIRES, JOSEPH-TRUFFAUT, LA GROTTE, MAGHIN, PARADIS, ROME, SAINT-CHRISTOPHE, SAINTE-MARIE, SAINT-JACQUES, SAINT-JEAN, SAINT-LAMBERT, SCLESSIN-CENTRE, STANDARD, TERRASSES, VAL-BENOIT et VERTE-VOIE.

Sur le site que la ville consacre au chantier ce sont ceux qui sont décrits comme étant impactés.

La population active

Commençons par planter le décor. La population actuelle des entreprises se répartit comme suit :

Entreprises actives en 07/2023
Quartiers INSEtablissements secondairesSiègesTotal
BONNE-NOUVELLE141469610
CAMPAGNE-DE-SCLESSIN2676102
CATHEDRALE354604958
CORONMEUSE-MORINVAL52195247
DARCHIS255595850
DROIXHE59148207
FERONSTREE187430617
FRAGNEE116293409
HALLE DES FOIRES131326
JOSEPH-TRUFFAUT82129
LA GROTTE3670106
MAGHIN108329437
PARADIS181437618
ROME93353446
SAINT-CHRISTOPHE113353466
SAINTE-MARIE2667431.009
SAINT-JACQUES124329453
SAINT-JEAN5076231.130
SAINT-LAMBERT4687171.185
SCLESSIN-CENTRE3182113
STANDARD335083
TERRASSES110292402
VAL-BENOIT40113153
VERTE-VOIE265379
Total3.3477.38810.735

10.735 entreprises y sont donc actives. 7.388 y ont leur siège et 3.347 y exploitent au moins un établissement secondaire, mais ont leur siège ailleurs.

Les populations sont forcément différentes d’un quartier à l’autre, mais la densité globale est assez importante.

A titre d’illustration, la province de Liège compte 122.000 sièges d’entreprises et la ville entière en compte 26.000 au total.

L’évolution depuis 2019

Nous allons passer en revue 3 indicateurs principaux qui déterminent l’évolution d’une population d’entreprises : Les nouvelles entreprises, les arrêts d’activité (dont les faillites) et les déménagements entrants et sortants.

Voyons ce que ça donne.

Les starters

StartersEtablissements secondairesSiègesTotalTaux de survie à 06/2023
201928850879665,20%
202026944971869,36%
202128950979874,81%
202224752477187,68%
juin-239622131798,11%

Globalement, il semble que de nouveaux entrepreneurs continuent à y croire et viennent s’installer dans les quartiers concernés. En 2021, année de rattrapage et de compensation post lock-down, les chiffres sont même équivalents à ceux de 2019, pourtant exceptionnelle pour tout le pays. Il semble que l’enthousiasme ralentisse toutefois en 2023.

Fin juin 2022, on comptait par exemple déjà 384 nouvelles installations. Alors que le premier semestre de l’année est en général le plus dynamique, on n’est qu’à 317 cette année. Si cela se confirme, c’est un peu inquiétant.

Mais le plus inquiétant est que le taux de survie pose manifestement aussi problème. Un an après leur installation, déjà 12% des entreprises ont du jeter l’éponge. Les pourcentages montent ensuite rapidement : 25% après deux années et plus de 30% ensuite. A peine deux tiers des entreprises tiennent plus de 4 ans.

Les arrêts

On vient de le voir, les jeunes entreprises ont un taux de survie problématique. Mais les entreprises qui arrêtent leurs activités sont bien plus nombreuses encore.

ArrêtsEtablissements secondairesSiègesTotal
2019268507775
2020243660903
2021282617899
2022251634885
juin-23109342451

Au total de la période 2019 à 06/2023, ce ne sont pas moins de 3.913 entreprises qui ont arrêté leurs activités dans le secteur. Parmi les secteurs qui font la convivialité des quartiers, on compte 138 restaurants, 206 snacks, 215 cafés et bars, mais aussi 56 salons de coiffure et surtout 509 commerces de détail. Des vitrines qui se vident, ne trouvent pas forcément repreneur et anesthésient l’ambiance locale.

L’évolution globale est donc clairement à la décroissance :

EvolutionEtablissements secondairesSiègesTotal
201920121
202026-211-185
20217-108-101
2022-4-110-114
juin-23-13-121-134

2019 est donc la dernière année de (très légère) croissance positive du tissu économique de la zone. Depuis lors, c’est la décroissance nette.

2023 semble même marquer une accélération du phénomène, puisque la perte nette des entreprises actives dépasse déjà les chiffres de 2021 et 2022. L’attractivité du centre de Liège est donc rudement mise à mal. 147 des 451 arrêts de 2023 concernent des indépendants (32,59%). Côté ambiance générale, les commerces tels que l’Horeca restent le plus touché avec 15 restaurants, 29 snacks et 30 cafés et bars. 8 salons de coiffure et 56 magasins ont aussi jeté l’éponge.

Les faillites

On notera par contre avec soulagement, que les faillites restent assez peu nombreuses.

AnnéesFaillites
2019131
202283
202177
202282
juin-2359

C’est une tendance nationale d’ailleurs. On a globalement trop peu de faillites par rapport à la population active, ce qui a pour conséquence que beaucoup d’entreprises malades continuent leurs activités malgré leurs faiblesses structurelles et empêchent une saine reprise avec un tissu économique fort. Mais c’est un autre problème, qui dépasse largement le contexte analysé ici.

Ce qu’il faut déduire ici, c’est que les entreprises arrêtent avant d’être acculées à la faillite, ce qui n’est pas plus mal en soi.

Les déménagements

Cette dernière statistique semble pourtant vouloir inverser la tendance à la fuite des quartiers. A côté des nouvelles entreprises et des arrêts d’activités, il y a aussi les simples emménagements et déménagements. Quand on fait la différence entre ceux qui tentent leur chance et ceux qui partent, la décroissance semble s’être arrêtée :

AnnéeSolde des déménagements
2019-61
2020-83
2021-53
202222
juin-2312

Même si la tendance générale est à la stagnation, on notera toutefois un tournant légèrement positif depuis 2022, qui se confirme en ce premier semestre 2023. Peut-être que certaines entreprises se disent qu’il est temps de prendre place et d’être opérationnel avant la renaissance promise après les travaux ?

Conclusion

Cumuler le chantier du siècle avec des crises mondiales successives est évidement un grand coup de malchance pour Liège. Personne ne pouvait prévoir en 2019 qu’une pandémie allait fermer temporairement les commerces un an plus tard, ni que la Russie allait entamer en 2022 une deuxième phase brutale de l’invasion de son voisin immédiat, aux portes de l’Union Européenne. Toujours est-il que ce chantier aggrave la situation pour les entreprises. Dans tout le pays, le nombre d’entreprise a toujours continué à croître, même en 2020. Ce n’est pas le cas à Liège.

Les défis restants sont nombreux.

Bien que le chantier entame sa 5e année, il est loin d’être terminé. Or, la durée use, c’est bien connu.

Il faudra ensuite réaménager pour rendre attractif. Le plan de mobilité sera crucial. Il n’y a qu’à voir ce qu’il se passe à Bruxelles pour en mesurer l’importance.

Et puis il y a le bâti, généralement ancien, qu’il faudra rénover pour répondre aux normes énergétiques actuelles.

Enfin, il y a aussi les défis purement entre les mains des entreprises elles-mêmes : répondre aux besoins d’une clientèle qui évolue rapidement, achète en ligne, a son pouvoir d’achat rogné et change ses priorités.

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