La Wallonie, terre d’accueil des entreprises ?

L’objectif est de limiter l’artificialisation des sols. © BELGA/BELPRESS
Baptiste Lambert

Au contraire de la Flandre, la Wallonie dispose d’espaces pour accueillir sur son sol des entreprises. Un avantage dont elle veut profiter sans dénaturer au sens propre son territoire. Un difficile équilibre mis en lumière par les nouveaux Code et Schéma de développement territorial (CoDT et SDT), récemment adoptés.

“Je suis très jaloux de la Wallonie.” Le député nationaliste flamand Sander Loones (N-VA) aura déclenché les rires, au théâtre de Liège, lors du “Grand débat économique : comment réinventer la Wallonie ?”, co-organisé par Trends-Tendances, La Première et le Cercle de Wallonie, fin avril. “Je suis très jaloux parce que vous disposez de beaucoup d’espaces libres que nous n’avons plus en Flandre”, a lâché l’un des députés fédéraux de l’opposition les plus actifs de cette législature. “Votre économie n’est pas encore consolidée, ce qui vous permet d’attirer de nouvelles opportunités. Et vous pouvez encore activer de nombreuses personnes, alors que la Flandre ne parvient plus à trouver de la main-d’œuvre. ”

Des arguments soutenus par Cécile Neven, la présidente de l’Union wallonne des entreprises (UWE), ou encore par Thomas Dermine (PS), présents au débat, avec Eric Domb, le CEO de Pairi Daiza. Tous acquiescent : la transition énergétique constitue un tournant pour la Région wallonne, 40 ans après avoir enclenché son déclin, avec l’abandon du charbon. Et à cet égard, les disponibilités de terrain et de main-d’œuvre sont des atouts qui doivent permettre au sud du pays de se réinventer.

Développer l’économie sans détériorer cette belle région. On retrouve ce paradoxe dans les récentes réformes du CoDT et du SDT. Leur objectif ? Endiguer l’artificialisation des sols. En effet, depuis 1985, l’artificialisation a gagné 588 km² en Wallonie, soit une augmentation de 46,7% ou 15,5 km² par an, selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). Cette artificialisation des sols s’est principalement faite au détriment des surfaces agricoles et des surfaces enherbées. Désormais, 16% du territoire wallon est bétonné (en comptant le non cadastré), au profit de fonctions urbaines comme l’habitat ou l’activité économique.

Un difficile équilibre

Cette artificialisation est contraire aux objectifs belges et européens de développement durable, notamment en matière d’environnement et de biodiversité. Elle détériore aussi l’une des plus grandes richesses de la Région wallonne : son territoire et les touristes qu’il attire. Sous l’impulsion du ministre wallon de l’Economie et de l’Aménagement du territoire, Willy Borsus (MR), le CoDT, soutenu par les partenaires écologistes et socialistes, est entré en vigueur ce 1er avril. Son but ultime : mettre fin au béton à l’horizon 2050. L’objectif intermédiaire : limiter l’artificialisation des sols à 6 km² par an, la moitié d’aujourd’hui.

Depuis 1985, l’artificialisation a gagné 588 km² en Wallonie.

Le CoDT met en avant le concept de “centralité” qui veille à lutter contre l’étalement urbain. Ce dernier réduit à rien les limites entre les villes et les villages, à l’instar de ce que l’on observe en Flandre. En résumé, la priorité absolue va aux zones déjà construites ou équipées. Il sera beaucoup plus simple d’obtenir un permis d’urbanisme dans ces centralités et beaucoup moins en dehors.

Les communes sont donc en première ligne. Ces centralités s’appliqueront aussi bien aux villes qu’aux villages. Fin avril, Willy Borsus a fait adopter le SDT qui n’avait plus été révisé depuis 25 ans. Face à la protestation des communes, durant l’été, la nouvelle mouture, qui entrera en vigueur le 1er août, leur laisse la possibilité de déterminer plusieurs centralités, ainsi que des cœurs excentrés. Pour mieux répondre au caractère polycentrique de certaines communes. Mais le principe reste le même : l’étalement, c’est terminé.

