Etienne de Callataÿ: “Le laxisme du PS en Wallonie est une complaisance coupable”
L’économiste titre à boulets rouges sur l’approche de Thomas Dermine qui, dans son récent livre, oublie le passif dû au socialisme. Il dénonce l’aveuglement politique alors que les indicateurs wallons sont catastrophiques.
Dans une carte blanche cosignée avec son collègue flamand Geert Noels, publiée dans L’Echo ce week-end, l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management) critique vivement l’approche de Thomas Dermine exposée dans son livre “Wallonie-Flandre, par-delà les clichés”. Plus fondamentalement, il dénonce un aveuglement coupable des Wallons.
Etienne de Calataÿ s’en explique sans retenue pour Trends Tendances.
Que reprochez-vous au livre de Thomas Dermine?
Il n’évoque pas la responsabilité du socialisme depuis cinquante ans dans la situation actuelle de la Wallonie. La part du PS dans la gouvernance publique est passée sous silence. Je vais être cru: c’est se moquer du monde.
Ce livre veut aller à l’encontre du Wallonie bashing, mais il n’est pas lucide, c’est cela?
Ce livre s’arrête au tout début de l’histoire. En clair, il s’agit d’expliquer que cela va mal parce qu’il y a l’héritage industriel. Mais cela fait plus de quarante ans que la Wallonie est une Région, avec des leviers de décision: on ne peut pas se satisfaire d’avoir enrayé la détérioration de la situation.
Ce n’est d’ailleurs pas correct à certains égards. Jean Hindriks (UCLouvain) faisait circuler des chiffres concernant le taux d’activité montrant que l’écart continue à se creuser. Année après année, les chiffres du PIB montrent que la croissance est plus forte en Flandre qu’en Wallonie. Les indicateurs de stabilisation relative de la Wallonie sont partiels, au mieux. Mais Thomas Dermine refuse d’envisager des explications propres à la politique économique telle que les Wallons ont choisi de la mener.
Vous dénoncez le “laxisme” wallon. C’est-à-dire?
C’est en fait un manque de courage, une volonté d’aller dans le sens du poil… c’est de l’électoralisme. Il se marque à d’autres égards, dans le sous-régionalisme.
Thomas Dermine a activement contribué à la mise en place d’un centre de biotech à Charleroi. Il a donné carte blanche à ceux qui ont mené le projet, il ne fallait pas qu’il y ait de nominations politiques dans le conseil notamment, mais une contrainte était incontournable: cela devait être à Charleroi.
On n’a pas pris des mesures assez courageuses en matière d’acquis sociaux, aussi?
Tout à fait. Je parlais récemment avec mon collègue Philippe Defeyt. Aujourd’hui, dans la plupart des sociétés de logement social, on accepte l’idée que le fils ou la fille d’un locataire de logement social ait la priorité absolue pour rester dans le logement. C’est une règle non-écrite.
Et sans conditions?
Sans conditions, voilà. Parce que si l’on met cette personne dehors, elle vous en voudra très fort. On a plus à y gagner sur le plan électoral.
Ne faut-il pas davantage de conditions pour les allocations liées aux objectifs pour créer de l’emploi, de l’activité… Sans sanctionner pour sanctionner?
Mille fois d’accord. Je n’aime pas le côté que l’on va retrouver au MR de sanctionner pour sanctionner. Des chercheurs de l’UCLouvain ont montré que les sanctions a ne portaient pas leurs fruits. Mais il faut avoir une autre approche en matière de logement social ou d’emploi. Regardez le parcours d’intégration qui est obligatoire en Flandre, mais optionnel du côté francophone. Pour avoir accès à un logement social en Flandre, il faut démontrer que l’on s’est inscrit à un cours de langue. On a vraiment une attitude laxiste chez nous. Un autre exemple, c’est la suppression des devoirs à l’école. Ou encore: si vous habitez Tournai, vous pouvez refuser un emploi à Courtrai parce que le fait que ce soit dans une autre région linguistique fait que ce n’est pas un emploi convenable.
C’est moi qui ai mis le mot “laxisme” dans la carte blanche. C’est une forme de complaisance. Je ne veux pas faire du “Wallonie bashing”, cela n’aurait aucun sens, mais il faut se rendre compte de la situation: les indicateurs sont catastrophiques! On ne peut quand même pas se satisfaire de la situation de la pauvreté infantile en Wallonie quand même! On nous dit que l’on a arrêté le déclin, parce qu’il ne faut pas poser un constat trop noir pour se faire réélire.
Et il ne faut pas trop taper sur le bilan d’Elio Di Rupo à la ministre-présidence wallonne…
Mais est-ce que c’est en trichant sur le bilan comme Thomas Dermine le fait que l’on y arrivera? Non. Le raisonnement est simple: il veut d’abord se faire réélire et, ensuite, changer les choses de l’intérieur. Mais il se trompe complètement. Après avoir tenu le discours qu’il tient maintenant, il sera pieds et poings liés. Penser qu’un fois qu’il sera ministre-président wallon, tous les appareils du PS et de la FGTB vont le suivre, c’est s’illusionner.
Derrière, il y a une analyse politique qui est défaillante. Regardez: un Charles Picqué n’a pas fondamentalement fait changer le PS bruxellois alors que c’était quelqu’un d’intelligent et avec un support électoral incontournable à Saint-Gilles. Monsieur Dermine manque sacrément de modestie s’il imagine qu’il pourra faire pivoter le PS wallon. Il a un ego surdimensionné.
Vous êtes dur…
C’est plus facile pour moi que pour lui, je le sais.
Il doit composer avec Paul Magnette, Elio Di Rupo et la base du PS.
Il n’est pas sincère, il s’est trompé de parti! Il avance caché et le manque de transparence est, pour moi, une faute éthique. On va me dire qu’il faut parfois faire des accommodements, d’accord. Mais je pense même qu’en terme d’efficacité, il se trompe. Sa stratégie est condamnée à l’échec.
Il faudrait poser un constat clair, même s’il est difficile, pour pouvoir prendre les bonnes mesures?
Tout à fait. Or, il se tait dans son livre et le 1er mai, le PS tient un discours contre le grand capital. On va nous dire que Geert Noels et Etienne de Callataÿ sont des frustrés de la politique, qui ne savent pas descendre dans l’arène ou se mouiller. D’accord, si l’on veut répondre ad hominem, mais il n’en reste pas moins que son livre est une insulte à la Flandre et à l’intelligence.
C’est une insulte à la Flandre parce que c’est leur dire qu’il prétend les connaître alors que pour avoir parlé du livre avec des Flamands, ils considèrent qu’il ne comprend pas où se trouve le problème. C’est une insulte à l’intelligence parce qu’on ne peut pas rester limité à la seule explication historique, qui a sa part de vérité, mais qui n’est qu’une part de cette vérité.
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