Concrètement, le SDT donne six ans aux communes pour adapter ces zones de centralité, dans lesquelles se concentreront les nouveaux projets. Sans quoi, c’est le schéma initial qui s’appliquera : une centralité par commune. Et ça ne doit pas être pris à la légère. A titre d’exemple, au niveau de l’habitat, trois nouveaux logements sur quatre devront obligatoirement être construits dans ces centralités.

Zones économiques

A l’été dernier, l’attention médiatique s’est portée sur la fin potentielle des nouvelles villas quatre façades en pleine campagne. Mais l’enjeu est bien plus important pour les zones économiques. Comment la Wallonie peut-elle se transformer en terre d’entreprises, tout en réalisant une très forte limitation de l’artificialisation des sols ? En conservant les zones d’activité économique, qui ne sont par ailleurs pas toutes remplies. “Pour les futurs projets, 30% des entreprises devront s’implanter sur les anciennes zones désaffectées. C’est l’objectif à l’horizon 2030”, appuie Willy Borsus.

Il s’agit principalement de zones à réaménager ou à réhabiliter, en plus d’anciennes friches industrielles. “Pourquoi 30% ? C’est une démarche qui doit être progressive. En outre, ces sites se trouvent essentiellement dans une partie de la Wallonie, au sein des anciens bastions industriels, le long du sillon Sambre et Meuse, pas dans le Luxembourg ou dans le Brabant wallon”, argumente le libéral. L’objectif fixé : 100 hectares par an. Samuel Saelens, directeur du Pôle compétences à l’Union wallonne des entreprises, estime que les besoins sont plus grands. Il nuance le tableau : “La Wallonie a des terrains disponibles, surtout pour les plus petites structures. En revanche, on sait qu’on a plus des problèmes concernant les grands terrains. C’est plus compliqué pour les grands projets industriels, par exemple”.

“Pour les futurs projets, 30% des entreprises devront s’implanter sur les anciennes zones désaffectées.“ – Willy Borsus

Willy Borsus se dit toutefois ouvert à augmenter la fréquence dans le cadre de la prochaine législature. En outre, il rappelle que la Wallonie a lancé en décembre dernier la plateforme WalSpace qui cartographie chaque trimestre les espaces disponibles. “Une demande de longue date”, se réjouit l’UWE. On apprend ainsi que 1.444 hectares publics sont encore disponibles pour y implémenter une entreprise, sur une surface utile totale de 12.414 hectares pour 457 zonings et zones portuaires. Le ministre y ajoute la toute récente procédure Fast-Track, une initiative qui vise à rendre l’administration wallonne plus “entreprises friendly”. Concrètement, le but est de simplifier et d’accélérer les procédures pour les projets d’entreprises à fort potentiel. Seront visées : des entreprises stratégiques qui généreront au moins 20 emplois et un investissement minimum de 10 millions d’euros. A voir comment cela se traduit sur le terrain.

Pour le ministre libéral, il fallait trouver un équilibre entre développement économique et préservation du territoire, et le CoDT et le SDT y répondent : “Le territoire est limité par définition. Et le cadre global est tout aussi important pour les entreprises : pouvoir s’installer dans une région accueillante dont le cadre de vie est préservé fait aussi partie des atouts de la Wallonie.”

De son côté, l’UWE soutient ce projet de désartificialisation des sols, mais appelle à rendre “3.000 à 4.000 hectares de friches” disponibles pour l’activité économique. “Si l’on veut réindustrialiser la Wallonie, les friches les plus stratégiques doivent retourner majoritairement aux entreprises. On a l’impression que tout le monde veut utiliser ces friches pour faire du potager urbain ou des lotissements, mais l’avenir de la Wallonie passera par son activité économique et industrielle. Aujourd’hui, le taux de réhabilitation en faveur des entreprises est beaucoup trop faible”, met en garde Samuel Saelens.

Les entreprises doivent pouvoir s’installer dans une région accueillante dont le cadre de vie est préservé. © Belpress.com

Zones commerciales

Le CoDT et le SDT concernent tout autant les surfaces commerciales. “Il y en a trop, tranche le ministre de l’Economie. Si on a une suroffre commerciale qui ne correspond pas à la demande, on a un appauvrissement du commerce. Car le portefeuille des Belges n’est pas extensible. Les commerces qui se déploient doivent se partager le même gâteau.”

“On a l’impression que tout le monde veut utiliser ces friches pour faire du potager urbain ou des lotissements, mais l’avenir de la Wallonie passera par son activité économique et industrielle.” – Samuel Saelens (UWE)

L’offre de commerces est particulièrement abondante en périphérie, ce qui déforce souvent les centres-villes : +133.715 m² entre 2019 et 2022 pour les surfaces commerciales de plus de 200 m². Concrètement, là encore, l’étalement sera limité : à 2.500 m² dans les centralités et à 1.500 m² en dehors.

Mais l’Union wallonne des entreprises incite à nouveau à la prudence : “Ça doit être mieux analysé et nuancé. Après tout, l’Observatoire du commerce a récemment validé de nouveaux projets. Cela veut dire qu’il y a encore des endroits où des projets commerciaux restent pertinents. Il faut que tout soit objectivé par secteur et par région. Il faut absolument rentrer plus dans les détails.”

Permis d’environnement : vers une présomption de ­culpabilité ?

Les réformes s’enchaînent en fin de législature et l’une d’elles concerne directement les entreprises wallonnes : la réforme du permis d’environnement. C’est à noter, elle est plutôt bien accueillie par l’UWE. D’abord parce que cette réforme accordera le permis d’environnement à durée indéterminée, le temps de la durée de vie de l’exploitation. Auparavant, le permis était accordé pour 20 ans. L’autre volet de la réforme vise à simplifier la procédure. Au vu de la législation environnementale très complexe, l’exploitant sera désormais confronté à une sorte de check-list à remplir pour obtenir le permis et puis s’auto-contrôler.
Car ce permis ne sera donc pas un blanc-seing, prévient la ministre de l’Environnement, Céline Tellier. L’écologiste veut en faire un outil de monitoring environnemental, à travers lequel l’entrepreneur devra fournir un retour régulier de l’impact de son activité sur l’environnement. Il reste à voir comment cela se concrétise, mais c’est à nouveau plutôt vu d’un bon œil par l’UWE : les cowboys seront sanctionnés, les autres soutenus.
En revanche, une inquiétude porte sur la caution bancaire que les entreprises devront apporter pour faire face à d’éventuelles sanctions environnementales. Aujourd’hui, elles existent déjà pour les entreprises les plus polluantes et sont mobilisables à la fin de l’exploitation. Le changement consiste à pouvoir mobiliser cette caution en cours d’exploitation. Ici encore, Willy Borsus tente de rassurer : “J’insiste, ce n’est absolument pas la généralisation des cautions pour toutes les entreprises et toutes les obtentions de permis.” En tout cas, ce n’est pas l’intention. “Un arrêté réglementaire du gouvernement doit encore encadrer cette mesure”, rappelle le ministre libéral. A charge du prochain gouvernement de baliser cette caution dont l’application reste encore floue.
Les entreprises appellent surtout de leurs vœux la dématérialisation des procédures pour obtenir un permis d’environnement. La numérisation est une demande de longue date. “C’est vraiment en cours de préparation, promet Willy Borsus. On a beaucoup travaillé sur ce volet qui devrait atterrir lors de la prochaine législature. On aura une digitalisation complète des permis environnementaux, d’urbanisme ou des permis uniques.”

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